Partenariat Russie-Occident: c'était une bonne année

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MOSCOU, 22 décembre - Vladimir Simonov, commentateur politique de RIA Novosti. Ceux qui considèrent le renforcement du partenariat entre la Russie et l'Occident comme un facteur important de la stabilité internationale ont toutes les raisons d'être satisfaits du bilan de l'année 2005 qui s'en va.

Ayant démarré dans un climat plutôt morose de critiques réciproques, de manque de compréhension mutuelle et de tension, cette année s'achève tout de même sur l'affirmation de ce partenariat.

Quoi qu'il en soit, un bilan aussi encourageant était difficile à prévoir il y a à peine quelques mois, quand Moscou et l'Occident se sont confrontés, en évaluant, chacun à sa manière, les processus en cours sur les territoires des pays de l'ex-Union Soviétique.

Les Etats-Unis et l'Union européenne (UE) étaient, par exemple, enclins à considérer la vague de révolutions "colorées" qui a déferlé sur l'espace post-soviétique comme le triomphe de la démocratie de type occidental sur les anciens régimes corrompus et ayant fait leur temps. Par contre, Moscou a perçu dans tous ces événements des signes manifestes de l'usurpation anticonstitutionnelle du pouvoir dans le but de repartager les biens. Les images des foules dans la rue dont les meneurs font appel à l'étranger pour obtenir son approbation au lieu de s'adresser à leur propre peuple ne provoquaient que de la perplexité en Russie. La direction russe a condamné les tentatives d'implantation par la force de la démocratie dans des pays, tels que l'Ukraine, la Géorgie, la Kirghizie et la Moldavie. La qualité de vie tout comme d'ailleurs la stabilité dans ces Etats peuvent en être très sérieusement affectées, mettait en garde Moscou. Au début, l'Occident a interprété ces évaluations comme une sorte de jalousie de la part de la Russie en train de perdre son monopole impérial sur l'espace post-soviétique. Dans ces conditions, les russophobes qui ne manquent ni à Washington ni à Bruxelles ont vite profité de l'occasion pour ranimer les sujets critiques sur le prétendu "recul de Moscou face à la démocratie". Qui plus est, le regain de tension dans les relations entre la Russie et l'Occident dans le premier semestre de l'année en cours a même menacé, selon les pessimistes, de faire de l'année 2005 celle du retour à la "guerre froide".

Heureusement, rien de pareil n'est arrivé. Le grand mérite des leaders de la Russie, des Etats-Unis et de l'Union européenne consiste notamment dans le fait qu'ils ont réussi à surmonter cette vague d'états d'esprit boutiquiers si typiques des "faucons", à séparer les intérêts fondamentaux communs, tels que la nécessité de lutter contre le terrorisme international et la prolifération des arsenaux nucléaires, ainsi que la coopération économique, d'une part, des difficultés passagères liées souvent à une concurrence tout à fait naturelle ou simplement à la différence des cultures démocratiques, de l'autre.

Cela a été en partie favorisé par la dévaluation des "idéaux oranges" dans l'espace post-soviétique, perte de crédit qui ne s'est pas fait attendre longtemps. Les forces portées au pouvoir sur la vague des révolutions "colorées" font preuve d'autoritarisme, ces derniers temps, et persécutent l'opposition, alors que les médias critiques à leur égard disparaissent comme s'ils n'avaient jamais existé. Résultat, non seulement la population de ces pays, mais aussi l'Occident sont de plus en plus désillusionnés quant au désintéressement et la nature démocratique des "coups d'Etat oranges".

