La géopolitique gazière

S'abonner

MOSCOU, 7 janvier. Alexeï Makarkine, directeur général adjoint du Centre de technologies politiques, RIA Novosti. La question gazière reste déterminante pour les pays de l'espace post-soviétique.

Il est notoire que parmi les consommateurs de gaz russe on trouve notamment l'Ukraine, la Géorgie et la Moldavie, des Etats faisant partie de la Communauté du choix démocratique (CCD), une structure géopolitique alternative destinée à contrebalancer l'influence russe.

Jusqu'à maintenant la Russie s'en était tenue à une politique nettement exprimée de maintien des préférences à l'égard de ses partenaires de la Communauté des Etats indépendants (CEI), estimant qu'en agissant de la sorte elle maintiendrait ces pays dans son giron. Les résultats aléatoires de cette politique sont visibles depuis longtemps. Souvenons-nous des multiples manoeuvres politiques d'Edouard Chevardnadze, un homme que l'on aurait du mal à qualifier d'ami de la Russie (ce qui ne l'empêchait pas d'approvisionner la Géorgie en gaz bon marché). On peut dire la même chose de Leonide Koutchma, qui avait inséré dans la doctrine militaire de l'Ukraine une clause prévoyant l'adhésion de ce pays à l'OTAN mais à laquelle il avait renoncé quand un rapprochement conjoncturel avec la Russie lui avait semblé avantageux. Quant aux communistes moldaves, ils avaient entamé leur activité gouvernementale en promettant de conférer au russe le statut de langue officielle et en se lançant dans une active rhétorique pro-russe. Mais par la suite ils en ont appelé à l'Occident pour torpiller le "plan Kozak" de règlement en Transnistrie (un plan qui, à propos, envisageait l'officialisation du rôle de la langue russe dans le pays).

Si auparavant l'Ukraine, la Géorgie et la Moldavie manoeuvraient entre la Russie et l'Occident, maintenant leurs priorités géopolitiques sont nettement définies. Les gouvernements et les opinions de ces pays sont majoritairement pro-occidentaux et s'ils font encore état de la nécessité de développer les relations avec la Russie, c'est uniquement pas simple formalité. En Géorgie l'opposition parlementaire se montre encore plus critique à l'égard de la Russie que le régime de Mikhaïl Saakachvili. En Moldavie tous les partis représentés au parlement sont plus ou moins tournés vers l'Occident. L'élite ukrainienne elle aussi est majoritairement pro-occidentale.

Par conséquent, la Russie a fait son choix et a renoncé à tout patelinage vis-à-vis des régimes tournés vers l'Occident pour défendre ses propres intérêts. D'où le sérieux durcissement de la politique gazière russe à l'égard des membres de la CCD qui, aussi étrange cela soi-t-il, ont été pris de court face à cette évolution des événements, misant probablement sur l'inertie de la diplomatie gazière russe. Il convient cependant de prêter attention au fait que la position de la Russie dans les rapports avec l'Ukraine et la Géorgie est bien plus complexe qu'un relèvement arbitraire des prix du gaz. Et que la notion "intérêts russes" est bien plus substantielle qu'elle n'apparaît au premier abord.

Les observateurs trouvent quelque peu inattendu le fait que Gazprom entend faire passer de 63 à 110 dollars le prix des 1.000 mètres cubes de gaz livrés à la Géorgie et de 50 à 230 dollars le prix réclamé à l'Ukraine. La différence est trop grande pour être fortuite. Le secret réside en ce que la Russie souhaite régler deux problèmes à la fois. Le premier consiste à renoncer à la "charité gazière" pour accroître les revenus de Gazprom, l'une des grandes structures fédérales intervenant de manière déterminante dans la formation du budget. Le second, c'est de prendre le contrôle, dans la mesure du possible, des gazoducs traversant les territoires de ces pays. Dans la situation géopolitique actuelle, celui qui contrôlera l'acheminement des produits énergétiques sera placé dans une situation politique gagnante (au moyen âge aussi les routes empruntées par les caravanes jouaient un rôle important).

En ce qui concerne la Géorgie, la Russie est pour le moment disposée à négocier avec elle. On sait que des pourparlers sur la privatisation éventuelle du gazoduc passant sur le territoire de ce pays ont déjà été menés et qu'ils n'ont pas abouti (plusieurs fonctionnaires gouvernementaux ainsi que des représentants de l'administration des Etats-Unis s'y sont opposés). Toutefois, on est fondé de penser qu'aucune décision définitive n'a été prise. En tout cas, la Russie a clairement laissé entendre que si le gazoduc passait entre ses mains le prix du gaz actuellement en vigueur pourrait être maintenu pendant une période prolongée. Il y a de fortes chances pour qu'au cours des prochaines négociations les raisons économiques l'emportent sur les ambitions politiques de Tbilissi. Si ces pourparlers ne débouchent sur rien, il est probable que la Russie relèvera le prix du gaz.

En Ukraine la situation est quelque peu différente. Un accord sur la gestion conjointe du système ukrainien de transport du gaz était intervenu dès 2002. Pour ce faire on avait créé un consortium russo-ukrainien (auquel l'Allemagne s'était jointe par la suite). Cependant, sous Leonide Koutchma ce consortium était resté inactif et lorsque Viktor Iouchtchenko était arrivé au pouvoir, la structure gazière avait pratiquement été torpillée. Ce qui explique la position extrêmement dure de la partie russe qui, désillusionnée par la stérilité des pourparlers, entend exacerber au maximum la situation pour inciter son interlocuteur ukrainien à reconsidérer foncièrement sa position à l'égard du consortium.

Par conséquent, la Russie n'agit pas par vengeance à l'égard de son opposant, mais opère avec un maximum de pragmatisme, cherchant à pousser sa propre expansion économique dans l'espace post-soviétique en utilisant pour ce faire les leviers d'influence qui sont à sa disposition.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала