Le terrorisme nationaliste: un nouveau danger pour la Russie

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MOSCOU, 6 juillet (par Youri Filippov, commentateur politique de RIA Novosti).

Les organes d'instruction russes sont remontés jusqu'aux auteurs présumés du plasticage du train Grozny-Moscou tôt le matin du 12 juin 2005 - Journée de la Russie - dans les environs de Moscou. Le remblai avait sauté juste avant le passage du convoi. L'attentat n'avait pas fait de morts, mais 42 personnes avaient été blessées.

Sur le plan du symbolisme, l'effet avait été double: la Journée de la Russie, des voyageurs arrivant de Tchétchénie, que les Russes avaient été contraints de quitter dans les années 90 du siècle dernier, etc. Il aurait pu s'agir aussi bien d'une nouvelle action des extrémistes tchétchènes que d'un acte perpétré par des nationalistes russes. Toutefois, certains indices ont incité les enquêteurs à mener leurs investigations en direction des seconds. Et ils ne se sont pas trompés. Le parquet de la région de Moscou a annoncé que deux auteurs présumés de l'attentat arrêtés - Vladimir Vlassov et Mikhaïl Klevatchev - sont membres de l'Unité nationale russe (RNE), une organisation nationaliste radicale interdite considérée comme ouvertement fasciste en Russie.

Le plasticage du train en provenance de Grozny était un maillon de plus à la chaîne des actions extrémistes et des attentats perpétrés ces derniers temps en Russie et n'ayant aucun rapport direct avec le réseau terroriste international et, notamment, avec le terrorisme islamique.

L'action la plus retentissante dans ce registre est certainement l'attentat perpétré au printemps contre le président de la RAO EES Rossii (Electricité de Russie) Anatoli Tchoubaïs. Personne n'avait été atteint par les éclats de la bombe qui avait explosé au passage du cortège dans lequel Anatoli Tchoubais se trouvait, mais l'attentat avait eu un immense retentissement politique en Russie. En ce qui concerne ce crime, le parquet accuse également les nationalistes russes. Selon sa version, le principal suspect, le colonel russe en retraite Vladimir Kvatchkov, animait dans sa datcha une sorte de club terroriste nationaliste, dont les membres concoctaient des mesures en vue d'exercer des pressions musclées sur les "ennemis de la Russie", voire de les éliminer physiquement. A propos, les personnes suspectées du plasticage du train Grozny-Moscou, aux domiciles desquelles les enquêteurs ont découvert une grande quantité d'explosifs, pourraient également être impliquées dans l'attentat à la vie d'Anatoli Tchoubaïs.

Il y a quelques jours un tribunal de la région de Moscou a interdit le Parti national-bolchevik extrémiste d'Edouard Limonov, qui avait déjà été condamné à une peine d'emprisonnement pour terrorisme et détention d'armes. Pour le moment les nationaux-bolcheviks, qui n'entendent pas cesser leurs activités malgré la décision de justice dont ils font l'objet, se spécialisent principalement dans des actions relativement "pacifiques": ils se livrent à des lanceurs d'oeufs pourris contre les "ennemis de la Russie", placardent des mots d'ordre antigouvernementaux, occupent des bâtiments publics. Par exemple, en été de l'année dernière des militants du parti d'Edouard Limonov avaient fait irruption dans le ministère de la Santé et du Développement social en signe de protestation contre la monétisation des avantages en nature et un peu plus tard ils avaient occupé la réception de l'administration du président russe.

Les autorités réagissent avec une fermeté extrême à l'égard des actions des nationaux-bolcheviks. Les participants à l'action contre le ministère de la Santé ont été condamnés à cinq ans de prison en dépit des tentatives de l'opinion pour démontrer le caractère anodin de leurs actes. Il est possible qu'en fixant la peine, les juges aient pris en considération non pas le délit, mais l'idéologie des nationaux bolcheviks. Une idéologie qui n'exclut pas le recours à la force et la terreur à des fins politiques. Dans le manifeste national-bolchevik "L'autre Russie" on trouve, entre autres choses, des réflexions sur le transfert de la lutte clandestine à l'étranger et la création de bases de partisans dans un Etat limitrophe de la Russie.

Dans une interview accordée récemment à la revue allemande Spiegel, le chef adjoint de l'administration présidentielle, Vladislav Sourkov, a fait part très clairement de la préoccupation des autorités russes face au danger du terrorisme nationaliste local. "Si les forces chauvines pro-fascistes provoquent une flambée d'extrémisme islamique, cela mettrait gravement en danger l'intégralité de notre Etat multiethnique", a-t-il dit. Il apparaît donc que le Kremlin redoute sérieusement de voir un terrorisme nationaliste local orienté contre les politiques libéraux et les minorités ethniques se développer aux côtés de l'islamisme international, du terrorisme wahhabite qui est déjà sorti des frontières de la Tchétchénie pour s'étendre au Daghestan voisin et aux autres républiques du Caucase du Nord. Et aussi de voir ces deux terrorismes s'affronter, ce qui serait encore plus terrible. Dans la Russie multiethnique, ou quelque 20 millions de personnes pratiquent l'islam, cela équivaudrait à une guerre civile de grande envergure, comme celle qui avait fait rage dans les Balkans dans les années 90.

Dans une interview accordée au début de son second mandat présidentiel, Vladimir Poutine avait qualifié les extrémistes russes d'"imbéciles" et de "provocateurs". Mais bien que la cote de popularité du président soit très élevée, selon les sondages il bénéficie du soutien de 70 pour cent de la population, les seules paroles sont insuffisantes pour donner un coup d'arrêt à l'expansion de l'extrémisme nationaliste en Russie. Et les autorités ne se cantonnent pas aux paroles.

Ce type d'extrémisme est très dangereux parce que la jeunesse y est particulièrement réceptive. De l'avis des organes de maintien de l'ordre, quelque 50.000 adolescents russes s'identifient aux "skinheads" (jeunes partisans d'une idéologie nationaliste d'agressivité et de violence). Pour l'instant ces jeunes gens boivent de la bière dans des terrains vagues et dérouillent des étrangers quand l'occasion se présente. Mais parfois ils les frappent à mort, comme cela s'est produit il n'y a pas longtemps à Saint-Pétersbourg avec un étudiant vietnamien. Et ici personne ne peut garantir qu'après avoir grandi un peu ces jeunes gens ne constitueront pas une force politique organisée et agressive.

C'est justement la raison pour laquelle les actions des autorités vis-à-vis des nationalistes extrémistes resteront certainement implacables. Si leur culpabilité est prouvée, les personnes suspectées du plasticage du train Grozny-Moscou devront s'attendre à passer une bonne partie du reste de leur vie derrière les barreaux sans droit de grâce ni d'amnistie.

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