De son côté, Moscou a essayé de formuler certaines des règles du jeu dans la zone de la Communauté des Etats indépendants, tout en espérant pouvoir transformer cette région en arène de rivalités loyales et plus tard, peut-être, en zone de partenariat prévisible et mutuellement respectueux. La Russie a laissé clairement entendre qu'elle ne niait en aucun cas le droit d'autres Etats et de centres de force d'aider les pays de la CEI à renforcer leur sécurité, à s'intégrer dans l'économie mondiale et s'engager dans la voie de la mondialisation. La concurrence loyale et la confrontation des idées - oui. Mais il ne peut pas être question d'évincer la Russie de la sphère traditionnelle de ses intérêts nationaux. Par ailleurs, il est tout aussi inadmissible de recourir à des pressions pour obliger de jeunes Etats à opter pour la voie indiquée par une intelligence suprême à l'étranger. Tout porte à croire que tant Washington que Bruxelles ont apprécié le caractère équilibré de cette attitude de Moscou. Toujours est-il que l'année qui s'en va n'a pas apporté de régression, comme l'espéraient les russophobes, mais, par contre, une sorte de percée dans les relations entre la Russie et l'Occident, et avant tout entre la Russie et l'Union européenne.

Récemment, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a comparé les agendas de trois Sommets Russie-UE, et plus précisément de celui de février 1999 et des deux rencontres au sommet tenues dans le courant même de 2005. La différence est frappante. S'il y a à peine quelques années, la Russie intervenait en objet démuni et sans initiative de la politique de l'Union européenne (UE), cette année, Bruxelles et Moscou examinent d'égal à égal le spectre le plus large de problèmes bilatéraux et internationaux, sujets qui n'ont jamais été abordés par le passé dans ce dialogue.

55% des exportations russes vont à présent vers les pays de l'UE. Qui plus est, l'Union européenne intervient en consommateur insatiable d'hydrocarbures russes. Signé récemment, l'accord entre l'Allemagne et la Russie sur le projet véritablement grandiose de Gazoduc nord-européen (GNE) en est une nouvelle preuve. Néanmoins, les rapports économiques et commerciaux ne font partie que de l'un des quatre "espaces communs" de Moscou et de Bruxelles. Depuis cette dernière année, un grand progrès a été réalisé sur les itinéraires des trois autres "feuilles de route", et notamment en matière de sécurité intérieure, dans le domaine de la sécurité extérieure et dans la sphère de la culture. On pourrait longuement énumérer ces accords importants qui sont entrés en vigueur en 2005, on pourrait aussi citer la liste fort impressionnante des nouvelles institutions et commissions conjointes. Quoi qu'il en soit, le principal est ailleurs.

L'année qui s'en va a sans doute marqué un changement fondamental dans le caractère même du dialogue Russie-UE. La formule "leader - suivant" a cédé la place à un format dans lequel Moscou est bien capable de faire valoir ses propres intérêts, en intervenant sur un pied d'égalité avec ses partenaires.

Cela s'est notamment manifesté avec éclat à la récente rencontre ministérielle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) de Ljubljana où la Russie a catégoriquement insisté sur une réforme immédiate de l'OSCE. Le mécontentement de Moscou est dû en grande partie à des disproportions thématiques dans les activités de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. En effet, sur les trois "corbeilles", les fonctionnaires de l'OSCE ne s'occupent pratiquement que de la corbeille humanitaire, alors que les deux autres volets - économique et politico-militaire (ce dernier comporte la lutte contre le terrorisme international), demeurent toujours en état de stagnation. L'OSCE se transforme de plus en plus en instrument destiné à ne servir les intérêts que d'un groupe restreint de membres, voire de certains Etats isolés.

La Russie n'admet guère une telle situation. Et le nouvel élément dans les relations entre Moscou et Bruxelles consiste dans le fait que l'Union européenne ne peut plus passer outre l'opinion de la Russie. Qui plus est, cette transformation de l'interprétation du rôle et de la place de la Russie se produit au moment même où l'Europe Unifiée se ferme, dirait-on, sur elle-même sous la poussée de ses propres échecs et de ses différends intérieurs. L'échec des référendums constitutionnels en France et aux Pays-Bas a donné naissance à toute une école de politologie russe prétendant notamment que l'Europe ne serait plus capable de jouer un rôle stabilisateur dans le monde, et que, par conséquent, la Russie ferait mieux de se réorienter rapidement vers d'autres centres de force.

