Les priorités de la Russie en tant que présidente du G8

S'abonner

MOSCOU, 21 décembre - Vladimir Simonov, commentateur politique de RIA Novosti. L'année 2006 commence par un événement remarquable pour Moscou.

Le fauteuil du président du G8 sera occupé pour la première fois par la Russie qui devra de ce fait accueillir le prochain sommet de ce groupe informel des pays les plus industrialisés du monde qui aura lieu dans les environs de Saint-Pétersbourg.

Le chemin franchi par la Russie pour accéder à ce statut a été long et difficile. En 1992, le G7 avait repoussé la proposition des Etats-Unis de faire de la Russie un membre à part entière du groupe en raison du chaos provoqué dans ce pays à économie centralisée par son brusque tournant vers la libre entreprise. Plus tard, la formule 7+1 a vu le jour : Boris Eltsine restait à la porte en attendant d'être admis dans la salle de séances des 7 pour examiner une liste écourtée de questions.

Aujourd'hui, avec ses richissimes ressources naturelles et humaines, la Russie, puissance nucléaire, continue d'afficher un retard sensible sur ses sept collègues quant aux revenus par tête d'habitant. Un facteur entre cependant en jeu pour faire de la Russie un membre influent et, qui plus est, absolument nécessaire du G8, si le rôle central de ce groupe consiste effectivement à renforcer la stabilité du développement économique global. Ce facteur est le rôle grandissant de la Russie en tant que principal acteur sur le marché des ressources énergétiques.

Dans l'avenir le plus proche Moscou compte produire un demi-milliard de tonnes métriques de pétrole par an. Ce sont là des volumes dont la répartition influe sensiblement sur le bien-être non seulement de ses voisins issus de l'éclatement de l'URSS mais aussi de l'Europe et, dans une certaine mesure, des Etats-Unis.

Certes, la Russie reste un pays dont une partie considérable de la population vit en dessous du seuil de pauvreté officiel. C'est même peut-être cette circonstance qui définit le rôle particulier qu'elle joue dans le G8, communément appelé le "club des riches". Sa présence dans cette enceinte acquiert un sens collatéral du fait que Moscou est "mieux placé pour comprendre les problèmes des pays à économie de transition", selon l'expression du président Vladimir Poutine.

Sa vision nette des problèmes et ses nouvelles potentialités économiques ont prédéterminé logiquement la participation active de la Russie à la discussion sur un des principaux sujets du dernier sommet du G8 à Gleneagles, en Ecosse : comment aider l'Afrique, comment alléger son endettement. La Russie a soutenu pleinement l'idée d'effacer sans délai la dette de 18 pays africains. Mieux, il se trouve que Moscou peut être fier de la générosité dont il a fait preuve. Pour les dettes annulées des pays africains, exprimées en chiffres absolus, la Russie vient en troisième position suivant le Japon et la France.

Certes, bien des Russes se demandent pourquoi ils doivent annuler les dettes des pays africains alors qu'ils ne sont pas riches eux-mêmes. Et pourtant, dans la conscience des masses l'idée prévaut que la Russie doit aider dans la mesure du possible ceux qui vivent moins bien qu'elle.

Comment voit-on donc aujourd'hui l'ordre du jour du premier sommet du G8 sous la présidence de la Russie?

Naturellement, la présidence russe veillera à assurer la continuité des thèmes des sommets précédents. A Saint-Pétersbourg, les Huit ne voudront pas se dérober au débat sur les problèmes des pays en développement et ne pourront pas tourner le dos à la lutte contre la menace globale du terrorisme international. Il y a pourtant un sujet que Moscou voudrait privilégier sous sa présidence : la politique énergétique mondiale.

"Dieu veut que notre pays qui est aujourd'hui un leader incontestable sur le marché mondial s'en occupe", a déclaré le président Vladimir Poutine dans les couloirs du sommet de Gleneagles. "J'entends par là nos potentialités énergétiques : pétrolières, gazières, nucléaires. Toutes ces ressources réunies font de la Russie un leader mondial incontestable. Nul doute, nous sommes ouverts pour discuter de tous ces problèmes et nous avons l'intention d'en faire le principal sujet à débattre", a-t-il ajouté.

