Un long traitement pour se débarrasser de la xénophobie

S'abonner

MOSCOU, 20 janvier - Marianna Belenkaïa, commentatrice politique de RIA Novosti. "Je suis persuadé que si notre société ne change pas dès à présent, des bandits armés de couteaux feront irruption dans chaque maison".

C'est l'un des commentaires du Grand Rabbin de Russie, Berl Lazar, après l'agression contre des fidèles dans une synagogue de Moscou.

Mais la société peut-elle vraiment changer et comment, si tant est que cela soit possible?

L'aggravation de l'extrémisme national et de la xénophobie en Russie, ainsi que l'intensification des mouvements nationalistes dans le pays ont été reconnues par bien des experts russes - politologues, chercheurs, journalistes et personnalités publiques - comme l'un des résultats déplorables de l'année dernière - 2005. Les autorités, à commencer par le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, parlent du danger et de l'inadmissibilité des tendances xénophobes dans le pays.

En septembre dernier, au cours de son entretien télévisé avec ses concitoyens, le chef de l'Etat russe a déclaré: "Nous renforcerons le travail de nos structures de maintien de l'ordre et ferons tout pour que les skinheads et tous les éléments fascisants disparaissent à jamais de la carte politique de notre pays".

Le 20 décembre dernier, Vladimir Poutine a exigé du Service fédéral de sécurité (FSB) qu'il intensifie sa lutte contre le nationalisme et la xénophobie et dépiste énergiquement les idéologues de la haine interethnique. Quoi qu'il en soit, la question se pose de savoir si la force et l'action législative suffiront pour corriger la situation?

L'année qui vient de commencer ne fait que réaffirmer la triste tendance de l'an dernier. On apprend, par exemple, dans les médias que, rien qu'à Moscou, pendant les onze premiers jours de 2006, on a enregistré trois crimes nationalistes, dont l'incident dramatique de la synagogue à Moscou. (Le 11 janvier dernier, le Moscovite Alexandre Koptsev, 20 ans, est entré dans la synagogue de la rue Bolchaïa Bronnaïa et a poignardé huit fidèles). Les agressions contre les étrangers se sont poursuivies à Saint-Pétersbourg et à Voronej.

Selon les données du Centre d'étude de l'opinion publique (VTsIOM) de Russie, plus de 70% de la population de la Russie estiment que la "menace du fascisme" est bien réelle dans le pays. Néanmoins, les sociologues ne précisent pas de quel genre de menace il s'agit en l'occurrence.

Doit-on craindre qu'un régime fasciste ne s'instaure un jour, comme ce fut le cas en Allemagne et en Italie au XX-ième siècle? Ou bien s'agit-il de l'affirmation d'un certain nationalisme d'Etat ou de l'aggravation de la xénophobie au quotidien? D'où vient la menace la plus redoutable - des jeunes aux crânes rasés ou des députés à la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe), qui exhortent à interdire les organisations juives et à nettoyer la ville des "intrus"? Qui sont les plus dangereux, les adolescents agressant des étrangers dans les villes russes ou des philosophes dissertant sur la grande puissance disparue - des "nationalistes respectables"? Il n'y a sans doute pas de réponse unique, car chacun a sa propre crainte.

Aussi, les origines des différents types de xénophobie sont-elle tout aussi différentes.

La première et la plus banale d'entre elles, c'est sans doute l'antisémitisme vieux comme le monde. Les mythes sur "les Juifs ayant usurpé le pouvoir, sur le complot sioniste mondial" se sont avérés tenaces non seulement en Russie, mais dans le monde entier, tant à l'Est qu'à l'Ouest. Quoi qu'il en soit, le caractère banal, voire ordinaire de l'antisémitisme, ne le rend pas moins dangereux pour autant, loin de là! La plupart des Russes ne se croient sans doute même pas antisémites. Ils n'agresseront pas les gens dans les synagogues et ne profaneront pas les cimetières juifs.

Bien plus, ils seront révoltés par de tels excès. Pourtant, ils ne tarderont pas à disculper les auteurs de tels actes criminels, en disant: "Mais est-il juste que les Juifs s'enrichissent en s'appropriant des biens publics?". C'est, d'ailleurs, une sorte de résumé des propos tenus par une partie des auditeurs des radios "Echos de Moscou" et "Liberté" dans le cadre des récentes émissions consacrées à l'agression contre les croyants dans la synagogue de Moscou et au problème de la xénophobie en Russie en général. A signaler que les radios évoquées s'adressent à la partie libérale de l'intelligentsia russe.

