Les raisons pour lesquelles l'Ouzbékistan insiste sur le retrait de la base américaine

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MOSCOU, 2 août (par Alexei Makarkine, directeur général adjoint du Centre de technologies politiques - RIA Novosti).

Le désir de contrôler l'Asie centrale inspire les actions de certains Etats depuis plus d'un siècle. La Grande-Bretagne qui a abandonné ses ambitions impérialistes a désormais été remplacée par les Etats-Unis qui en manifestent aujourd'hui de nouvelles.

Certains Etats indépendants d'Asie centrale ne sont apparus sur la carte géographique qu'au 20e siècle. Les récents événements qui ont eu lieu récemment dans cette région - notamment le sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Astana, la tournée effectuée par le Secrétaire américain à la Défense Donald Rumsfeld dans les pays d'Asie centrale, et la décision de l'Ouzbékistan sur le retrait de la base américaine dans un délai de six mois - marquent une nouvelle étape du jeu au sein duquel, chaque participant détient ses propres intérêts.

Les Etats-Unis sont intéressés à maintenir leur présence militaro-politique dans la région après la "pacification" de l'Afghanistan. Il est en effet peu probable que le régime du président actuel de ce pays, Hamid Karzaï, puisse être considéré comme solide après les élections législatives d'automne prochain. C'est pourquoi les Etats-Unis seront également intéressés, par la suite, à disposer d'infrastructure de transports en vue de transférer leurs troupes en Afghanistan. Mais la présence américaine s'explique par le désir des Etats-Unis de s'implanter dans la région, en en évinçant aussi bien la Russie qui dispose d'une influence traditionnelle, que la Chine qui a également ses intérêts en Asie centrale.

Donald Rumsfeld a effectué une tournée, afin de conserver les positions américaines en Kirghizie et, si c'est possible, en Ouzbékistan. Ces positions ont été ébranlées par la recommandation faite aux Américains par l'OCS, de définir les délais de la présence de leurs bases militaires dans la région.

Le Secrétaire américain à la Défense s'est acquitté de la première mission: la base américaine restera en Kirghizie. Quant à la deuxième mission, sa réalisation reste plus ardue. Il s'agissait pour Washington de conserver sa base en Ouzbékistan et de continuer à faire pression sur le régime d'Islam Karimov en vue d'imposer la mise en place d'un régime démocratique. Ce qui a incité Islam Karimov à soulever la question du retrait de la base dans les plus brefs délais. A présent, les Etats-Unis miseront sur sa base en Kirghizie, ce qui aura, d'ailleurs, certains inconvénients: les avions se rendant en Afghanistan devront faire le ravitaillement en vol. Il n'est pas exclu que les Américains cherchent à déployer une autre base dans l'espace postsoviétique: par exemple, en Azerbaïdjan (la nécessité de garantir la sécurité de l'oléoduc Bakou-Ceyhan pourrait justifier sa présence).

La Russie participe également à ce jeu. Sans vouloir se quereller ouvertement avec les Etats-Unis en "évinçant" les bases américaines de la région (dans ce cas, elle pourrait être accusée de torpiller la coalition antiterroriste). Son objectif est de réduire la présence des bases militaires américaines dans la région au mandat afghan, évitant ainsi la perpétuation de la présence militaire des Etats-Unis en Asie centrale. D'ailleurs, cette prise de position est en parfait accord avec le point de vue émis lors du sommet de l'OCS à Astana. Dans le cadre de cette stratégie, le prolongement de la présence de la base américaine en Kirghizie (compte tenu des événements afghans) n'est pas contraire, en principe, aux intérêts russes à long terme. Le maintien de la présence militaire russe dans la région - en Kirghizie et au Tadjikistan - fait lui aussi partie du jeu qui se déroule dans la région.

La décision "sensationnelle" de l'Ouzbékistan ordonnant le retrait de la base américaine montre que Tachkent agit dans ses propres intérêts, tout en soulignant de plus en plus son alignement sur la Russie. Pour Moscou, le comportement de Tachkent est très avantageux: la Russie n'assume pas la responsabilité des actions d'Islam Karimov et, comme on peut en juger, elle ne l'a pas incité à prendre une décision aussi rigide. Mais Islam Karimov trouve important de montrer à la Russie (et à la Chine) qu'il a brûlé les ponts dans ses rapports avec les Etats-Unis: c'est une sorte de "cadeau géopolitique" pour le soutien dont a bénéficié son régime auprès des pays de l'OCS après la crise d'Andijan. Le fait que les Américains se soient montrés moins critiques envers Islam Karimov, à la veille de la visite de Donald Rumsfeld, n'a pourtant pas influé la position occupée par Tachkent. Le président d'Ouzbékistan comprend parfaitement que les Etats-Unis continueront à insister sur la démocratisation forcée de son régime. Dans ces conditions, la protection accordée par les Américains aux réfugiés ouzbeks qui se sont rendus, avec le concours des Etats-Unis, de Kirghizie en Roumanie n'a été qu'un geste irritant supplémentaire pour Tachkent qui a adopté en réponse, sa décision de principe.

En ce qui concerne les intérêts d'autres Etats, il convient de mentionner la volonté des nouveaux dirigeants de la Kirghizie d'établir des rapports équilibrés aussi bien avec Moscou qu'avec Washington qui a l'intention de lui octroyer, en échange de la conservation de sa base, un crédit sans intérêt de 200 millions de dollars (ce qui constitue 60 % des recettes budgétaires du pays). Dans l'ensemble, le Tadjikistan s'aligne sur la Russie. Quant à la Chine, elle voudrait accroître son influence en Kirghizie, mais n'y réussit pas pour l'instant. "La question relative au déploiement d'une base militaire chinoise sur le territoire de la Kirghizie a été débattue au niveau interétatique, mais la position de la Kirghizie reste immuable: elle ne veut pas se transformer en un polygone militaro-politique", affirme le vice-premier ministre intérimaire de ce pays Adakhan Madoumarov. De plus, en ce moment, il n'y a pas de divergences substantielles entre les positons de Moscou et de Pékin sur les problèmes régionaux.

Bref, un jeu très versatile se déroule en Asie centrale où l'on emploie des moyens sournois: les résultats du "marchandage" secret refont surface de temps en temps. La concurrence entre les différents joueurs va probablement s'accroître dans la région. Il est peu probable que la Chine abandonne l'idée d'y installer sa présence militaro-politique, tout comme il est douteux de penser que les Etats-Unis consentent aussi facilement à quitter la Kirghizie, même après la "pacification" de l'Afghanistan.

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