Les motifs de la visite urgente de Donald Rumsfeld en Azerbaïdjan et en Kirghizie

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MOSCOU, 18 avril ( par Piotr Gontcharov, commentateur de RIA-Novosti). Pourquoi le secrétaire à la Défense des Etats-Unis, Donald Rumsfeld, s'est-il rendu d'urgence en Azerbaïdjan et en Kirghizie? Et quelles retombées sur la Russie pourrait avoir ce déplacement éclair?

Ces questions sont d'autant plus opportunes que si l'on se souvient que les Etats-Unis ont inclus la Transcaucasie et l'Asie Centrale dans leur sphère d'intérêts, que c'est la troisième visite à Bakou de Donald Rumsfeld depuis décembre 2003 et qu'à Bichkek, un gouvernement est en place dont la légitimité est limitée par les futures élections présidentielles, prévues pour juillet prochain.

A signaler que ce déplacement de Donald Rumsfeld à Bakou s'est déroulée dans la plus grande discrétion. En effet, ni l'ambassade des Etats-Unis en Azerbaïdjan, ni le département d'Etat, ni le Pentagone n'ont fait de déclaration officielle sur le programme de cette visite ni son ordre du jour, alors que les négociations du secrétaire à la Défense des Etats-Unis avec son homologue azerbaïdjanais, Safar Abiev, et le Premier ministre de l'Azerbaïdjan, Artour Rassizadé, se sont déroulées à huis clos. Quoi qu'il en soit, déjà le lendemain, la presse azerbaïdjanaise a publié la déclaration du général James Jones, Commandant des Forces de l'OTAN et des Etats-Unis en Europe sur les projets américains de déploiement de bases militaires US dans le bassin de la Caspienne en vue de "garantir la sécurité de la région".

Il est difficile de qualifier de fortuite une telle "coïncidence". Depuis un certain temps, l'administration américaine classe aussi la Transcaucasie parmi les régions instables où les intérêts des Etats-Unis pourraient se trouver menacés. Sous prétexte d'"empêcher une évolution défavorable des événements", les Etats-Unis sont en train d'élaborer le programme intitulé "Protection de la Caspienne" prévu pour les dix années à venir, où une place de choix est réservée à l'Azerbaïdjan. Le programme prévoit la formation de forces spéciales de réaction rapide, non seulement aux attaques terroristes contre les oléoducs, mais aussi à tout autre incident majeur dans les Etats riverains de la Caspienne. Equipé en radars les plus modernes, le centre de commandement de ce programme se trouvera à Bakou, alors que sa zone de responsabilité s'étendra à l'ensemble du bassin de la Caspienne.

Les Etats-Unis considèrent aussi l'Azerbaïdjan comme une région avantageuse pour le déploiement de leurs troupes mobiles d'intervention rapide afin de résoudre leurs problèmes politiques extérieurs dans cette partie du monde, et en premier lieu dans leurs relations avec l'Iran.

Les analystes azerbaïdjanais affirment que Bakou aurait déjà donné son accord de principe au déploiement en Azerbaïdjan de tels groupes mobiles et qu'il ne resterait qu'à concerter certains détails. Pour ce qui est de Donald Rumsfeld, il ne s'est apparemment rendu dans la capitale azerbaïdjanaise que pour y recevoir une réponse concrète à la question déjà posée, à savoir: quand? Et Bakou aurait dû citer les délais. Les analystes locaux dans la capitale azerbaïdjanaise estiment que la réponse concrète sera donnée à la mi-avril, et tout laisse supposer qu'elle sera affirmative.

Reste à savoir si la mise en oeuvre de ces projets du Pentagone ne risque pas de provoquer une nouvelle crise de migraine à Moscou.

Tout d'abord, ces bases pourraient être utilisées directement contre l'Iran, pays avec lequel la Russie entretient, pour toute une série de raisons régionales, des rapports de partenariat stratégique. Ensuite, Moscou considère toujours la Caspienne comme zone traditionnelle d'influence russe. Aussi, la Russie se prononce-t-elle contre la militarisation de cette région sous une forme ou sous une autre, ainsi que contre l'apparition dans cette zone des troupes d'Etats tiers ne faisant partie de cette région. A signaler que de tous les pays riverains de la Caspienne, seul l'Iran appuie Moscou.

Et enfin, nul doute qu'équipé de radars les plus modernes, le centre de commandement à Bakou ne manquera pas, non plus, d'englober l'Oural méridional, région russe très industrialisée et jouant un rôle tout à fait particulier dans la capacité défensive de la Russie.

Quant à la visite de Donald Rumsfeld en Kirghizie, sa nature était quelque peu différente. En Kirghizie, les Etats-Unis possèdent une base aérienne dans l'aéroport de Bichkek - "Manas". 800 soldats et officiers de l'Armée de l'Air US s'y trouvent en permanence. De toute évidence, le chef du Pentagone voulait connaître la position de Bichkek par rapport aux Etats-Unis dans le contexte de la relève du pouvoir. En outre, le secrétaire à la Défense américain aurait voulu prospecter les perspectives d'un élargissement éventuel de cette base US et afin d'y déployer d'autres ouvrages militaires.

Pour le moment, l'attitude adoptée par Bichkek ne répond qu'en partie aux intérêts des Etats-Unis. Ainsi, le Président et Premier ministre par intérim de la Kirghizie, Kourmanbek Bakiev, a déclaré que Bichkek ne jugeait pas nécessaire de déployer sur le territoire du pays des troupes étrangères supplémentaires. Kourmanbek Bakiev a aussi fait savoir qu'au cours de ses négociations avec le secrétaire à la Défense des Etats-Unis, il n'avait pas été question de déployer sur la base aérienne US de l'aéroport de Manas, des avions américains équipés de système "AWACS".

Une autre question très importante pour la Russie est restée sans réponse. Washington et Bichkek entendent-ils synchroniser la présence de la base américaine en Kirghizie avec les opérations de la coalition antiterroriste en Afghanistan? Pourtant c'est à cette condition que Moscou a autrefois examiné avec Washington la question du déploiement des bases américaines en Asie Centrale, et la Russie n'a guère changé d'attitude sur ce point. Il est symptomatique que, depuis ces derniers temps, Bichkek préfère manifestement lier les délais de la présence de la base américaine en Kirghizie aux menaces du terrorisme international en général, ce qui fait évidemment le jeu de Washington.

Dans ces conditions, les militaires américains pourraient demeurer en Kirghizie tant que le terrorisme n'aura pas été réprimé dans le monde entier. Par conséquent, autant dire ad vitam aeternam. Tout porte à croire que là aussi, Donald Rumsfeld a obtenu l'appui recherché.

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