Journée du Baïkal, journée de craintes

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MOSCOU, 24 août. (Par Tatiana Sinitsyna, commentatrice de RIA Novosti). La Journée du Baïkal est célébrée en Russie le quatrième dimanche d'août (cette année ce jour tombera le 28).

Trois entités de la Fédération de Russie la célèbrent avec un panache particulier: la République de Bouriatie ainsi que les régions d'Irkoutsk et de Tchita dont les territoires sont riverains du lac.

En qualité de chef-d'oeuvre de la nature et de réserve planétaire stratégique d'eau douce, le Baïkal a été porté sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO en 1997. Le lac recèle 20% des réserves mondiales d'eau potable: 23 milliards de mètres cubes. Il a vu le jour voici vingt millions d'années dans une faille tectonique ayant pris la forme d'un croissant. La superficie du lac est de 31.500 kilomètres carrés, sa profondeur maxi est de 1.620 mètres. La structure endémique de ce réservoir exceptionnel est fragile et vulnérable, seulement grâce à elle les eaux sont très saines et d'une pureté cristalline. "Le Baïkal est investi d'une mission naturelle particulière, celle d'harmoniser l'Océan, affirme la biologiste Larissa Kokhova, présidente de la Fondation internationale Baïkal-Patrimoine mondial.

Naissant et grandissant dans le Baïkal, les molécules d'hydrogène passent par diverses étapes de formation et se chargent naturellement des symboles "positif" et "négatif", ce qui confère à l'eau des propriétés magnétiques, explique Larissa Kokhova. Cette eau lacustre "vivante" est acheminée jusqu'à l'océan Glacial du Nord par l'Angara et l'Ienisseï.

La nature a pris soin de dissimuler ce plan d'eau étonnant au fin fond de la Sibérie sud-orientale, au milieu des montagnes et de la taïga, mais cela n'a pas empêché les hommes de l'atteindre et de s'installer sur ses rives il y a des temps immémoriaux. Le lac a toujours été une source de nourriture et aussi d'enrichissement de l'esprit et de la culture des aborigènes. Tout cela est bien entendu reflété dans le scénario de la célébration de la Journée du Baïkal. Il diffère selon les districts mais possède quand même des traits communs: représentations folkloriques somptueuses, concerts de variétés, conférences scientifiques, etc.

Depuis quelques années les jeunes écologistes invitent à la fête des homologues étrangers et effectuent avec eux des "Randonnées vertes internationales" (des Américains et des Allemands sont déjà venus). Les tours pédestres sur les rives du lac associent l'utile à l'agréable: les promenades investigatrices sont parfois interrompues par des ramassages d'ordures et des plantations d'arbres. Ce qui assure aux jeunes écolos un accueil à bras ouverts dans les localités riveraines.

A l'occasion de la Journée du Baïkal les chamans autochtones, dont les cérémonies glorifient le Baïkal, adjurent les esprits de se montrer cléments et généreux à l'égard du lac et de ceux qui y sont liés.

Toutefois, celle fête fait aussi figure de "tocsin" rappelant à la société le drame écologique que vit le lac. Il est très important de se défaire de "l'esprit routinier" qui sévit à l'égard des problèmes du Baïkal. Le plus grave d'entre eux est la présence sur la rive du Combinat de cellulose et de pâte à papier (CCPP). Les eaux usées, imprégnées de suspensions et fortement chlorées, ont un impact nocif sur l'endémique coperode epischura, qui inlassablement filtre les eaux lacustres.

L'histoire du drame baïkalien remonte aux années 1960, quand au Kremlin décision avait été prise de mettre en chantier une unité de production de cellulose et de pâte à papier (CCPP) à l'extrémité méridionale du lac. Cette idée aberrante avait été émise par le dirigeant du pays d'alors, Nikita Khrouchtchev.

C'était l'époque de la guerre froide, l'URSS rivalisait désespérément avec l'Occident, peu importait les moyens utilisés pour parvenir aux objectifs fixés. Les pères du projet voyaient tout d'abord dans le Baïkal la source qui procurerait d'eau pure indispensable pour la fabrication du "produit-100", c'est-à-dire du cordon de cellulose super-solide. Cet article était réclamé par l'aviation supersonique et la toute jeune industrie aérospatiale. Cependant une autre solution fut trouvée, mais le CCPP est resté. Il a été privatisé et aujourd'hui il procure des bénéfices non négligeables.

En toute justice force est de dire que ces eaux usées (42 millions de mètres cubes par an) ont un degré d'épuration élevé, ce qu'ont d'ailleurs attesté sept experts de la Banque mondiale - spécialistes suédois, norvégiens et finlandais de l'industrie du papier - ayant visité le site. Tout simplement, nulle part ailleurs dans le monde on ne construit de telles entreprises à proximité de lacs exceptionnels.

Même des doses minimes de suspensions étrangères s'infiltrant dans les eaux du Baïkal ont un impact nocif sur la population de coperode epischura. Cette espèce endémique présente déjà des signes de dégradation, les ouies sont atteintes, la carapace s'affine. Or, si le coperode epischura disparaît, c'est le lac qui mourra, dit la biologiste Larissa Khokhova. Les spécialistes estiment que seule une mesure radicale pourra éviter le pire: la fermeture du CCPP. Seulement un problème humanitaire surgirait alors. C'est que l'entreprise a donné naissance à Baïkalsk, une ville de 17.000 habitants que l'Etat n'est pas en mesure de déplacer.

En 1997, la Douma (chambre basse du parlement russe) a adopté la Loi sur le Baïkal. Ce texte restreint notablement l'activité du CCPP, il faut transférer sa production en cycle fermé. Cette mesure pourrait réduire au minimum les effets négatifs sur le lac, mais pour le moment la loi reste sur le papier.

Malheureusement, le CCPP ne constitue pas le seul danger menaçant le lac. Les inspecteurs du Service fédéral de contrôle de l'utilisation de la nature (Rosprirodnadzor) ont récemment pris la société Transneft en flagrant délit de travaux de prospection à proximité du Baïkal, dans le cadre de la pose de l'oléoduc Sibérie-océan Pacifique. Les pétroliers voudraient par économie faire passer la conduite le plus près possible du lac sans y être autorisés par les services écologiques.

Des efforts conjoints doivent être appliqués pour que le Baïkal puisse conserver son statut de site naturel. Nous nous devons de le faire pour que cette rareté puisse continuer d'être transmise de génération à génération, a dit le directeur du Rosprirodnadzor, Sergueï Saï, au cours d'une conférence de presse donnée récemment au siège de RIA Novosti. Il ne fait aucun doute que ceux qui enfreignent la législation dans la zone réservée du Baïkal doivent être sévèrement sanctionnés par l'Etat.

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