Il s'agit de l'intérêt de New Delhi à développer la coopération énergétique avec la Russie, en premier lieu dans le nucléaire civil, et de la volonté pragmatique de Moscou de récupérer la dette indienne en roupies pour l'employer à la réalisation de projets conjoints.
Les pourparlers qui se sont déroulés à huis clos ont été fructueux, à en juger par la réaction optimiste de la partie indienne. L'Inde compte amplifier la coopération nucléaire avec la Russie pendant que cette dernière assumera la présidence du G8, a déclaré le premier ministre indien Manmohan Singh, au cours de la conférence de presse donnée à New Delhi le dernier jour de la visite de Mikhaïl Fradkov en Inde.
"Nous constatons que la sécurité énergétique est l'une des questions clés de l'agenda de la présidence russe au G8. Dans ce contexte, nous comptons sur une augmentation considérable de la part du nucléaire civil dans l'ensemble du système énergétique indien. Et je suis sûr que les deux parties profiteront des possibilités existantes pour développer notre partenariat dans le domaine de l'énergie nucléaire civile", a déclaré Manmohan Singh.
L'Inde dont l'économie indienne, en forte croissance, fait face à une pénurie de ressources énergétiques et, sous l'effet des cours élevés du pétrole sur le marché mondial, mise sur l'énergie nucléaire.
La centrale nucléaire en chantier à Kudankulam, construite avec le concours russe, est un projet pilote de coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire. Selon l'ancien accord, la Russie livrera jusqu'à 90% des équipements pour les deux premières (des quatre) tranches de la centrale qui doivent être mises en marche en 2007 ou 2008, a indiqué le premier ministre indien.
Manmohan Singh a "chaleureusement remercié" le gouvernement russe pour sa réponse positive à la demande de New Delhi de lui livrer du combustible nucléaire pour les réacteurs Tarapur-1 et Tarapur-2.
Au cours de sa rencontre avec les milieux d'affaires indiens, jeudi, le premier ministre russe Mikhaïl Fradkov a déclaré que la Russie était prête à livrer du combustible à la centrale indienne de Tarapur, ajoutant que les livraisons de combustibles à cette centrale répondent "aux intérêts de nos pays et ne contredisent pas leurs engagements internationaux". Moscou a déjà informé le Groupe des fournisseurs nucléaires de ses plans, a-t-il indiqué.
Washington y a réagi avec froideur. Les Etats-Unis estiment que New Delhi devrait d'abord diviser ses réacteurs en civils et militaires et laisser les observateurs de l'AIEA inspecter librement les premiers. Telle était l'une des conditions de l'accord sur la coopération nucléaire passé entre New Delhi et Washington pour permettre de livrer à l'Inde des technologies et du combustible nucléaire américains après la levée des sanctions.
Le gouvernement indien a déclaré dans le courant de ce mois qu'il admettrait les experts de l'AIEA sur 14 de ses 22 réacteurs nucléaires, sans pour autant renoncer à ses programmes nucléaires militaires secrets.
L'Inde, qui a effectué des essais nucléaires en 1998 en contournant les normes internationales, a conclu en février et mars 2006 des accords de coopération nucléaire avec les Etats-Unis et la France. Si Kudankulam est un chantier "russe", les experts estiment que la France, qui n'a pas décrété de sanctions contre l'Inde, pourrait se réserver la nouvelle centrale de Jaitapur.
New Delhi, pour sa part, a interprété ses accords avec Washington et Paris comme une reconnaissance officielle de son statut de puissance nucléaire.
En ce qui concerne la dette en roupies qui s'est accumulée pendant les années de la transformation de l'économie planifiée russe en économie de marché, Moscou et New Delhi sont déjà tombées d'accord pour en employer une première partie, à hauteur de 1 milliard de dollars, à financer des projets d'investissement conjoints à réaliser sur le territoire de l'Inde.
Mikhaïl Fradkov a même annoncé préalablement les projets dans lesquels ce milliard pourrait être investi. Il s'agit de la coproduction de dioxyde de titane, de la création d'un Centre de maintenance d'avions russes, de la construction d'aéroports et d'autoroutes. De vastes perspectives s'ouvrent aussi en matière de coopération dans l'aérospatiale et l'industrie de l'énergie atomique.
D'autre part, une société russe pourrait faire l'acquisition des droits d'opérateur de télécommunications cellulaires en Inde, a annoncé le premier ministre russe.
Les deux parties ne se sont pourtant pas entendues sur un accord. Selon une source officielle, Moscou n'accepterait pas les conditions avancées par l'Inde qui demande de verser 2% du montant du marché à la Banque de réserve indienne. D'autre part, Moscou juge inacceptable de décréter un moratoire triennal sur la vente d'actifs achetés avec la dette en roupies et propose de signer un accord sur toute la somme de la dette qui s'élève à 3 milliards de dollars environ.
"Nous étudions la possibilité de diversifier la nomenclature des produits qu'il serait possible d'acheter avec la dette en roupies", a déclaré Mikhaïl Fradkov, lors de la conférence de presse.
Jusqu'à présent nous avons consenti à acheter un ensemble limité de produits: du riz, du thé et des biens de consommation courante.
En ce qui concerne les milieux d'affaires indiens, ils mettent l'obtention du visa russe en tête de la liste des problèmes qui retardent les investissements. "Le problème numéro un est d'obtenir un visa pour la Russie. Le problème numéro deux est d'obtenir un visa pour un deuxième voyage", affirment en plaisantant les hommes d'affaires indiens.
"Comment est-il possible d'augmenter les investissements quand l'accès d'un des pays reste physiquement limité? Nous comprenons les problèmes de la Russie. Ils sont les mêmes pour l'Inde: menace terroriste, migration illégale. Mais si les formalités ne sont pas facilitées pour les hommes d'affaires, il est inutile de parler d'une hausse des échanges commerciaux", a expliqué à RIA Novosti Amar Oberoi, vice-président de Monnet International Ltd.
Moscou et New Delhi se sont fixé pour objectif de porter leurs échanges commerciaux à 10 milliards de dollars d'ici cinq ans. A l'heure actuelle, Moscou évalue le chiffre d'affaires du commerce avec l'Inde à 3 milliards de dollars et l'Inde à 2 milliards.
Cette différence de chiffres statistiques a également été relevée par le premier ministre russe lors de la rencontre avec les représentants des milieux d'affaires indiens. "Cela prouve que nous n'accordons pas l'attention nécessaire à ce problème", a-t-il déclaré.