D'autre part, Moscou estime que le G8 ferait bien d'amplifier la coopération avec les pays issus de l'éclatement de l'Union Soviétique. L'aide à ces nouveaux Etats peut devenir un autre axe important des efforts du G8 en 2006.

En effet, après l'annulation des dettes des pays africains les plus pauvres, l'élimination du retard économique de jeunes Etats comme l'Ouzbékistan, la Kirghizie, la Moldavie, la Géorgie devient l'une des priorités pour la communauté mondiale. Nul doute que la pauvreté et d'autres problèmes sociaux aigus sont les causes principales des crises d'instabilité politique qui secouent de temps à autre les pays de la CEI.

Cette instabilité incite à son tour l'Occident et Moscou à considérer l'espace post-soviétique comme un champ de bataille. Aujourd'hui la Russie propose une chose foncièrement différente : transformer cette région en champ de coopération pour contribuer au développement économique et démocratique des pays de la CEI.

Un autre sujet préoccupe toujours Moscou, tout comme la majorité d'autres membres du G8 : la nécessité de contrôler la mise en œuvre du protocole de Kyoto, document réglementant les émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère terrestre.

Vladimir Poutine a plus d'une fois appelé publiquement à "sensibiliser les pays qui n'ont pas adhéré au protocole de Kyoto". Les Etats-Unis en premier lieu. Washington n'arrête pas d'alléguer une éventuelle perte de "millions" d'emplois et de "centaines de millions de dollars", si les Etats-Unis apposaient leur signature au bas du protocole de Kyoto. La thèse principale avancée par l'administration de George Bush est que le réchauffement de la planète "n'est pas encore prouvé de façon scientifique".

Un coup dur a été cependant porté récemment à cette prise de position. Les Académies des sciences des pays du G8, ainsi que les scientifiques chinois, indiens et brésiliens ont demandé à leurs gouvernements respectifs de mettre en œuvre sans plus tarder des mesures susceptibles de limiter les émissions de gaz nocifs dans l'atmosphère. Il devient dès lors difficile d'insister sur l'absence de "preuves scientifiques" de l'effet de serre. Les leaders européens auront la possibilité d'attirer l'attention de Bush sur cette circonstance lors du sommet de Saint-Pétersbourg.

Le moment est peut-être venu pour les membres du G8 de s'occuper aussi de leurs propres affaires qui ne vont pas toujours bien, estime Moscou.

"Nous passons pudiquement sous silence certains problèmes de nos propres pays, par exemple le problème démographique", a fait remarquer à ce sujet Vladimir Poutine. "Plus nous devenons gros, gras et riches, et plus le problème démographique devient douloureux. Tous les collègues (leaders du G8) sont d'accord avec moi pour estimer que nous devons réfléchir sur cette question pour pouvoir adopter à Saint-Pétersbourg des décisions capables de modifier de façon positive la situation dans nos pays respectifs", a-t-il ajouté.

En effet, d'après les prévisions de l'ONU, la dynamique démographique est négative dans tous les Etats européens. Il n'y a qu'un pays du G8 qui ne souffre pas de ce problème, les Etats-Unis, ce qui s'explique par une immigration stable et forte natalité parmi la population latino-américaine. Cela a incité l'Union européenne à effectuer cette année une analyse approfondie du problème démographique sur le continent européen. Il a été décidé de faire des résultats de ce travail l'objet d'une discussion au sommet de Saint-Pétersbourg.

Aide les autres et les autres t'aideront. Il y a fort à parier que Vladimir Poutine ne manquera pas de sauter sur l'occasion pour engager dans la "capitale du nord" un nouveau round de lobbying des sept leaders occidentaux dans l'intérêt de la Russie. Le pays a grand besoin de l'aide des démocraties évoluées pour diversifier son économie trop dépendante des exportations de pétrole. La Russie n'a pas moins besoin du G8 que le G8 a besoin de la Russie.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала