Les privatisations russes seront-elles amnistiées?

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MOSCOU. /par Yana Yourova, commentatrice politique de RIA Novosti/. Le gouvernement russe a préparé des amendements au Code civil ramenant de 10 à 3 ans la prescription applicable aux affaires de privatisation. La nouvelle a été annoncée par le ministre du Développement économique et du Commerce, Guerman Gref. "Si ce projet n'est pas adopté ce printemps, il le sera sûrement à la session d'automne", a affirmé le président du Comité de politique économique du Conseil de la Fédération, Oganes Oganian. De nombreux hommes d'affaires russes espèrent qu'avec l'adoption de ces amendements, les privatisations seront en fait amnistiées dans le pays. Ce n'est pas, paraît-il, tout à fait le cas mais, pour soutenir l'entrepreneuriat, les autorités ont préparé, de surcroît, tout un programme d'actions.

L'idée de réduire de sept ans la prescription concernant les privatisations a été énoncée par le président Poutine au cours d'une récente rencontre avec les industriels nationaux. Le chef de l'Etat s'est montré désireux de soutenir les milieux d'affaires. Naturellement, après cet entretien d'une cordialité inespérée, certains hommes d'affaires ont cru que le président était prêt à amnistier toutes les privatisations.

Souvenons-nous que les privatisations russes ont été opérées en deux étapes. A la deuxième, les meilleures entreprises publiques ont été vendues aux "enchères gagées", procédure la plus reprochée du fait que des entreprises stratégiques ont été vendues à des privés à vil prix et, qui plus est, avec l'autorisation de régler l'acquisition à tempérament.

La majorité de la population n'a pas compris et n'a pas aimé cette procédure. Raison pour laquelle le problème de la révision des privatisations n'a cessé de refaire surface à la moindre occasion, notamment en décembre dernier où la Cour des comptes a publié sur son site web une note analytique "Analyse des processus de privatisation de la propriété publique pendant la période 1993-2003". Les experts de la Cour des comptes ont étudié les circonstances dans lesquelles s'était déroulée la privatisation d'entreprises publiques et sont arrivés à la conclusion suivante : "L'imperfection de la législation, le sous-développement des institutions et des procédures de privatisation et l'absence de contrôle extérieur ont constitué un contexte propice à de nombreuses violations de la loi au cours de la réalisation d'affaires de privatisation concrètes". Le document comportait une longue liste d'entreprises suspectes.

Rien d'étonnant à ce qu'à l'annonce de cet ouvrage fleuve de la Cour des comptes les gros industriels ont senti planer une menace. En effet, ce document-programme devait être présenté à la Douma, ce qui promettait une révision de la totalité des privatisations et des suites fâcheuses pour les parties impliquées dans de très nombreuses affaires de l'époque. Après l'affaire Ioukos, la menace a pris un contour réel.

On ne voit cependant pas que les autorités russes s'apprêtent à mettre en œuvre des mesures aussi radicales. Une évaluation politique des privatisations était probablement plus nécessaire. Le peuple russe n'est pas composé seulement d'hommes d'affaires. Il doit savoir que les autorités prennent le pouls des événements et veulent savoir comment et au profit de qui la propriété publique a été partagée dans le pays. D'autant que d'après les sondages effectués en décembre 2004 la majorité de la population estime nécessaire de revoir les résultats des privatisations sans pour autant espérer en tirer le moindre profit. Pour cette raison, du point de vue de la politique intérieure, la nécessité d'une amnistie semble douteuse. Parce qu'elle ne serait pas juste envers les sentiments de plus de la moitié de la population du pays.

A propos, du point de vue juridique, la proposition du président n'est évidemment pas une promesse d'amnistie. Car personne n'a annulé les articles du Code pénal traitant des dols, abus de pouvoir, de l'ententecriminelle préalable, de l'escroquerie. Or de nombreuses privatisations tombent sous le coup de ces dispositions.

Les parlementaires s'emploient à faire la clarté sur la situation. Oganes Oganian, membre du Conseil de la Fédération, souligne que le nouveau projet de loi n'a pas d'effet rétroactif et ne sera pas appliqué aux affaires déjà en cours d'examen dans les instances judiciaires. Il a tenu à rappeler l'existence du rapport de la Cour des comptes : "Je pense que ce rapport pourra être pris pour base lors de l'établissement de la liste des entreprises contre lesquelles l'Etat pourrait engager des procès avant l'entrée en vigueur de la loi ramenant la prescription de dix à trois ans".

D'autre part, il serait imprudent de tourner le dos aux problèmes des hommes d'affaires car l'économie du pays dépend de leur santé psychologique. L'affaire Ioukos montre que des mesures sévères, même si elles sont justes, ont un effet négatif sur la marche des affaires et sur les investissements. Le ralentissement de la croissance économique constaté en Russie l'année dernière en est une confirmation éloquente.

Il est évident que les autorités cherchent les moyens de redresser la situation. Cela pourrait être un programme d'actions. La rencontre de Poutine avec les hommes d'affaires serait une de ces actions. Parmi les dernières initiatives des autorités allant dans ce sens, on peut citer le nouveau projet de loi préparé par le gouvernement "De la protection de la concurrence" dont Vladimir Poutine a dit qu'"il est appelé à combattre réellement le diktat des monopoles et à aider à ouvrir les marchés, régionaux y compris, aux milliers de nouveaux hommes d'affaires".

Un autre projet important consiste à revoir les procédures de contrôle fiscal et d'administration fiscale. Le ministère des Finances ne disconvient déjà pas que depuis ces derniers temps l'administration fiscale n'a pas toujours été adéquate. "Nous sommes tombés d'accord avec les hommes d'affaires sur une série de propositions tendant à protéger les contribuables", a déclaré Serguéi Chatalov, vice-ministre des Finances.

Il est notamment proposé de pratiquer la discussion des procès verbaux de vérification fiscale entre le contribuable concerné et un expert qui n'aura pas pris part à ladite vérification. Une approche particulière sera adoptée pour formuler des réclamations fiscales importantes, excédant 100 millions de dollars. Pour ce faire, les organes fiscaux seront dotés d'équipes spéciales composées de spécialistes hautement qualifiés. Ils vérifieront les procès verbaux, après quoi les réclamations fiscales seront portées à la connaissance des intéressés. Mieux, l'administration du président a préparé un projet de loi qui permette au fisc de prélever les amendes par voie extrajudiciaire.

Il n'est pas exclu, à en juger par l'information disponible, que bientôt on voie à l'ordre du jour la libéralisation de la législation réglementant le placement de titres nationaux en bourse à l'étranger. La Banque centrale étudie la possibilité d'autoriser la sortie de capitaux destinés à participer à des programmes de privatisation à l'étranger. Simplifier la délivrance de licences aux entreprises nouvellement créées est un autre problème sur lequel travaille déjà le gouvernement russe.

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