VLADIKAVKAZ, 31 août - Alexandre Dzadziev, pour RIA-Novosti. Un an s'est écoulé depuis la prise d'otages dans une école de Beslan en Ossétie du Nord.
Ces trois jours pendant lesquels des terroristes ont détenu presque 1 500 personnes non seulement se sont avérés décisifs pour les destinées de la ville mais ont apporté de nouvelles nuances à la situation politique et ethnique dans le Nord-Caucase. Au lendemain de Beslan, Moscou annonçait une nouvelle politique dans cette région.
Mais les innovations promises sont lentes et restent pratiquement inaperçues des autochtones. Il semble que les changements politiques n'auront de sens que lorsque les événements de Beslan auront été évalués objectivement.
L'analyse des causes de cet acte de terrorisme s'impose avant tout. Rappelons qu'au lendemain des événements de Beslan les spéculations sur une éventuelle reprise du conflit armé entre Ossètes et Ingouches étaient nombreuses. Quelques heures après l'occupation de l'école de Beslan, certains médias annonçaient que la prise d'otages avait été perpétrée par une bande armée ingouche opérant en Tchétchénie. On a même cité le nom du chef de la bande, Magomed Evloev, alias Magas (ce qui ne s'est pas confirmé par la suite). On ignore jusqu'à présent à qui les terroristes se sont présentés en occupant l'école, mais on sait que cette information s'est répandue assez vite.
En s'appuyant sur cette information, des médias, des politologues russes et ossètes (connus et moins connus) n'ont pas hésité, en donnant leur avis sur la prise d'otages de Beslan, à parler de la nature ethnique de cet acte de terrorisme et se sont mis à parler de la possibilité d'un nouveau conflit armé entre Ossètes et Ingouches ou de l'apparition d'un conflit entre Ossètes et Tchétchènes. On a rappelé également que le choix de l'Ossétie du Nord pour cette prise d'otages n'avait rien de fortuit : cette république est considérée en effet comme l'un des postes avancés de la Russie dans le Caucase du Nord.
Des hommes politiques russes et ossètes ont fait aussi allusion à la piste géorgienne dans les événements de Beslan, comme si Tbilissi s'était ainsi vengé de la Russie pour le soutien apporté par Moscou à l'Ossétie du Sud.
De tels propos n'ont fait qu'aggraver la situation ethnopolitique dans le Nord-Caucase.
Mais, en donnant leur propre version des objectifs que poursuivaient les terroristes à Beslan ("provoquer un conflit entre Ossètes et Ingouches"), ni les politologues, ni les journalistes ne se sont souvenus que personne, y compris eux-mêmes, n'ont jamais présenté les actes de terrorisme commis en Russie par les bandits opérant en Tchétchénie comme ayant un caractère ethnique.
Les raids sur Boudennovsk, Kizliar et Pervomaïskoïé, les explosions à Moscou et dans d'autres villes russes, notamment en Ossétie du Nord, l'invasion du Daghestan et de l'Ingouchie, l'assassinat du premier président tchétchène Akhmad Kadyrov et d'autres crimes encore ne sont rien d'autre que des actes d'intimidation commis par les terroristes tchétchènes contre la Russie dans son ensemble et non pas contre le Territoire de Stavropol, le Daghestan, l'Ingouchie ou Moscou concrètement. La tragédie de Beslan ne fait pas exception à la règle et confirme le fait que ce conflit qui a éclaté il y a dix ans en Tchétchénie a depuis longtemps franchi les limites de cette entité de la Fédération de Russie. Depuis, les bandits ne font que poursuivre et diversifier leurs activités.
Par bonheur, les dirigeants et le peuple de l'Ossétie du Nord ont fait preuve de suffisamment de sagesse pour ne pas se laisser guider par ceux qui prédisaient ou provoquaient un nouveau conflit armé entre Ossètes et Ingouches. Seulement, la normalisation des rapports entre les deux peuples s'en est trouvée considérablement compliquée.
Les tentatives d'utiliser la tragédie de Beslan pour attiser les états d'esprit antigéorgiens, déjà très présents en Ossétie du Nord et du Sud, ont heureusement échoué. Mais cela ne signifie pas que des conclusions appropriées ne doivent pas en être tirées.
Revenons au terrorisme international qui, profitant en son temps de la faiblesse de Moscou dans le Nord-Caucase y a fait son nid. Sans aucun doute, les mouvements de terroristes internationaux ont-ils toujours soutenu les terroristes de Tchétchénie. Mais il ne faut pas oublier que le noeud tchétchène qui s'est formé au début des années 1990 n'est toujours pas défait. Enfin, les tentatives de la Fédération pour régler le problème tchétchène ont fait que la politique nord-caucasienne de Moscou se réduisait essentiellement à la Tchétchénie ou bien était appliquée dans l'optique tchétchène. Les efforts pour changer, après Beslan, la situation au Caucase dans son ensemble n'ont pour l'instant pas donné de résultats tangibles, du moins pour les habitants de l'Ossétie du Nord.
Quant à nous autres, habitants de la république qui avons vécu la tragédie de Beslan, nos estimons qu'apprendre ce qui s'est réellement passé il y a un an et qui en assume la responsabilité a une importance vitale pour nous. Même si l'enquête se poursuit depuis un an, la situation n'en devient pas moins embrouillée. Nous attendons toujours que toute la vérité soit dite, bien que le doute subsiste que les autorités le fassent un jour. Comme il y a un an, une atmosphère lourde règne dans la république. Oui, on ne saurait revivre à l'infini cette tragédie. Mais, pour vivre, les gens doivent savoir que des leçons en ont été tirées. Et pour cela nous avons besoin de connaître la vérité. C'est l'unique moyen de rétablir la confiance envers les autorités et la certitude en l'avenir.
(Alexandre Dzadziev est chercheur au secteur des Etudes ethnopolitiques de l'Institut d'études humanitaires et sociales d'Ossétie du Nord à Vladikavkaz.