La Transnistrie entre la Russie et l'Ukraine

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MOSCOU, 21 juillet (par Alexeï Makarkine, directeur général adjoint du Centre de technologies politiques).

Les autorités de la Transnistrie (république autoproclamée au sein de la Moldavie) ont appelé l'Ukraine à déployer des soldats de la paix dans la région.

Le président transnistrien, Igor Smirnov, a fait une déclaration en ce sens. "J'ai demandé à l'Ukraine de réexaminer la question de l'envoi de soldats de la paix ukrainiens dans la République moldave de Transnistrie, et la réponse a été positive", a-t-il indiqué mardi au cours d'une conférence de presse à l'issue de son récent voyage à Kiev et de ses consultations avec le président ukrainien Viktor Iouchtchenko.

La participation active de l'Ukraine à l'opération de maintien de la paix est prévue par les Accords d'Odessa de 1998, a relevé M. Smirnov. "Il ne m'appartient pas de décider de l'ampleur de cette participation, cette question sera réglée par Viktor Iouchtchenko", a-t-il précisé.

A l'heure actuelle, la force de maintien de la paix est composée de contingents russe, moldave et transnistrien. L'Ukraine y est représentée par un groupe de dix observateurs militaires.

Le prochain déploiement de soldats de la paix ukrainiens en Transnistrie s'effectuera alors que Kiev propose son plan de règlement de la crise dans cette région. Etrangement, les plans russe et ukrainien de règlement du conflit en Transnistrie (connus sous le nom de plan Kozak et plan Iouchtchenko) ont été catalogués comme pratiquement identiques, et leurs différences seraient insignifiantes. Cette vision des deux documents semble plutôt erronée : malgré la ressemblance apparente de certaines dispositions, ils poursuivent des objectifs géopolitiques diamétralement opposés.

Si le plan Kozak prévoit de maintenir la présence militaire et politique russe dans la région, le plan Iouchtchenko vise à y mettre un terme. Le plan de Dmitri Kozak préconise la fédéralisation de la Moldavie, et celui de Viktor Iouchtchenko ne prévoit que d'accorder le statut d'autonomie à la Transnistrie.

Selon le plan Kozak, la langue russe doit être utilisée dans les établissements publics dans l'ensemble du territoire du pays, alors que le plan ukrainien ne le prévoit pas (et le président moldave, Vladimir Voronine, qui coordonne ses actions avec Kiev, n'accepte d'accorder au russe le statut de langue officielle que sur le territoire de la Transnistrie).

Quant aux ressemblances entre les deux plans, elles s'expliquent par une évidence : tout plan de maintien de la paix est le résultat d'un compromis, qui tient plus ou moins compte des intérêts de toutes les parties impliquées dans le conflit.

La Russie s'est trouvée finalement dans une situation assez délicate. Premièrement, le plan de Victor Iouchtchenko est conforme aux normes démocratiques européennes et il est donc difficile de l'écarter d'emblée. Son rejet par la diplomatie russe serait l'occasion de prétendre que la Russie cherche à maintenir sa présence militaire dans la région au lieu de régler le conflit.

Il est également difficile pour Moscou de désapprouver officiellement le projet de "démocratisation" de la Transnistrie. Aussi la partie russe a-t-elle approuvé, bien que sous une forme atténuée, les propositions ukrainiennes, tout en faisant ressortir leur point faible, à savoir leur caractère peu concret.

Deuxièmement, les relations entre Moscou et Chisinau sont actuellement plus que froides, tandis qu'avec Tiraspol (capitale de la Transnistrie), les difficultés ne manquent pas non plus.

L'establishment transnistrien ne semble pas uni. Il est bien évident que les personnages tels que le puissant ministre de la Sécurité Vladimir Antioufeev (ancien chef des Omons - troupes d'élite du ministère de l'Intérieur - de Riga, à l'époque de l'opposition politique violente en Lettonie en 1990 et 1991) auront peu de chances de s'adapter aux conditions d'une Transnistrie "démocratisée". Mais beaucoup d'autres représentants de l'élite locale sont las du statut de "république autoproclamée" et souhaiteraient trouver un compromis permettant de préciser l'identité politique et le statut économique de la région.

Par ailleurs, l'éventualité d'un conflit avec l'Ukraine, qui durcit déjà son régime douanier, n'a rien de réjouissant. Ce n'est pas un hasard si Igor Smirnov, obligé de tenir compte des tendances actuelles dans la république, a rencontré vendredi dernier le président ukrainien, Victor Iouchtchenko, pour approuver formellement le plan qu'il a proposé. C'est sans doute la raison pour laquelle il invite les soldats de la paix ukrainiens à s'installer dans sa république autoproclamée.

Ces gestes à l'égard de Kiev devraient montrer que le leader transnistrien est ouvert au dialogue et est prêt à faire des compromis. Dans le même temps, Igor Smirnov s'oppose vivement au déploiement dans la région des troupes de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), c'est-à-dire, à la révision des Accords d'Odessa en faveur de l'Occident.

Les compromis acceptables par le leader de la Transnistrie ont leurs limites : il est prêt à avoir affaire à ses "frères slaves", mais ne veut pas entendre parler des "Occidentaux".

La lutte géopolitique pour la Transnistrie semble donc entrer dans sa phase décisive. A l'heure actuelle, la Russie tend à diversifier sa position : l'attitude plutôt positive à l'égard du plan Iouchtchenko voisine avec la désapprobation catégorique des actions des autorités de Chisinau (capitale moldave) qui cherchent à provoquer une scission entre les dirigeants transnistriens (c'est dans cet objectif que Vladimir Voronine propose de supprimer le poste de président de la république autoproclamée tout en renforçant le rôle de son Conseil suprême).

Cependant, Chisinau devra, dans l'avenir le plus proche, adopter des décisions de principe. Celles-ci seront le plus probablement fondées sur les dispositions essentielles du plan Iouchtchenko, en prenant peut-être en considération les intérêts russes.

Maintenir la présence militaire et politique réelle, et non pas seulement formelle, de la Russie dans la région est la tâche suprême qu'il sera extrêmement difficile de réaliser. Il est bien évident toutefois que Moscou prendra toutes les mesures possibles pour y parvenir.

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