Les officiels de Moscou rejettent catégoriquement une telle logique. "Je pense que c'est une idée parfaitement erronée. Bien plus, je suis persuadé que la coopération entre la Russie et l'Union européenne en politique extérieure possède un immense potentiel", a indiqué le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, en intervenant récemment devant les députés à la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe).

Les sceptiques pourraient sans doute faire des objections au ministre, en estimant notamment que, depuis ces derniers temps, la Russie accorde sa préférence à l'intégration avec l'Asie au détriment de ses relations avec l'Occident. Ils se réfèrent à la participation du président russe Vladimir Poutine au récent Sommet de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) à Kuala-Lumpur (Malaisie) et au nouveau statut qu'a désormais acquis l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui regroupe à ce jour la Russie, la Chine, le Kazakhstan, la Kirghizie, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan.

Pourtant, il ne s'agit pas là d'une trahison du Kremlin vis-à-vis de l'Europe ou de l'Amérique au profit de l'Asie, loin s'en faut. Ce n'est qu'un élément très important de la politique extérieure de la Russie. C'est son orientation "tous azimuts", c'est aussi son caractère multivectoriel. C'est qu'à l'époque de la mondialisation, il est tout bonnement impossible d'insérer les intérêts du pays dans l'espace artificiellement limité d'une seule région. L'année qui s'en va l'a confirmé: Moscou n'est pas du tout isolé. Ce genre de politique extérieure, pratiquée "dans plusieurs dimensions" est aujourd'hui de plus en plus populaire dans le monde.

Il serait en fait difficile d'expliquer aux critiques du tournant imaginaire de Moscou, le dos à l'Occident, face à l'Asie, le développement continu tout au long de l'année 2005 du partenariat stratégique entre la Russie et les Etats-Unis. C'est que l'ouragan "Katrina" a notablement affouillé les assises idéologiques de la morgue américaine. Le pays se considérant comme l'unique superpuissance au monde paraissait, ces jours-là, plutôt impuissant face à la furie des éléments. Il se peut que ce soient justement ces événements tragiques qui ont incité l'administration américaine à prêter, contre ses habitudes, une oreille attentive à la volonté collective de la communauté internationale, à faire preuve de davantage de tolérance vis-à-vis des intérêts traditionnels d'autres Etats, y compris de la Russie.

Le dialogue de partenariat mené par la Russie et l'Occident les aide aussi à rapprocher leurs visions philosophiques. L'initiative du G8 de contribuer aux réformes dans les pays du Proche-Orient et de l'Afrique, initiative qui a constitué l'un des repères majeurs de l'année 2005, peut servir d'exemple de conception globale élaborée en commun. La nouvelle année sera celle de la présidence russe au G8 et ce, pour la première fois de l'histoire. Par ailleurs, on a tout lieu d'espérer que les activités de ce club des pays les plus industrialisés du monde vont bientôt être complétées d'autres volets, dont la sécurité énergétique et l'assistance aux ex-républiques soviétiques. La coopération Russie-Occident n'a évidemment pas d'unité de mesure. Pourtant, l'étude publiée à l'approche de Noël par A.T. Kearney, l'un des leaders mondiaux du conseil en stratégie et management permet de juger de la dynamique de ces relations économiques. Ainsi, la Russie s'est classée parmi les six pays les plus attrayants pour des investissements étrangers directs. Avec un volume de capitaux étrangers mobilisés de quelque 90,6 milliards de dollars, la Russie a fait cinq pas en avant par rapport au début de 2005, quand elle n'était que la onzième dans la même classification.

Les partisans sincères du renforcement du partenariat entre la Russie et l'Occident se fairont en devoir de réveillonner en écoutant la chanson bien connue de Frank Sinatra "It Was a Very Good Year..." ("C'était une très bonne année...").

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