Iran-AIEA: l'inspection que tout le monde attendait

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MOSCOU, 14 juin. (Par Piotr Gontcharov, commentateur de RIA Novosti).

 La visite entamée sans préavis il y a quelques jours en Iran par des spécialistes de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour inspecter des sites nucléaires dans ce pays ne saurait être qualifiée d'inattendue. D'abord parce que conformément au protocole additionnel au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNPAN) ces inspections doivent être effectuées par les experts de l'AIEA sans notification préalable. La période de l'inspection - du 7 au 18 juin - elle non plus n'a rien d'inattendu. C'est le 13 juin que le Conseil des gouverneurs de l'AIEA doit commencer ses travaux. Quant au 17 juin, c'est la date de la tenue de l'élection présidentielle en Iran. Il n'y a pas lieu de douter que les résultats de l'inspection auront une incidence dans le premier et le second cas.

Cette fois les experts de l'AIEA devront, conformément à une résolution du Conseil des gouverneurs, contrôler la réalisation par l'Iran de ses engagements concernant l'arrêt provisoire de l'enrichissement d'uranium. C'est qu'un prétexte assez sérieux existe pour cette inspection.

Au cours du dernier round, extraordinaire, tenu à Genève, des négociations Iran-UE, la "troïka européenne" (Grande-Bretagne, France, Allemagne) avait promis à Téhéran de présenter fin juillet-début août un nouveau programme de règlement du "dossier nucléaire" iranien, en échange de quoi Téhéran s'était engagé à prolonger de deux mois le moratoire sur l'enrichissement d'uranium.

Téhéran a pris cet engagement, cependant les autorités iraniennes ont déclaré depuis à plusieurs reprises qu'elles n'entendaient plus prolonger le moratoire. Il y a quelques jours le parlement iranien a fait une déclaration dans ce sens. Les députés ont adressé au président iranien une lettre officielle dans laquelle ils lui demandent de reprendre les travaux dans ce domaine et de poursuivre la mise au point des technologies nucléaires civiles. Ce qui semble indiquer qu'à l'intérieur du pays une lutte d'idées est menée sur cette question et que l'engagement pris à Genève par Téhéran pourrait faire les frais de cette lutte. Le moment était donc venu de se rendre sur place pour faire le point.

L'inspection qui vient de commencer comporte une autre nuance. Lors de la dernière réunion du Conseil des gouverneurs, tenue en avril, la nomination du nouveau directeur général de l'AIEA avait été reportée au mois de juin à la demande des Etats-Unis. Le représentant américain à cette réunion avait été le seul à s'opposer fermement à la réélection du directeur général en place de l'AIEA, l'Egyptien Mohammed el-Baradeï, pour un troisième mandat. Les Etats-Unis ont des raisons d'avoir Mohammed el-Baradeï en grippe. Pour Washington, l'Egyptien manque de fermeté à l'égard de l'Iran. En demandant le report du vote sur la candidature du patron de l'AIEA au mois de juin, les Etats-Unis espéraient gagner du temps pour rallier à leur cause d'autres Etats membres du Conseil, "saborder" el-Baradeï et faire passer une candidature alternative compromissoire.

Il est inutile d'expliquer dans quel contexte se déroulera la rencontre que la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, et Mohammed el-Baradeï vont avoir ces jours-ci. "J'ai l'intention de lui demander de m'exposer la vision qu'il a des plans de l'AIEA pour les prochaines années qui sont d'une importance exceptionnelle", a déclaré Condoleezza Rice en ajoutant que selon elle la problématique iranienne serait l'un des principaux sujets des pourparlers. Maintenant imaginons que l'inspection surprise de l'AIEA en Iran trouve - ou ne trouve pas - de faits confirmant l'abandon du moratoire sur l'enrichissement de l'uranium. Cela aura aussi un impact sur la rencontre du directeur de l'AIEA avec Condoleezza Rice et sa réélection.

Surtout que dans la politique nucléaire de Téhéran on observe sans mal que fréquemment des ententes intervenues lors des négociations sont ensuite dénoncées par de hauts responsables ou instances. Cela dit, on distingue mal la politique que Téhéran entend appliquer à l'avenir: celle d'ententes intervenues au cours de pourparlers ou bien celle de déclarations officielles faisant suite à ces ententes.

Il est douteux que Téhéran n'ait pas été au courant de la position des Etats-Unis qui rêvent de prendre l'Iran en flagrant délit d'enrichissement d'uranium militaire et de transmettre son "dossier" au Conseil de sécurité de l'ONU dans l'espoir de sanctions. Parfois on a même l'impression que Téhéran incite sciemment la "troïka européenne", menant des négociations avec lui, et les Etats-Unis, qui se tiennent en retrait, à prendre des sanctions contre lui. Qu'est-ce que tout cela cache-t-il? La certitude de l'infaillibilité de sa politique nucléaire? Peu probable. La situation dans laquelle l'AIEA n'a pas réussi à démontrer formellement l'existence d'une composante militaire dans le programme nucléaire iranien tandis que l'Iran s'est avéré incapable de démontrer son absence ne satisfait personne: ni l'agence, ni la "troïka européenne", ni la Russie si l'on en juge d'après la dernière déclaration du président Poutine. Nous ne parlerons pas des Etats-Unis.

Il est certain que Téhéran avait prévu cette inspection, qu'il s'était préparé en conséquence et que les deux spécialistes de l'AIEA arrivés en Iran le 12 juin procéderont à une inspection très poussée. S'ils découvraient une "trace d'uranium" dans les centrifugeuses iraniennes, les Etats-Unis disposeraient de leviers de pression réels, par le biais de l'Union européenne cela s'entend, sur le futur président iranien. Lui et son administration devraient alors déblayer les "abattis nucléaires" au cours des nouvelles négociations avec l'UE.

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