La grande erreur de Leni Riefenstahl

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MOSCOU, 18 avril - par Anatoli Korolev, commentateur politique de RIA Novosti.

Se rapprocher de la politique est toujours dangereux pour un artiste, thèse démontrée par l'une des vies les plus tourmentées de l'Allemagne vaincue, celle de l'invaincue Leni Riefenstahl.

Réalisatrice géniale de films documentaires, elle a fait irruption dans le cinéma élitiste mondial en 1934, au plus fort du nazisme. Ses deux chefs-d'œuvre, du point de vue artistique, bien sûr, - "Le Triomphe de la volonté", sur un congrès du parti nazi, et "Olympia", sur les Jeux olympiques de Berlin - ont déclenché l'enthousiasme des critiques de l'époque. Avant la guerre, Leni a obtenu plusieurs médailles d'or en France, en Angleterre et aux États-Unis.

Plus dur fut l'après-guerre. Le sort a voulu qu'elle focalise toutes les haines antinazies, qu'elle soit victime d'une véritable campagne d'information l'accusant des crimes du régime hitlérien. Sa faute? La critique mondiale orchestrée par Siegfried Kracauer a accusé Leni d'avoir conféré au nazisme une beauté diabolique et une forme idéale.

En cherchant plus tard à se disculper d'avoir fait l'éloge du nazisme, Leni disait qu'elle ne s'était jamais intéressée à la politique, qu'elle n'avait jamais été membre du parti national-socialiste et qu'elle n'avait rien su des projets de Hitler sur l'extermination des juifs. Mais personne ne l'a écoutée. En dix ans, elle a subi plusieurs procès et même passé quelque temps en prison.

Ce n'est que de nos jours que "Le Triomphe de la volonté" est perçu comme un document étonnant sur la phénoménologie de la démence d'une nation entière où les mains tendues vers l'idole suscitent le dégoût. Le film s'est avéré infiniment plus profond que la propagande. Il fait découvrir le danger des gestes idéaux de l'unité.

La croix gammée en feu au milieu d'une brume nocturne suscite une idée simple: le nazisme n'est que le fruit de cauchemars nocturnes, et tant que ces cauchemars feront souffrir l'humanité, le nazisme vivra.

Aujourd'hui, le public comprend enfin le message: l'artiste n'est pas un propagandiste, c'est quelqu'un qui montre son époque avec une clarté cristalline et inaccessible aux autres, tel un miroir miraculeux qui nous offense, alors que nous sommes dégoûtés par notre propre image.

Peu avant sa mort, elle s'est rendue en Russie, à Saint-Pétersbourg, ville qui a souffert plus que toute autre du blocus hitlérien, où cette petite vieille blonde aux yeux vifs a été applaudie debout et s'est vu remettre un insigne d'honneur pour sa contribution à l'art mondial.

Paradoxe, la Russie est le premier pays à reconnaître publiquement Leni Riefenstahl.

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