L'Ukraine après les élections: la coalition "orange" ne sera pas stable

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Viatcheslav Igrounov, directeur de l'Institut international d'études politiques et humanitaires, pour RIA Novosti

La confusion et le désarroi qui règne dans l'entourage de Viktor Iouchtchenko ne peuvent pas effacer le résultat principal des élections législatives en Ukraine: la "révolution orange" est définitivement légitimée.

Malgré le statut de Viktor Iouchtchenko, dans l'intervalle entre la présidentielle et les législatives, l'ombre de l'usurpation pesait sur chaque action du pouvoir. Les élections à la Rada suprême (parlement) ont définitivement levé la question de la légalité du nouveau président: à partir de ce jour-là, il fait partie du nouveau système politique approuvé par consultation générale. Cette légitimation s'est avérée parfaitement convaincante: elle n'a pas seulement été obtenue dans le cadre d'élections démocratiques, mais elle a été aussi assurée par la majorité "orange" de la Rada.

Il ne reste à Viktor Iouchtchenko qu'à choisir entre les différentes solutions que lui proposent Timochenko et Ianoukovitch pour arriver à un compromis. D'ailleurs, sa marge de manoeuvre est limitée. Bien qu'il veuille se démarquer de l'amitié encombrante de Ioulia Timochenko, il manque d'arguments pour renoncer à la reformation de la coalition "orange".

S'il se détourne, sans raisons valables, de Ioulia Timochenko qui a gagné deux fois plus de voix, il risque de perdre définitivement ses électeurs, alors que la pasionaria ukrainienne se retrouvera inévitablement à la tête d'une opposition massive. Quant à Ioulia Timochenko, avec ses manières autoritaires et populistes, elle est en mesure de rassembler autour d'elle la majorité de la population lasse de l'instabilité.

Par ailleurs, une alliance avec Viktor Ianoukovitch pour s'assurer la majorité à la Rada ne serait pas pour le parti Notre Ukraine une garantie de tranquillité. Aussi étrange que cela puisse paraître, une victoire plus imposante de Viktor Ianoukovitch aurait été plus avantageuse pour Viktor Iouchtchenko qui aurait alors eu toutes les raisons de "se résigner à l'inévitable". Il aurait pu alors, en désignant son premier ministre, marquer un compromis assurant la coexistence pacifique de l'Ouest et du Sud-Est du pays, qui aurait été d'autant plus stable que serait convaincante la victoire du Parti des Régions.

D'autre part, renoncer, même temporairement, à l'alliance avec Ioulia Timochenko reviendrait non seulement à perdre le soutien de ses électeurs, mais déstabiliserait aussi les partisans de Viktor Ianoukovitch, conduisant à une instabilité politique, dans laquelle Ioulia Timochenko se sentirait à son aise.

Cependant, une alliance avec Ioulia Timochenko ne pourrait non plus être durable pour le parti de Viktor Iouchtchenko, car ces deux personnages ont des visions différentes sur l'avenir de l'Ukraine. Si la première est prête à édifier un système politique typiquement bonapartiste, s'appuyant sur la majorité de la population défavorisée et lasse de la mainmise des fonctionnaires, le second prône la démocratie bureaucratique d'une Ukraine riche.

Ces deux Ukraines doivent entrer inévitablement en confrontation, mais l'avantage est du côté de Ioulia Timochenko, qui conserve le charisme révolutionnaire et prophétique de Maïdan. Viktor Iouchtchenko devrait rechercher inévitablement le soutien de Viktor Ianoukovitch, incarnant un modèle de pouvoir administratif et oligarchique plus attrayant pour les représentants pragmatiques du parti Notre Ukraine. Par conséquent, on peut supposer que la reformation de la coalition "orange" sera un phénomène temporaire, une concession momentanée, et qu'un nouveau conflit entre Timochenko et Iouchtchenko préparera la voie pour une "grande coalition" entre le Parti des Régions et Notre Ukraine.

Autrement dit, une fièvre politique commence en Ukraine, ce qui caractérise les jeunes républiques parlementaires et ce qui a plusieurs variantes de développement. On peut avoir, des décennies durant, des gouvernements instables, comme par exemple en Italie ou en Israël, et maintenir des taux élevés de croissance économique.

On peut également édifier un système des partis et de l'oligarchie auquel aspire tellement le pouvoir russe et qui peut s'instaurer aussi en Ukraine. On peut édifier enfin un système fondé sur la prédominance d'un parti, lorsqu'une force victorieuse s'assure législativement la direction autoritaire tout en conservant formellement des institutions démocratiques. La faiblesse des structures de la société civile, ainsi que le penchant pour les actions de masse de type de Maïdan et pour une démocratie plébiscitaire, mènent vers ce scénario dont la mise en �uvre conviendrait le plus à Mme Timochenko. Toutes ces variantes sont envisageables en Ukraine.

Les résultats des élections rendent les conditions du compromis si complexes qu'il est impossible de prédire la politique socio-économique qui sera appliquée par tel ou tel gouvernement.

Il n'est pas compliqué de prévoir quelle sera la politique étrangère de l'Ukraine. Evidemment, le rapprochement avec la Russie et l'intégration dans l'Espace économique unique ne seront pas à l'ordre du jour. Mais cela ne signifie pas son adhésion automatique à l'OTAN (quant à l'intégration à l'UE, ce n'est pour l'instant qu'un rêve). Si le gouvernement "orange" devient réalité et que le ministère des Affaires étrangères est dirigé par un faucon à tendance nationaliste, comme c'est le cas aujourd'hui, l'Ukraine pourra atteindre dans de brefs délais le point de non-retour sur la voie de l'intégration euro-atlantique. Cependant, la majorité "orange" ne garantit pas un gouvernement "orange". Les ambitions de Ioulia Timochenko sont tellement immenses et la crainte de sa prédominance est si grande au sein de l'équipe de Iouchtchenko que l'alliance peut ne pas avoir lieu.

Dans la formation d'une majorité, le "gros lot" appartient aux socialistes d'Alexandre Moroz. Son parti est un adversaire décidé de l'adhésion à l'OTAN. Alexandre Moroz peut insister sur le changement de la politique étrangère. D'autant plus que l'Ukraine subira des pertes sensibles en s'orientant vers une confrontation avec la Russie. S'en rendant compte, Viktor Iouchtchenko se pliera aux exigences des socialistes, s'ils font preuve de persévérance. Dans ce cas, l'Ukraine pourra rester un pays neutre et amical à l'égard de la Russie, même sans être intégrée dans les structures euro-asiatiques. La logique du développement conduira immanquablement à une coopération étroite entre nos pays. L'essentiel est de ne pas laisser les coudées franches aux national-extrémistes.

Le point de vue de l'auteur ne correspond pas toujours à celui de la rédaction.

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