Le problème de Touzla: l'entêtement ne paie pas

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Après un nouveau round de consultations entre les groupes d'experts russes et ukrainiens sur la délimitation territoriale dans le détroit frontalier de Kertch reliant les mers Noire et d'Azov, les positions ne se sont pas rapprochées: Moscou insiste pour tracer la frontière par le fond de la mer, Kiev veut la tracer par la surface de l'eau.

Après un nouveau round de consultations entre les groupes d'experts russes et ukrainiens sur la délimitation territoriale dans le détroit frontalier de Kertch reliant les mers Noire et d'Azov, les positions ne se sont pas rapprochées: Moscou insiste pour tracer la frontière par le fond de la mer, Kiev veut la tracer par la surface de l'eau.

Bien plus, en accusant la Russie de pratiquer une politique à géométrie variable, l'Ukraine n'exclut pas qu'elle puisse recourir aux instances judiciaires internationales. Cette situation déjà inextricable est aggravée par l'absence de règlement du problème de la souveraineté de l'île de Touzla qui a failli devenir, à l'automne 2003, la cause d'un conflit armé entre la Russie et l'Ukraine.

Touzla, langue de terre qui faisait jadis partie de Taman et prolongeait le cap de Touzla s'est transformée en île après une tempête au milieu des années 1920, ce qui n'inquiétait personne, sauf, peut-être, les habitants locaux à cause du changement des conditions de pêche.

Lors du rattachement de la Crimée à l'Ukraine en 1954, cet îlot a été oublié et n'a été cédé qu'en 1973. Puisque c'était un détail insignifiant, cela s'est fait non pas au niveau des Soviets suprêmes de la RSFSR et la RSS d'Ukraine, comme l'exigeait alors la législation, mais en adoptant une décision commune signée par les présidents des Comités exécutifs du territoire de Krasnodar et de la région de la Crimée. A présent, les présidents des deux pays n'arrivent pas à régler le problème engendré par les fonctionnaires locaux.

Dans les conditions de l'Etat fédéral, le problème de Touzla ne se posait pas. La mine a explosé après la désintégration de l'URSS, car l'île minuscule de Touzla a acquis une importance stratégique: celui qui possède l'île possède le détroit de Kertch. Aujourd'hui, elle est ukrainienne, mais la Russie est mécontente, car l'Ukraine perçoit les taxes pour le passage des navires étrangers, y compris russes, par ce détroit et crée une menace potentielle de passage de navires militaires de pays tiers dans la mer d'Azov.

A l'automne 2003, les matériaux de construction sont venus en aide aux hommes politiques et les diplomates se sont alors exprimés en utilisant la langue des bulldozers et les machines de terrassement: les ouvriers russes se sont mis à combler la digue en vue de transformer Touzla en presqu'île faisant partie du territoire de Krasnodar. En réponse, l'Ukraine a envoyé ses gardes-frontières sur l'île et a décidé d'approfondir au moyen d'une drague l'espace aquatique entre la digue inachevée et l'île, pour parer aux inondations et empêcher la disparition éventuelle de Touzla. La Russie a déclaré, pour sa part, qu'il y avait une menace d'affouillement de la digue inachevée et un danger d'écroulement, ce qui pouvait faire des victimes.

Il est évident que la situation autour de Touzla continuera à s'aggraver pour plusieurs raisons.

Premièrement, la situation au sein de l'équipe du président ukrainien est loin d'être idéale. Les faits suivants le confirment: au cours des cérémonies de commémoration de Taras Chevtchenko à Kanev, bien que les leaders de la révolution orange aient confirmé leur intention de créer un bloc électoral pour les élections à la Rada suprême (parlement), ils se sont accusés mutuellement d'être à l'origine de la crise du pétrole et d'avoir entouré la prochaine reprivatisation d'un voile opaque.

Deuxièmement, les récents "scandales gaziers" pousseront la classe politique ukrainienne à rechercher un ennemi et à provoquer une montée de patriotisme. Dans ce cas, le problème de Touzla pourrait s'avérer utile.

Enfin, l'aggravation de la situation autour de Touzla s'inscrit dans la logique de la stratégie des forces antirusses en Occident qui visent à affaiblir le rôle de la Russie dans l'espace postsoviétique.

Si l'on y ajoute les problèmes intérieurs de la Russie, ainsi que le désir de certains hommes politiques russes et ukrainiens de se faire mousser en affichant leur "patriotisme professionnel", on peut supposer que Touzla et tout ce qui en découle resteront longtemps dans les colonnes des journaux et sur le petit écran.

Dans ce contexte, la Russie doit renoncer à vouloir régler le problème de la navigation et de la délimitation des frontières dans la mer Noire et la mer d'Azov en employant les bulldozers et trouver d'autres moyens, plus efficaces, de défendre ses intérêts nationaux et économiques.

Pour l'instant, Touzla est un exemple éclatant de faiblesse de la diplomatie russe et ukrainienne. Est-il possible qu'aucune des parties ne puisse trouver, depuis près de 15 ans, une formule mutuellement avantageuse du règlement de ce problème? Peut-être, ne l'ont-elles pas cherchée, en espérant qu'il ne se produirait rien de grave?

La situation autour de cette île est, à la fois, comique et tragique: elle est comique du point de vue de l'histoire de son apparition et des tentatives malhabiles pour la régler par des méthodes non traditionnelles, pour ne pas dire plus. Elle est tragique par ses conséquences négatives aussi bien pour l'Ukraine que pour la Russie.

Il y a environ 200 ans, le grand écrivain russe d'origine ukrainienne Nikolai Gogol a décrit une situation analogue dans sa nouvelle "Comment se sont querellés Ivan Ivanovitch et Ivan Nikiforovitch". Chacun des deux anciens amis estimait qu'il avait raison et refusait tout compromis, l'action en justice a duré longtemps, elle a éreinté les deux hommes et n'a rien réglé.

LE POINT DE VUE DE L'AUTEUR NE COINCIDE PAS TOUJOURS AVEC CELUI DE LA REDACTION.

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