La crise de la démocratie américaine

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MOSCOU, 16 décembre - par le général de brigade en retraite Guennadi Evstafiev, ancien responsable du Service des renseignements extérieurs, en exclusivité pour RIA Novosti.

La pluie de scandales autour du respect des droits de l'homme aux États-Unis et dans les activités étrangères de l'administration Bush commence à inquiéter même les esprits les plus indulgents qui croyaient que Washington mettrait la pédale douce après la douloureuse leçon irakienne. Il n'en fut rien.

Les dernières révélations sur les prisons secrètes américaines se trouvant à l'extérieur des États-Unis et les "cachots volants" ont montré qu'aucun enseignement n'avait été tiré des scandales autour du "camp de concentration" de Guantanamo qui abrite les extrémistes arrêtés en Afghanistan et autour du comportement criminel des responsables américains dans la prison secrète d'Abou-Ghraïb, en Irak.

Il suffit de citer l'affaire de l'Allemand Khaled Al-Mosri qui, avec l'aide du mouvement des droits de l'homme American Civil Liberties Union, a déposé une plainte en justice contre la CIA l'accusant d'avoir mis en place un réseau de prisons secrètes dont les détenus souffraient de torture. En effet, ce ressortissant allemand d'origine arabe enlevé en Macédoine a fait, pendant un an, l'objet de méthodes d'enquête illégales: tortures, passages à tabac systématiques et usage de drogues injectables. Ce cas n'avait rien d'exceptionnel: confondu avec un autre, le prisonnier en question s'est avéré tout à fait innocent.

Il est à noter que plusieurs prisons se trouvaient sur le territoire des "nouvelles démocraties", comme la Pologne et la Roumanie, dont l'administration a le culot de donner à la Russie des leçons de démocratie. De vrais piliers de la démocratie occidentale! Leurs mentors reprochent avec le même cynisme à la Corée du Nord d'avoir enlevé des ressortissants japonais pendant la "guerre froide", alors qu'ils ne dédaignent pas, à notre époque éclairée, de recourir à ces mêmes méthodes anachroniques.

Les leaders de l' "axe du Bien" ne sont donc pas aussi sages que l'on pouvait le croire. Il est tout à fait évident que l'administration républicaine en place croit dès le début détenir le monopole des violences "légitimes" sur l'échelle planétaire. Le monde semble ne pas remarquer un sérieux recul de la démocratie dans le premier des pays démocratiques, il semble ignorer que l'Amérique continue d'utiliser habilement dans ses jeux géopolitiques le langage de la liberté et de l'égalité, un langage qui cache souvent des crimes odieux comme ceux mentionnés plus haut.

C'est Condoleezza Rice qu'ils ont dépêchée pour étouffer le scandale. En effet, la secrétaire d'État américaine est l'unique décideur de l'administration Bush à avoir gardé une quelconque crédibilité dans le monde extérieur.

L'important n'est pas que les dirigeants américains n'aient même pas formulé des excuses élémentaires à la communauté internationale. L'important est que plus on avance, plus les choses s'aggravent, ce dont témoignent beaucoup d'événements de la politique intérieure.

La classe politique de Washington a à peine digéré la nouvelle annonçant qu'un nouveau service secret américain, la Strategic Support Branch, dite aussi le Projet Icon, opère depuis deux ans sur l'échiquier international sous les auspices du Pentagone, qu'une autre nouvelle est venue bouleverser la vie politique intérieure. Selon la presse américaine, le Pentagone continue d'élargir ses programmes de collecte et d'analyse des renseignements intérieurs en créant il y a trois ans, toujours sous Donald Rumsfeld, un autre service secret baptisé Counterintelligence Field Activity (CIFA). Cette structure se chargera désormais de l'enquête sur les crimes commis à l'intérieur des États-Unis, notamment les cas de haute trahison, de sabotage étranger, de terrorisme et d'espionnage économique.

Le secrétariat à la Défense a donc le droit de poursuivre n'importe quel citoyen américain à l'intérieur du pays, au même titre que les autres organes judiciaires inhérents aux sociétés démocratiques, comme la police, le parquet et ainsi de suite.

Selon Kate Martin, directrice du Center for National Security Studies, l'obligation imposée au FBI de communiquer à la CIFA les informations sur les personnes intéressant cette dernière "élimine l'une des dernières dispositions protégeant les citoyens d'une ingérence dans la vie privée et de la constitution d'un dossier auprès des services de renseignements gouvernementaux".

Bien sûr, cette multiplication incroyable de services et d'organismes spéciaux s'explique par la grande défaite de la CIA qui ne cesse de perdre du terrain à travers le monde. Elle est désormais le bouc émissaire de l'échec catastrophique irakien. Résultat, les militaires sont en train de mettre en place un énorme mécanisme de collecte d'informations en dehors de la CIA.

À l'époque, l'accès pour les militaires aux informations sur les citoyens américains était limité. Mais la vie politique intérieure des États-Unis a évolué au point que beaucoup de principes internationaux empêchent fortement la Maison Blanche. Ainsi, les États-Unis se hissent lentement mais sûrement parmi les rares pays, essentiellement militaristes, dont les fonctions policières sapent petit à petit les fondements démocratiques de l'État.

Il est difficile de prévoir pour l'instant la fin de l'histoire. Mais il est évident que les États-Unis perdent leur force idéologique et tendent à miser sur le recours à la force et les méthodes illégitimes.

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