Qu'entend-on par "parti du pouvoir" en Russie?

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MOSCOU, 14 juin. (Par Tatiana Stanovaïa, experte du Centre des technologies politiques, RIA Novosti). Le terme "parti du pouvoir" est utilisé exclusivement pour désigner les organisations politiques dans les pays de l'espace post-soviétique.

En Russie le premier "parti du pouvoir" a vu le jour en 1993 dans le cadre des premières élections à la Douma (chambre basse du parlement). C'était le mouvement Vybor Rossii (Choix de la Russie) regroupant les forces démocratiques et qui était devenu le pilier idéologique du nouveau régime de Boris Eltsine. Par la suite les "partis du pouvoir" étaient devenus moins idéologisés, plus gestionnaires et politiquement moins autonomes. En d'autres termes, depuis que le phénomène a fait son apparition, le "parti du pouvoir" s'est de plus en plus transformé en instrument de gestion politique du système des partis.

Conventionnellement on peut dire que le "parti du pouvoir" est le parti qui représente les intérêts du pouvoir. Sa différence essentielle des partis dirigeants réside dans ce que le centre des prises de décision se trouve hors du parti. Par exemple, le parti Iedinaïa Rossia (Russie unie) n'est pas parvenu à présenter une candidature pour le poste de premier ministre en 2004. La fonction de Russie unie se réduit aujourd'hui à légitimiser les décisions du pouvoir via sa représentation au parlement. Chose intéressante, on peut se faire une idée de l'état et de la réussite du "parti du pouvoir" en observant la situation au sein du pouvoir. Un pouvoir faible, isolé n'aurait jamais été en mesure du constituer un "parti du pouvoir" fort. Sous Boris Eltsine le mouvement Choix de la Russie avait obtenu 15 pour cent des voix aux législatives de 1993, deux ans plus tard Notre maison la Russie n'en avait recueilli que 10 pour cent, ce qui est loin de la majorité parlementaire. Qui plus est, souvent le "parti du pouvoir" se dédoublait, ce qui traduisait une rivalité au sein du pouvoir: en 1993, Choix de la Russie et le Parti de l'unité et de la concorde russe de Sergueï Chakhraï s'étaient concurrencés, une conséquence de la lutte pour le poste de premier ministre que s'étaient livrés le leader de Choix de la Russie, Iegor Gaïdar, et le chef du gouvernement, Viktor Tchernomyrdine. En 1995, le bloc de centre droit Notre maison la Russie avait été "contenu" par le bloc de centre gauche d'Ivan Rybkine, ce qui reflétait la lutte politique qui se menait au sein du proche entourage de Boris Eltsine. Le "parti du pouvoir" a été soumis à une confrontation particulièrement dure en 1999, lorsque le pouvoir s'est scindé sur le plan vertical: les "partis du pouvoir" régionaux regroupés au sein du bloc pro-moscovite Patrie-Toute la Russie s'étaient dressés contre le Kremlin.

Depuis l'accession de Vladimir Poutine au pouvoir la situation a changé en mieux. Le Kremlin attache une attention soutenue à la gestion du système des partis. Si auparavant la construction des partis concernait essentiellement le "centre" politique, maintenant elle s'étend à l'aile gauche: en 2003, le bloc patriotique de gauche Rodina (Patrie) de Dmitri Rogozine loyal au Kremlin a remporté un succès inattendu aux législatives tandis que le KPRF (Parti communiste de la Fédération de Russie) perdait la moitié des suffrages qu'il avait recueillis lors du scrutin précédent. Quant aux partis de droite (SPS (Union des forces de droite) et Yabloko), ils ont connu une véritable déroute: si sous Eltsine et au début du premier mandat de Vladimir Poutine ils avaient été partenaires du pouvoir, maintenant le Kremlin n'a plus besoin d'eux.

Russie unie est le "parti du pouvoir" le plus puissant de toute l'histoire de la Russie moderne, et cela grâce à la popularité du président qui le soutient et aussi au renforcement du pouvoir lui-même: les élites font bloc autour du président, la fameuse verticale du pouvoir est bien en place, les "oligarques" se sont transformés en hommes d'affaires ordinaires (auparavant le grand business prenait une part très active à la construction des partis). Qui dit pouvoir fort dit "parti du pouvoir" fort. Mais dans le même temps la "valeur" politique du "parti du pouvoir" s'est considérablement accrue pour le Kremlin.

Les erreurs commises pendant la réalisation des réformes (souvenons-nous des manifestations de cet hiver contre la monétisation des avantages en nature) placent Russie unie dans une situation difficile. D'un côté, "par devoir de service" ce parti doit soutenir les actions du gouvernement. Mais de l'autre, il doit ménager son électorat. Ce n'est pas un hasard si lors du vote de la motion de censure contre le gouvernement, en février dernier, la fraction Russie unie s'est abstenue, refusant ainsi d'afficher par un vote son soutien au cabinet des ministres. Une contradiction particulièrement intéressante s'est fait jour ici: "parti du pouvoir", Russie unie veut beaucoup critiquer le pouvoir en la personne du gouvernement. Pour effacer cette contradiction il n'y a qu'un seul moyen: former un gouvernement de parti. Dans ce cas le "parti du pouvoir" se transformerait en parti dirigeant et partagerait la responsabilité des décisions prises. La chose serait possible à condition que Russie unie soit habilité à constituer le gouvernement.

Dans le message qu'il avait adressé à l'Assemblée fédérale en 2003, le président russe avait évoqué la nécessité de choisir les membres du cabinet des ministres parmi la majorité parlementaire. Cependant, rien de tel ne s'est produit: le gouvernement prend appui sur Russie unie au parlement uniquement par le truchement du Kremlin. Dans le message qu'il a adressé cette année Vladimir Poutine relève également que dans les assemblées régionales la majorité doit proposer des candidatures pour le poste de gouverneur. Seulement ici aussi il s'avère que la candidature appuyée par la majorité parlementaire est déjà désignée par le président. Cette difficulté rencontrée par les partis à disposer d'un pouvoir réel doit être recherchée dans la crainte de perdre le contrôle du pouvoir exécutif. Ce thème est d'une grande actualité dans l'optique du cycle électoral de 2007-2008: un succès du "parti du pouvoir" aux élections garantirait presque une passation du pouvoir sans douleur en 2008.

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