MOSCOU, 16 janvier - Youri Filippov, commentateur politique de RIA Novosti.
Le Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine, a une particularité qui le distingue bien de très nombreux autres hommes politiques qui se sont trouvés à la tête de la Russie et de l'Union Soviétique depuis ces dernières décennies. C'est que Poutine est populaire.
Qui plus est, des années passent (Vladimir Poutine est devenu Président de Russie à l'âge de 47 ans en 2000) sans que sa cote de popularité baisse pour autant.
Aux élections présidentielles en mars 2004, 65% des électeurs, venus aux urnes, soit presque cinquante millions de personnes, ont voté pour lui. Mieux, à l'heure actuelle, on entend périodiquement dans le pays des appels à revoir la Constitution et à permettre au Président en place de se porter candidat à la présidence pour un troisième mandat consécutif. Nul doute que la majorité tout aussi puissante lui serait garantie également dans un tel cas.
Quoi qu'il en soit, Vladimir Poutine lui-même est contre cela. Il estime notamment que la stabilité politique, obtenue dans le pays dans les années de sa présidence, ne doit pas s'exposer à des épreuves aussi puissantes que sont des amendements apportés à la Constitution. En outre, est-il persuadé que les huit années "présidentielles" sont déjà tout à fait suffisantes pour n'importe quel homme politique.
Mais qu'a donc fait Vladimir Poutine pendant sa présidence et pourquoi sa politique est-elle toujours soutenue et appuyée par les citoyens de la Russie?
Tout d'abord, on doit reconnaître l'attachement infaillible du Président russe au centrisme politique. L'idéologie du centrisme est très populaire dans le pays à cause surtout de son approche équilibrée face à la combinaison des valeurs sociales, d'une part, et de celles de marché, de l'autre. Qui plus est, le centrisme, en tant que tel, a toute une série d'avantages techniques face à diverses versions d'idéologies typiquement "de droite" et "de gauche", avantages qui se sont d'ailleurs illustrés avec éclat dans la Russie contemporaine.
Avant Vladimir Poutine, des dizaines de partis de "leader" étaient intervenus sur la scène politique russe. "Faire de la politique" avait alors signifié souvent créer son propre parti, investir des fonds dans la publicité politique et faire, par la suite, bloc avec le sommet de plusieurs autres partis du même type pour être élus ensemble au Parlement du pays. Mais après cela, la coalition initiale pouvait bien se désintégrer facilement et joindre d'autres alliances politiques tout aussi provisoires.
L'appui de ce genre de partis n'était pas évidemment stable. C'est pourquoi quand le premier parti centriste de masse "Russie Unie" a commencé à s'organiser autour de la politique centriste de Vladimir Poutine, ce parti était, somme toute, voué à la réussite. A l'heure qu'il est, "Russie Unie" a une majorité constitutionnelle (plus de 300 voix) à la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe) et contrôle, en outre, la plupart des assemblées législatives dans le pays.
L'apparition d'un centre aussi stable et influent a obligé à se comprimer l'opposition en Russie. L'aile gauche est toujours réservée aux communistes. Or, le Parti communiste (KPRF) est le seul parti politique de masse, capable de concurrencer "Russie Unie".
A présent, cependant, les communistes ne sont pas en train de vivre leurs meilleures heures. En effet, aux présidentielles de 2004, le candidat du KPRF, Nikolaï Kharitonov, n'avait récolté que dix millions de voix, soit cinq fois moins que Vladimir Poutine, bien qu'il ait été le deuxième à l'issue du scrutin.
Pour ce qui est de la droite dans la politique russe, elle ne s'est toujours pas consolidée, bien qu'elle essaie parfois d'intervenir en un seul bloc comme cela a été, par exemple, le cas aux récentes élections à l'assemblée municipale de Moscou où les démocrates unifiés ont réussi à gagner trois mandats de député.
Dans les années 1990, l'idéologie de droite libérale avait été très répandue dans la classe politique de Russie. C'est justement la raison pour laquelle le plus de partis de "leader" s'étaient formés dans le secteur de droite. A présent, les représentants de ces partis s'angoissent devant la question difficile: abandonner la politique en général ou faire front unique, en acceptant parfois un travail politique bien ingrat.
Il se peut que bien des "vedettes" politiques des années 1990 trouvent que le travail dans les régions, loin de la capitale, est justement un tel travail ingrat. Néanmoins, à la suite de la réformé effectuée par Vladimir Poutine dans la législation concernant les partis politiques, c'est justement le travail quotidien dans la province qui est en train de devenir la principale tâche des partis et sert, par conséquent, de critère essentiel de leur réussite.
Ainsi, sur proposition de Vladimir Poutine, les partis ayant remporté les législatives régionales ont reçu le droit de proposer au Président du pays leur candidature au poste de gouverneur de leur région respective, candidature qui devra, par la suite, être entérinée par le Parlement régional (Assemblée législative régionale - NDLR). Cette innovation rend pratiquement toute la politique des cadres dans les régions aux partis politiques. Et comme "Russie Unie" bénéficie toujours de la plus grande influence dans la province russe, l'appui politique stable est inévitablement garanti à Vladimir Poutine.
Tout cela se rapporte aussi aux aspects techniques (que des observateurs non initiés ne comprennent pas souvent) de cet appui de masse dont le Président russe bénéficie dans le pays. Force est de reconnaître que cet appui a aussi des origines très profondes et puissantes. C'est que l'idée du bien-être national, avancée et développée avec conséquence par Vladimir Poutine tout au long de sa présidence, a trouvé un sol extrêmement propice.
Doublement du produit intérieur brut (PIB) en dix ans, lutte contre la pauvreté (25 millions de Russes ont aujourd'hui des revenus inférieurs au minimum vital) et modernisation de l'armée, ce sont les tâches nationales, assignées par Vladimir Poutine dans l'un de ses Messages à l'Assemblée Fédérale et accueillies par la population, comme parfaitement indispensables et attendues depuis longtemps.
Le centrisme de Vladimir Poutine se manifeste aussi dans une combinaison bien réfléchie des réformes de marché, d'une part, et des programmes d'Etat dans le social, de l'autre. L'année dernière, par exemple, le Président a proposé quatre projets nationaux s'étendant notamment au logement, à la santé publique, à l'éducation et à l'agriculture. Plus de 180 milliards de roubles (plus de six milliards de dollars) - une somme plutôt impressionnante pour le budget fédéral russe - ont été débloqués à leur réalisation.
Par ailleurs, la revue même la plus brève des raisons de la popularité de Vladimir Poutine serait de loin incomplète sans la citation des réussites russes dans la politique extérieure depuis ces six dernières années.
C'est justement sous la présidence de Vladimir Poutine que la Russie en a définitivement fini avec l'héritage de la "guerre froide", héritage qui lui été plus que néfaste. C'est aussi sous sa présidence que la Russie a surmonté son isolement d'autrefois face à l'Occident et a établi des relations de partenariat avec tous les principaux pays du monde. La présidence de la Russie au G8, cette année, est la reconnaissance évidente par l'ensemble de la communauté internationale du prestige du pays et de son influence incontestable dans le monde. Et c'est personnellement Vladimir Poutine, leader politique russe le plus populaire de ces dernières décennies, qui a amené la Russie à cet état.
