MOSCOU, 21 novembre - Piotr Gontcharov, commentateur politique de RIA Novosti. On a bien l'impression que Téhéran fait tout pour que le "dossier nucléaire" iranien soit finalement renvoyé devant le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies.
En effet, il est pratiquement impossible d'évaluer autrement les dernières déclarations et démarches des officiels de Téhéran. Et ce, d'autant plus que les déclarations et les démarches en question ont été faites juste à la veille de cette réunion du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) qui doit prendre une décision définitive sur le renvoi ou non du "dossier nucléaire" iranien devant le Conseil de sécurité de l'ONU, menaçant ainsi l'Iran de sanctions internationales pratiquement inévitables ou lui permettant au contraire de bénéficier d'un nouveau sursis.
Le 24 septembre dernier, le Conseil des gouverneurs de l'ONU a adopté une résolution sur le "dossier iranien", document qui renferme toute une série de revendications très dures, notamment l'arrêt par l'Iran de tout processus d'enrichissement d'uranium. En cas de non-respect de cette revendication, le Conseil des gouverneurs de l'AIEA a exhorté le renvoi du "dossier iranien" devant le Conseil de sécurité de l'ONU.
La résolution en question a pratiquement rejeté toutes les prétentions de Téhéran de créer son propre cycle complet de combustible nucléaire, l'enrichissement d'uranium en étant l'élément technologique principal. Rappelons que la mise au point d'un processus technologique d'enrichissement d'uranium permet de produire une arme nucléaire ce dont l'Iran est justement soupçonné par les Etats-Unis et plusieurs autres pays.
On se souvient de la réaction très douloureuse de Téhéran à ladite résolution du Conseil des gouverneurs de l'AIEA. On s'attendait naturellement à l'époque que Téhéran essaie enfin de trouver une sorte de compromis, sinon une solution intermédiaire du problème.
A titre de compromis pour résoudre le problème iranien, on envisageait, par exemple, un "scénario russe" selon lequel tous les travaux d'enrichissement d'uranium et de production de combustible nucléaire devraient être effectués en Russie. Quant à un scénario intermédiaire, il serait sans doute logique d'attendre de Téhéran une déclaration sur la prorogation de son moratoire sur l'enrichissement d'uranium, ce qui laisserait espérer la poursuite des négociations avec la "troïka européenne". Il est effectivement peu probable que dans ces deux cas, la "troïka européenne" et même les Etats-Unis réclament à la réunion du Conseil des gouverneurs de l'AIEA le renvoi du "dossier iranien" devant le Conseil de Sécurité de l'ONU.
Qui plus est, selon certains experts, la semaine dernière, les Trois européens (France, Grande-Bretagne et Allemagne) et les Etats-Unis auraient eux-mêmes proposé la variante "russe" à Téhéran. Quoi qu'il en soit, le chef du programme nucléaire iranien, Gholam Reza Aghazadeh Khoy, a rejeté cette initiative de façon catégorique, en déclarant que le combustible nucléaire iranien "devait être produit sur le territoire de l'Iran".
Par ailleurs, Téhéran ne s'est pas arrêté là. Fin octobre dernier, par exemple, l'Iran a formellement averti l'Agence internationale de l'énergie atomique de sa ferme intention de renouveler le traitement d'uranium. Somme toute, l'uranium que l'on envisage de transformer à Ispahan suffirait à fabriquer une ogive nucléaire. D'après certaines informations provenant des sources anonymes, mais proches de l'AIEA, l'Iran aurait d'ores et déjà entamé le traitement d'un nouveau lot d'uranium dans le complexe nucléaire d'Ispahan. Par conséquent, on a tout lieu de supposer que Téhéran fait tout pour que le "dossier nucléaire" iranien soit renvoyé devant le Conseil de sécurité de l'ONU.
Reste cependant à savoir comment les voix se répartiront finalement à l'AIEA. Qui sera "pour" le renvoi du dossier devant le Conseil de sécurité de l'ONU, qui sera "contre"? On comprend bien que le Conseil de sécurité n'est pas une instance pour étudier les problèmes politiques, et qu'en règle générale, les questions sont examinées que si l'on a toute la certitude de dégager un consensus auprès de ses membres permanents. Aussi, importe-t-il de savoir comment la Fédération de Russie et la République populaire de Chine (RPC) vont se comporter à la réunion de l'AIEA. A la précédente réunion du Conseil des gouverneurs, ces deux pays "se sont abstenus" au cours du scrutin. Qu'en sera-t-il pour cette fois-ci? On l'ignore pour le moment.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a notamment déclaré devant les journalistes à l'issue de sa rencontre avec la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, que Moscou et Washington avaient convenu de coopérer sur le problème nucléaire de l'Iran dans le format de la "troïka européenne" plus la Russie, plus les Etats-Unis. "Nous estimons tous que les négociations pourraient reprendre. Aussi, ferons-nous tout pour qu'elles reprennent", a indiqué le chef de la diplomatie russe.
Il va sans dire que Moscou fera tout le nécessaire pour que les négociations Iran-"troïka européenne" et la coopération Iran-AIEA reprennent. Pourtant, les efforts de la seule Russie ne suffisent certes pas. Il faut que Téhéran fasse, lui aussi, des pas réciproques. Et pour le moment, il n'en est rien.