Mikhaïl Khodorkovski - un criminel pour le Tribunal - un "prisonnier de conscience" pour l'opposition

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MOSCOU, 31 mai. (Youri Filippov, commentateur politique de RIA-Novosti). Neuf années d'emprisonnement à purger dans une colonie à régime ordinaire.

Une condamnation aussi sévère pour les principaux coaccusés dans le cadre de l'"affaire YOUKOS" - Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev - n'était sans doute attendue que par leurs accusateurs du Parquet général de la Fédération de Russie qui se sont empressés de qualifier tout de suite de "juste et objectif" le verdict prononcé par le Tribunal intermunicipal Mechtchanski de Moscou.

Il est encore trop tôt pour mettre un point final au procès judiciaire le plus retentissant de ces dernières années en Russie. En effet, officiellement, l'information judiciaire sur le "dossier YOUKOS" n'est pas encore achevée. La sentence de culpabilité que les accusés n'acceptent pas sera sous peu attaquée en justice devant la plus haute instance judiciaire du pays et, par la suite, peut-être, auprès des cours internationales. Dans le même temps, le Parquet général prépare contre Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev de nouvelles accusations, liées, comme l'a fait savoir la porte-parole du Parquet général, Natalia Vichniakova, "à la légalisation de capitaux d'origine criminelle" à grande échelle. Il se peut que les nouvelles audiences judiciaires prennent, elles aussi, de très longs mois, sinon des années.

Or, l'interprétation politique du jugement prononcé suscite incontestablement aujourd'hui un intérêt beaucoup plus vif que les formalités juridiques elles-mêmes. La plupart des experts russes le qualifient bel et bien de victoire de l'Etat sur les "oligarques" de l'époque Eltsine. Qui plus est, selon ces mêmes experts, cette victoire est remportée sur deux axes à la fois. Tout d'abord, le gros business russe a désormais renoncé à ses pressions totales des années 1990 sur l'Etat et la politique pratiquée par celui-ci. Ensuite, il a enfin commencé à payer ses impôts. Ainsi, rien que les compagnies pétrolières russes ont augmenté de deux à trois fois leurs paiements fiscaux au cours du procès YOUKOS.

L'Etat pourrait aussi citer deux autres sphères dans lesquelles il aurait pu perdre dans le contexte du procès YOUKOS, mais il n'a rien perdu. Tout d'abord, il s'agit des investissements étrangers qui continuent envers et contre tout d'arriver en Russie, car ils ne se guident pas du tout sur le procès YOUKOS, mais sur la possibilité effective de tirer des bénéfices qui, par exemple, sur le marché russe des valeurs (pour le rapport entre le coût des titres et les bénéfices qu'ils rapportent) sont parmi les plus élevés dans le monde. Et ensuite, c'est le climat d'affaires général dans le pays. C'est que le gros business se sent toujours bien en Russie. En effet, tant que Mikhaïl Khodorkovski se trouvait en détention provisoire, le nombre des milliardaires russes en dollars a augmenté de 15 à 27 personnes.

Les autorités russes voudraient maintenant que la politisation excessive de "l'affaire YOUKOS" cesse enfin. Cette affaire qui a pris l'allure d'un thriller politique passionnant le monde entier doit se transformer en simple affaire de droit commun, bien que retentissante, liée à de très graves crimes économiques commis en Russie.

Pourtant, il est sans doute inutile d'espérer que cela puisse se produire sous peu. "L'affaire YOUKOS" est montée en épingle par l'opposition, à commencer par l'Union des forces de droite (SPS) jusqu'aux communistes. Les libéraux estiment, par exemple, que les irrégularités fiscales et en matière de privatisations pour lesquelles Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev viennent d'être condamnés sont monnaie courante de la part de dizaines et même de centaines de milliers d'hommes d'affaires à travers tout le pays. Aussi, prétendent les libéraux, tous ces hommes d'affaires ne pourront-ils plus se sentir en sécurité. Pour sa part, le leader des communistes, Guennadi Ziouganov, prédit même un accroissement de la fuite des capitaux de Russie, parce que le jugement porté contre Mikhaïl Khodorkovski s'est avéré trop dur.

Le politologue russe Vladimir Golychev estime que, désormais, l'opposition russe, notablement affaiblie depuis ces derniers temps, reçoit une "icône" en la personne de Mikhaïl Khodorkovski qui, indépendamment de sa propre volonté, est destiné à devenir la bannière de l'opposition, sous laquelle cette dernière ira aux élections présidentielles de 2008.

Néanmoins, la question se pose de savoir à quel point Mikhaïl Khodorkovski lui-même a besoin de cela. C'est que des accusations politiques réciproques à l'endroit du pouvoir en place ont longtemps été la principale ligne de défense des gros hommes d'affaires russes qui ont été poursuivis en justice pour des crimes économiques. C'est ainsi, par exemple, qu'avaient procédé les magnats de la presse Vladimir Goussinski et Boris Berezovski au début des années 2000 après avoir été accusés par le Parquet général. Toutefois, ils n'ont pas pris le risque d'aller jusqu'au bout, préférant quitter le pays au lieu d'entrer dans la peau de "prisonniers de conscience".

Quant à Mikhaïl Khodorkovski, la politisation de son affaire de droit commun, loin de l'aider, lui a par contre beaucoup nui, comme c'est devenu parfaitement évident à présent. Force est de reconnaître qu'il est plutôt difficile d'ambitionner le rôle du principal libéral du pays quand la cour vous a déclaré criminel de droit commun, escroc et voleur.

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