MOSCOU, 10 août - par Vassili Kononenko, commentateur politique de RIA Novosti. La Douma doit examiner en automne un projet de loi avancé par le ministère des Finances qui propose aux Russes de faire rentrer les capitaux qu'ils ont gagnés à l'époque du "capitalisme sauvage" et qu'ils gardent à l'étranger.
La légalisation de ces fonds ne sera pas difficile: il suffit de déposer entre le 1er janvier et le 1er juillet 2006, une déclaration indiquant le montant des recettes récoltées avant 2005 qui sera soumis à un impôt sur les revenus de 13%.
Mené depuis des années à tous les échelons du pouvoir et parmi les experts, le débat autour des milliards de dollars qui ont fui la Russie pour alimenter tous les ans les différentes zones offshore touchent à leur fin. Cette initiative a toujours fait de nombreux sceptiques. Leur argument: seul un idiot pourrait accepter ce strip-tease financier, puisque les sommes déclarées pourraient être aussitôt communiquées au Comité du suivi financier ou à n'importe quelle autre structure fiscale. Une logique qui semblait jusqu'ici inébranlable. Mais les autorités russes se sont hasardées à annoncer une amnistie fiscale des capitaux dont le montant se situerait, selon des experts, entre 500 et 1 000 milliards de dollars.
Certains sceptiques affirment que les patrons n'accepteront jamais de déclarer leurs revenus. L'ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire Moskovskie Novosti, Evguéni Kisselev, a estimé dans une interview: "Je ne crois pas qu'il y ait des fous prêts à déclarer leurs capitaux. Après l'affaire Yukos et les autres scandales fiscaux, ces jeux-là ne séduisent plus personne". Pourtant, c'est l'affaire Yukos qui a poussé les grandes compagnies à payer plus d'impôts, les recettes du fisc ayant progressé de plus de 20%, alors que les salaires "gris" se font de plus en plus rares. Autrement dit, sur le plan purement économique, le tableau s'annonce tout de même plutôt prometteur.
Naturellement, les autorités ne s'attendent pas à voir défiler devant les services fiscaux les oligarques venus bénir leurs milliards. Elles misent davantage sur ceux qui ne veulent plus risquer leur fortune réalisée à partir de revenus non déclarés, ils sont plusieurs millions en Russie. Même si une partie d'entre eux se décident à sortir de l'ombre, la base d'imposition ne tardera pas à grimper, ce qui sera d'un grand secours face à une compression catastrophique de la main-d'œuvre attendue dans deux ou trois décennies à venir. Par contre, ceux dont les capitaux sont d'origine criminelle, à savoir proviennent du trafic d'armes ou de drogue, du racket ou des pots-de-vin, ne déclareront jamais l'origine de leur fortune.
La nouvelle initiative des autorités mise avant tout sur une relation de confiance entre les citoyens et le pouvoir. L'affaire est donc politique. Avec les trois ans de prescription pour les privatisations, cette amnistie offre une chance de bâtir enfin une économie "civilisée". Mais il reste deux questions en suspens: les fonds légalisés seront-ils vérifiées, et que faire avec les fonctionnaires corrompus?
Le ministre des Finances, Alexeï Koudrine, a répondu à la première question en promettant l'absence de tout contrôle particulier. Cette promesse est cruciale, mais on ne sait pas comment la Russie pourra ensuite dépister l'argent "sale" et respecter les exigences du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI).
Quant à la corruption des fonctionnaires qui se font de plus en plus nombreux parmi les propriétaires de yachts et de villas sur la Côte d'Azur, tout porte à croire que cette question reste sans réponse. Les fonctionnaires, députés compris, ne vont jamais laisser adopter une loi contre leurs propres intérêts. Là, ce sont la volonté politique des autorités et le consensus au sein de la société qui s'imposent.