Or, il y a aussi l'islamophobie, phénomène plutôt nouveau, tant pour la Russie que pour l'Europe et les Etats-Unis. Pourtant, l'islamophobie s'est d'ores et déjà solidement ancrée et devance même l'antisémitisme dans les sondages d'opinion. On a déjà beaucoup parlé des origines de ce phénomène, y compris de la crainte des attentats terroristes qui dégénère facilement en méfiance face à l'islam et envers les adeptes de cette religion à travers le monde. C'est aussi une sorte d'animosité à l'égard des immigrés, qui sont pour la plupart, tant en Russie qu'en Europe, originaires de pays musulmans.

On reproche aussi aux immigrés leur refus obstiné de s'assimiler, tout en signalant en même temps les difficultés auxquelles ces derniers se trouvent confrontés dans le pays d'accueil. Autrement dit, on ne connaît que trop les griefs réciproques des immigrés et des "autochtones". En Russie, l'islamophobie a une variante, la "caucasophobie" ou aversion pour les ressortissants du Caucase.

Par ailleurs, l'antipathie pour les immigrés s'exprime aussi dans la sinophobie, soit peur des Chinois et des Asiatiques en général, qu'il s'agisse des Vietnamiens, des Coréens, etc..

Parmi les explications de l'aggravation de la xénophobie en Russie, la pauvreté ne vient pas en premier lieu(car tout cela se produit sur fond de croissance des revenus de la population). Ce sont sans doute l'injustice sociale et la stratification de la société qui sont à l'origine de ce phénomène.

Telles étaient aussi les explications des actes de vandalisme dans la banlieue parisienne l'automne dernier (il est vrai qu'en France ce sont les immigrés qui s'étaient insurgés contre les "autochtones"). Cette même explication convient aussi pour comprendre les raisons qui poussent les adolescents russes à rejoindre les rangs des skinheads et les adultes ceux des xénophobes passifs. N'oublions pas non plus l'absence de politique efficace en direction des jeunes et le dés�uvrement des adolescents dans les banlieues.

Serait-il préférable qu'il ne s'agisse pas d'une recrudescence des crimes commis sur la base du nationalisme, mais tout simplement d'une augmentation du nombre des crimes tour court, soit des vols à main armée et des meurtres, perpétrés par des jeunes qui comptent dans leurs rangs de plus en plus de drogués?

Pour moi personnellement, non. Reste à savoir ce qui poussent ces jeunes à conférer un caractère nationaliste à leurs crimes? Et existe-t-il en général une telle force obscure? Et si elle existe, que représente-t-elle? Les avis des experts divergent sur ce point, de sorte qu'il est tout simplement impossible d'y donner une réponse explicite.

On ne doit pas non plus oublier un autre facteur - l'humiliation, soit la crise d'identité nationale des Russes à la suite de la perte du statut de grande puissance par la Russie, statut de l'ex-URSS. Toutefois, la mentalité impériale n'a pas disparu pour autant, et ce sentiment est très facile à exploiter.

Mais la question se pose d'elle-même: exploiter par qui?

Et là, on se retrouve en présence d'une ligne de séparation extrêmement mince entre le nationalisme naturel et respectable des gens de diverses nationalités, d'une part, et la xénophobie au quotidien, de l'autre.

La ligne de séparation est tout aussi mince entre cette xénophobie au quotidien et l'indifférence publique, d'une part, et leurs manifestations radicales, de l'autre, qu'il s'agisse des agressions contre des personnes, de la profanation de cimetières ou d'autres lieux saints. La question est de savoir sur quel terrain social telles ou telles théories intellectuelles peuvent tomber.

Et c'est, à mon avis, à redouter. Il est affreux que des adolescents se retrouvent sur le banc des accusés, alors que ceux qui les ont poussés à s'armer d'un couteau restent impunis. Il est tout aussi effrayant que les circonstances dans lesquelles ces adolescents se sont formés ne changent toujours pas, de sorte que d'autres ne manqueront pas de les imiter.

On peut durcir les lois, mais le principal est d'apprendre à les appliquer - à punir pour les incitations à l'intolérance interethnique et d'autant plus pour ses manifestations, à interdire les publications exaltant la haine et la violence.

On peut et on doit s'occuper des jeunes, de la politique sociale et des nationalités, améliorer la situation économique de la population, résoudre les problèmes des immigrés. Néanmoins, tout indique que l'on ne peut pas triompher si facilement de la xénophobie au quotidien et du nationalisme "respectable". Le salut ne sera possible que quand la société saine ne pourra tout simplement pas assimiler les idées de la violence. Or, il reste un long chemin à parcourir.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала