Le paradoxe russe ou la hausse du prix du pétrole comme facteur de récession

S'abonner
MOSCOU, 13 avril - RIA Novosti (par Igor Tomberg, docteur en économie, chercheur à l'Institut d'études économiques et politiques internationales de l'Académie des sciences de Russie).

Les événements qui se sont produits ces deux dernières semaines sur le marché mondial du pétrole ne pouvaient pas ne pas susciter de vives discussions en Russie sur la dépendance de l'économie russe à l'égard des exportations de ressources énergétiques.

Les cotations records du pétrole, la flambée des prix de la "corbeille de l'OPEP" et l'incapacité (ou le refus) du cartel d'accroître notablement les volumes d'extraction sont à l'origine des pronostics alarmistes qui ont à leur tour influé sur les états d'esprit en Russie.

Citons le pronostic des analystes de la banque d'investissement "Goldman Sachs" qui ont prédit une hausse impressionnante du prix du brut dès 2007. "Les marchés du pétrole sont entrés dans une période d'"hyper-hausse" et les prix pourraient monter jusqu'à 105 dollars le baril", lit-on dans le rapport des experts de la compagnie.

L'économie mondiale est au seuil d'une crise pétrolière durable, affirment les experts du Fonds monétaire international. Le rapport "Aperçu de l'économie mondiale" publié par le FMI début avril prévoit qu'en 2010, le pétrole coûtera 34 dollars le baril en monnaie actuelle et 39 à 56 dollars vers 2030. Selon un des scénarios du FMI, le baril vaudra même 80 dollars. Commentant leurs propres conclusions, les représentants du FMI ont néanmoins reconnu que la hausse jusqu'à 105 dollars le baril, prévue par les analystes de la "Goldman Sach", était probable.

La Russie, avec ses immenses volumes d'exportation de pétrole, gagnera des superbénéfices de cette conjoncture. Cependant, les analystes russes estiment unanimement que ces "pétrodollars faciles" ne seront sans doute guère utiles au pays.

Evgueni Gavrilenkov, économiste principal de "Troïka Dialogue", indique que calculer les dépenses budgétaires en fonction des prix élevés du pétrole risque de déstabiliser le budget lorsque les prix baisseront. "L'argent qui tombe "du ciel" incite à vivre au-dessus de ses moyens, estime également Vladimir Mau, recteur de l'Académie de l'économie nationale. A la fin des années 1970 et au début des années 1980, les dirigeants de l'URSS étaient certains que le pétrole coûterait toujours cher, or lorsque les prix ont baissé, l'économie soviétique s'est effondrée".

Le problème de l'afflux massif de pétrodollars préoccupe le gouvernement autant que les experts. Selon l'avis qui prévaut ces derniers temps au gouvernement, l'influence des prix élevés du pétrole sur la croissance économique disparaît. En 2004, la hausse des prix du pétrole assurait un accroissement du PIB russe de 0,1 % pour chaque dollar, contre 0,35 % en 1999, a fait savoir le ministre des Finances Alexei Koudrine à la réunion du collège du ministère du Développement économique qui s'est tenue le 29 mars dernier. Il est vrai qu'Alexei Koudrine a relevé que si une dépendance moindre vis-à-vis des prix élevés du brut est "un bon indice", elle "oblige par contre à rechercher d'autres sources de croissance économique".

Le ministre du Développement économique et du Commerce, Guerman Gref, était plus catégorique en affirmant à la récente réunion (le 7 avril) du gouvernement russe qu'il n'y a en fait pas lieu de se réjouir du coût inouï du combustible. "Une baisse des prix du pétrole de 10 dollars réduirait le PIB de 1,5 %, alors qu'une hausse de 10 dollars non seulement n'apporterait rien à l'économie, mais ne ferait qu'accroître la fuite de capitaux et les risques liés à l'inflation". Autrement dit, l'économie pourrait ne pas "digérer" les pétrodollars.

A noter que l'examen des perspectives de développement de l'économie à la réunion du cabinet s'est réduit à une discussion sur les prix du pétrole. Les succès obtenus dans la lutte contre la dépendance vis-à-vis du pétrole sont probablement modestes si le gouvernement lui-même évalue les perspectives de l'essor économique en fonction du prix du baril du pétrole.

Fait significatif, les économistes étrangers ne partagent plus l'inquiétude des Russes. Dans le nouvel aperçu de l'économie russe présenté début avril par la Banque mondiale, John Litwack, économiste principal de la représentation de la Banque mondiale en Russie, a invité à ne pas voir, comme le font les experts russes, un grand mal dans l'orientation de l'économie de la Russie sur les matières premières. Grâce au pétrole et au gaz, les compagnies russes acquièrent toute une série d'avantages dans la concurrence: par exemple, les matières énergétiques meilleur marché et des taux d'imposition plus bas par rapport aux concurrents des pays dépourvus de matières premières.

Cela rappelle beaucoup l'étude d'Al Breach, économiste principal de la compagnie d'investissement "Brunswick UBS Warburg" intitulé "En élargissant ses horizons. Le chemin de la Russie vers la prospérité dans le monde postindustriel" (février 2003) où l'auteur propose à la Russie de prospérer en fournissant des matières premières à la Chine qui est en voie d'industrialisation impétueuse (par analogie avec l'Australie qui est devenue une base de matières premières pour le Japon). Le rapport a suscité des débats houleux et une réaction de rejet. Mais rien n'a changé en deux ans: le gouvernement recherche, sans succès, des alternatives aux matières premières en tant que source de croissance. Il en résulte une récession: d'après les données du ministère du Développement économique et du Commerce, l'accroissement mensuel moyen du PIB (sans l'indice saisonnier) a constitué 0 % en janvier et 0,1 % en février 2005.

Du point de vue de la structure de l'économie, nous ne pouvons affirmer qu'avec une grande réserve que l'économie russe est une économie de marché. En plus de 10 ans, rien de nouveau n'a été créé. L'Etat s'est en fait écarté de sa fonction principale, à savoir créer "l'enveloppe" institutionnelle de l'économie qui seule permet d'optimiser la structure économique en régime automatique, lorsque la circulation intersectorielle des capitaux s'effectue en dehors de la volonté de l'Etat, sur la base des intérêts du marché. C'est probablement en cela que réside la cause de la "sursaturation" en pétrodollars et de la stagnation de l'économie malgré la conjoncture commerciale extérieure brillante.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала