La Communauté des Etats indépendants: être ou ne pas être?

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MOSCOU, 7 avril. (Par Boris Chmeliev, directeur du Centre d'études politiques - RIA Novosti). Repris dans de nombreux grands moyens d'information, les propos du président russe, Vladimir Poutine, selon lesquels la "CEI est une forme de divorce civilisé des anciennes républiques soviétiques" traduisent les changements fondamentaux qui se sont produits dans la perception par les dirigeants russes des processus se déroulant dans l'espace post-soviétique. Il semble qu'ils s'affranchissent de longues illusions et entendent désormais appliquer une politique réaliste dans la région.

Depuis la formation de la Communauté des Etats indépendants (CEI) en décembre 1991, la Russie n'avait jamais cessé d'oeuvrer en vue d'établir une coopération économique et militaro-politique étroite entre les anciennes républiques soviétiques. Cependant, elle n'est pas parvenue à "regrouper des terres" autour de Moscou et la CEI n'est devenue ni une union militaro-politique, ni une union économique, ni non plus une confédération d'Etats.

La Communauté aujourd'hui c'est une sorte de conglomérat d'entités régionales et de pays dont les intérêts divergent beaucoup plus qu'ils ne convergent. La Russie y perd progressivement ses positions dominantes, elle n'est plus le Centre d'attraction économique et géopolitique. L'espace post-soviétique est devenu une arène de lutte pour les sphères d'influence, dont les acteurs sont les Etats-Unis, l'Union européenne et la Chine. Les résultats des efforts appliqués au fil des siècles par l'Etat russe pour élargir ses frontières, efforts payés ensuite au prix du sang de nombreuses générations de Russes, se déprécient et l'influence exercée par la Russie sur cet espace se réduit comme peau de chagrin.

Depuis quelques années des tendances désintégrationnistes s'observent au sein de la CEI. Elles se manifestent surtout par la diminution des échanges au profit de nouveaux marchés, extra-régionaux ceux-là, l'exacerbation de la concurrence sur lesmarchés régionaux, ce qui a donné le jour à des "guerres commerciales" et à des enquêtes anti-dumping, l'adoption par la quasi-totalité des pays de la Communauté de programmes d'indépendance énergétique. Depuis quelques années les intérêts politiques de la Russie se heurtent de plus en plus fréquemment à ceux de certains membres de la CEI, ce qui envenime les rapports interétatiques.

Quelles sont les raisons à l'origine de la profonde crise systémique traversée par la Communauté des Etats indépendants et existe-t-il des chances de la surmonter? Les raisons sont nombreuses.

Dès le début la création d'une alliance économique et militaro-politique sous forme de CEI était une entreprise irréalisable du moment que la condition essentielle n'existait pas, à savoir la présence de pays possédant une organisation étatique stable, avec une élite politique mûre, à même de formuler les intérêts nationaux et de les matérialiser. La construction étatique dans la Communauté atteste que ce qui se crée ce sont des Etats non pas démocratiques, mais nationaux. D'où les tensions internes qui s'y manifestent étant donné que dans la plupart des cas ils ne sont pas homogènes ethniquement parlant. En se déterminant politiquement, les minorités ethniques se basent sur leur patrie historique. Les frontières non établies historiquement et séparant les nouveaux Etats indépendants sont lourdes de revendications territoriales et de conflits interétatiques, ce qui fait naître la suspicion et la méfiance. Or, la confiance réciproque est le fondement même de toute alliance militaro-politique.

L'intégration économique ne peut être opérante que si les rapports de propriétés sont bien définis. Ce qui n'est justement pas le cas au sein de la Communauté. Dans bien des pays de la CEI la privatisation des anciens biens publics est loin d'être achevée. Dans la plupart des cas, les biens publics sont accaparés par des clans proches du pouvoir. Or on sait bien qu'il est impossible de mener une intégration économique sur une base constituée par le capital maffieux et bureaucratique.

L'Union soviétique unissait des peuples appartenant à des civilisations diverses. Dans un Etat unique doté d'un système de gestion rigoureux, dans lequel le pouvoir exerçait un contrôle total sur tous les domaines de la vie de la société, ces différences avaient pu être surmontées. Après l'éclatement de l'URSS, lorsque les chaînes qui pendant plusieurs décennies avaient maintenu les peuples pour en constituer un tout se sont rompues, les différences de civilisation ont refait surface dans les Etats nouvellement formés. La pratique mondiale ignore les cas d'intégration d'Etats appartenant à des civilisations différentes. Très significatif est l'exemple de l'Union européenne qui depuis de nombreuses années refuse d'accueillir la Turquie dans ses rangs et aujourd'hui encore les perspectives d'adhésion de ce pays à l'UE sont très aléatoires. On pourrait citer d'autres raisons pour lesquelles le modèle proposé d'aménagement de l'espace post-soviétique n'a pas été matérialisé. Les éliminer exigera beaucoup de temps. La période de transition sera longue.

La formation de la Communauté était-elle une erreur? La CEI a-t-elle un avenir? La CEI a joué un rôle historique positif. Grâce à elle on a réussi à éviter une version yougoslave de la désintégration de l'URSS. La Communauté a un avenir étant donné que les dirigeants des nouveaux Etats indépendants ont besoin d'elle en qualité d'institution de consultations, d'échanges d'opinions, de confrontation des points de vue, de discussion des problèmes touchant aux intérêts communs, c'est-à-dire en tant que forum politique si l'on peut s'exprimer ainsi. Et si jamais l'histoire la voue quand même à la disparition, la Russie ne participera pas à sa mise à mort car cela ne répondrait pas à ses intérêts. Cependant, il ne faudrait pas se bercer d'illusions et croire que la Communauté pourrait être réformée et acquérir un second souffle. Ce serait vain. Il faut un nouveau projet géopolitique qui serait attractif pour les nouveaux Etats indépendants et en même temps compétitif face au projet de l'Union européenne qui peu à peu absorbe l'espace post-soviétique. Seulement nous en sommes encore loin et tout indique que la Russie ne le proposera pas avant longtemps. Il est peu probable que quelqu'un d'autre qu'elle puisse le faire. En attendant, les relations avec les anciennes républiques devront reposer sur les mêmes principes qu'avec les autres pays du monde. Tous les sentiments concernant le passé commun doivent être extirpés de la politique appliquée par la Russie dans l'espace post-soviétique. Il faut avoir comme premier point de repère le développement des rapports bilatéraux sur la base de l'avantage réciproque. Les projets intégrationnistes sub-régionaux qui existent actuellement ne pourront probablement pas être réalisés. Il serait rationnel d'aligner les relations économiques sur les prix en vigueur sur le marché mondial, ce qui les rendrait plus transparentes. Autrement, la Russie pourrait se retrouver dans la même situation que l'URSS après la dissolution du Conseil d'assistance économique mutuelle, quand, en dépit de l'aide économique considérable qu'elle avait accordée aux pays socialistes frères, elle avait été leur débitrice.

Dans de nombreux pays de la CEI, les milieux politiques sont franchement hostiles à la Russie, inamicaux dans le meilleur des cas, et cela doit être pris en compte. C'est peut-être étrange au premier abord, mais pour la Russie il est plus avantageux sur le plan économique de coopérer avec les Pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie). Cette coopération est affranchie de toute idéologie. Dans ces relations la politique et l'économie sont séparées au maximum. Ce modèle, la Russie pourrait très bien l'appliquer à l'égard des pays de la CEI. Ceux qui prétendent que dans ce cas les Russes et les russophones vivant dans ces pays en feraient les frais ne pourraient être démentis que par une politique incitatrice au retour. Les personnes souhaitant vivre et travailler en Russie doivent en avoir la possibilité. Vu la situation démographique en Russie, cette dernière y aurait tout intérêt. Très instructive ici est l'expérience d'Israël.

Il est d'ores et déjà évident que la Russie n'est pas en mesure de maintenir l'espace post-soviétique sous son contrôle. Elle n'a ni les ressources matérielles, ni la volonté politique. Et pour qu'elle puisse maintenir son influence dans la région, elle doit coopérer avec les Etats-Unis, l'Union européenne et la Chine dans le règlement des nombreux problèmes qui s'y posent. La politique de confrontation avec ceux-ci n'aboutirait à rien, elle ne ferait qu'affaiblir la Russie.

L'opinion de l'auteur ne correspond pas forcément à celle de la rédaction.

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