MOSCOU, 19 septembre - Vassili Kononenko, commentateur politique de RIA Novosti.
Depuis fin juillet dernier, quand, sur requête du député à la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe), Alexandre Khinchteïn, le Parquet général de la Fédération de Russie avait intenté une action en justice pour appropriation frauduleuse de biens (datchas extrêmement onéreuses), appartenant maintenant à l'ex-Premier ministre russe, Mikhaïl Kassianov, ce dernier a évité toute explication avec des journalistes. Et tout d'un coup, l'ex-Premier ministre a explosé. Il y a une semaine, la chaîne de télévision Ren TV a présenté sa brève interview, et la veille, en intervenant en direct à la radio "Echos de Moscou", Mikhaïl Kassianov a exposé sa propre vision de la situation en Russie et son rôle dans le processus politique en cours dans le pays. Le moment clé de ses dissertations a été la phrase: "Ma réponse à ce jour est: oui!". C'est ce qu'il a notamment déclaré, en répondant à la question d'un journaliste qui lui demandait s'il avait vraiment l'intention de se porter candidat au poste de Président du pays en 2008. Et d'ajouter: "Il y a encore trois mois, quand on me posait cette même question, j'avais des doutes". Quoi qu'il en soit, à présent, l'ex-Premier ministre semble s'être convaincu qu'il "ne peut tout simplement pas partir", car il ne reste plus personne, selon Mikhaïl Kassianov, dans l'actuelle arène politique pour "promouvoir les processus démocratiques" en Russie.
En vacances au bord de la Méditerranée, loin des procureurs, Mikhaïl Kassianov a même publié dans une édition londonienne un certain "Projet pour la Russie" que l'on pourrait interpréter comme le programme électoral d'un candidat à la présidence. Or, ce programme est simple et se présente à peu près comme suit: le développement de la Russie se déroulait dans la bonne voie démocratique avant que le Président Poutine ne commence à commettre erreur sur erreur, en déviant de l'ancienne ligne (c'est-à-dire celle d'Eltsine). Autrement dit, il faut corriger les fautes, revenir quatre années en arrière, quand la fameuse "famille" - le plus proche entourage d'Eltsine - "accaparait", en vertu de décrets présidentiels, des ouvrages de plus en plus nombreux dans l'industrie du pétrole et dans d'autres branches. En un clin d'œil, les membres de la "famille" devenaient milliardaires. A signaler que la réforme administrative, y compris la délimitation des niveaux de pouvoir et la désignation des gouverneurs, réforme que Kassianov critique aujourd'hui avec une extrême virulence, a d'ailleurs commencé à l'époque où il était lui-même Premier ministre et pouvait, par conséquent, dire ouvertement au peuple ce qui n'allait pas dans l'Etat. Pourtant, il n'en a rien fait. En revanche, nous avons entendu de vives protestations de Kassianov au sujet des actions en justice mises en mouvement au sujet des détournements de fonds à grande échelle. Et voilà qu'à présent, l'ex-Premier ministre déclare que les prévenus Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev "n'ont rien fait de juridiquement illicite". "Il se peut, précise cependant Kassianov, que du point de vue de la morale, leurs actions ne furent pas tout à fait correctes". Et d'expliquer que dans la législation de l'époque, il y avait des "trous" qui permettaient les évasions fiscales.
A vrai dire, seuls des gens parfaitement cyniques qui se fichent pas mal de leur propre peuple peuvent parler ainsi de ces "trous". On sait déjà bien qu'à travers ces trous qui étaient plutôt nombreux dans des zones économiques libres et dans le prétendu "mécénat" qui confine à l'escroquerie, ainsi que dans d'autres schémas "gris" de soustraction de capitaux, des milliards de dollars ont fui la Russie. En d'autres termes, ils ont été volés. Et c'est justement à la suite de telles "opérations" que la Russie est arrivée en deuxième position dans le monde pour le nombre de milliardaires en dollars. Pour ce qui est des simples millionnaires d'une trentaine d'années, ils se comptent par centaines dans le pays. Comme l'a fait remarquer un journaliste russe bien connu, "ceux qui hier n'avaient pas un sous vaillant achètent à présent des usines, des journaux, des paquebots et des clubs de foot, en ne laissant que des miettes à leurs compatriotes loyaux". Comme résultat, un des pays les plus riches du monde s'est retrouvé dans sa grande masse plongé dans la misère. Et les Russes n'ont toujours pas retrouvé leur niveau de vie de 1991, même si, sous la présidence de Vladimir Poutine, cet indice a doublé.
La rhétorique et la collection d'arguments de ce candidat potentiel à la présidence sont tout à fait classiques. Citons, par exemple, l'affirmation de l'ex-Premier ministre qui prétend notamment que la corruption en Russie vient de connaître un regain important. "Elle a toujours existé, mais aujourd'hui, d'après ce que je vois moi-même, et à en juger par ce qu'en disent les hommes d'affaires, la corruption a connu un sérieux regain", dit Kassianov. Quoi qu'il en soit, il ne dit toujours pas un mot au sujet de ses propres "datchas". Alors qu'il était Premier ministre, on savait qu'il possédait un appartement et un lopin de terre de six ares. Mais quelques mois à peine après sa démission de la fonction publique, comme le reconnaît maintenant Kassianov lui-même, "encore certaines acquisitions ont été faites". Il y a, parmi ces dernières, une maison à Joukovka, endroit prestigieux des environs de Moscou (une datcha qui coûte, d'après le député Khinchteïn, la bagatelle de 20 millions de dollars). Il y a aussi d'autres "acquisitions, liées au business", avoue Kassianov. Sosnovka, Oussovo et encore certaines choses". Précisons que la datcha d'Etat "Sosnovka-1" a été achetée par le candidat à la présidence pour seulement 720 000 dollars, bien que le coût effectif de cette résidence se montât à quelque 150 millions de dollars.
"Quand débutera la campagne électorale, je vais tout raconter et je présenterai des documents. Je répondrai aussi à toutes les questions", a déclaré le candidat au poste de Président. J'ose affirmer pourtant que nous ne verrons jamais ses déclarations de patrimoine, pour cette simple raison que Kassianov ne se propose pas du tout de se porter candidat à ce poste. Tout ce qu'il a dit relève du marchandage politique. Aussi déplorable que ce soit, il est maintenant entré dans la tradition qu'en Russie les "prévenus" se portent candidats à un poste ou à un autre alors que le procureur frappe déjà à leur porte. Et Kassianov n'est certes pas le premier sur cette liste. Sa subite "opposition" et son "élan démocratique" ne sont en fait qu'un geste, un signal au pouvoir qui veut dire: laissez-moi en paix, et je vous servirai de mon mieux en 2008.