L'Opus Dei était la réponse de l'ex-pape aux changements alarmants pour le christianisme dans le monde actuel. Le pape a écrit dans son message apostolique en 1995: "Que la Croix du Christ ne soit pas abolie, car, si elle est abolie, l'homme n'aura pas de racines, de perspectives, il sera détruit. C'est le cri du 20e siècle, le cri de Rome, de Constantinople et de Moscou". Ce vibrant appel a été lancé non seulement parce que le monde chrétien a commencé à perdre ses positions, en les cédant, par exemple, à l'activité intense des missionnaires de l'islam, mais aussi parce que le monde du lucre et de l'injustice sociale, le monde amoral du point de vue du chrétien, a commencé à l'emporter.
Parlant de la mort de Jean-Paul II, un de mes collègues a écrit que les Russes s'en souviendront comme d'un adversaire du communisme. C'est vrai. Mais si mes concitoyens connaissaient un peu mieux le pontife, ils s'en souviendraient non seulement comme d'un ennemi du totalitarisme, mais aussi comme d'un combattant non moins conséquent de la justice sociale.
C'est du vivant du pontife que s'est développée, avec la bénédiction de Karol Wojtyla, la branche gauche du catholicisme, la "Théologie de la libération". J'ai maintes fois rencontré son auteur, le prêtre péruvien Gutierrez.
Enfant, Karol Wojtyla rêvait de devenir footballeur, gardien de but, ensuite acteur, de plus, il a travaillé dans une carrière de pierre de taille, c'est pourquoi il a connu de près les bas-fonds de la société et le fardeau de la pioche de l'ouvrier.
Il jugeait nécessaire de lutter contre la misère, mais, naturellement, pas par les méthodes bolcheviques. En cela, le pape a été soutenu par le diocèse "Opus Dei", dont le fondateur Josemaria Escriva de Balaguer avait avancé dès 1928,dans l'Espagne catholique conservatrice, l'interprétation foncièrement nouvelle de la "sainteté", dogme important de toute église et de toute religion. Du point de vue de Josemaria Escriva, chacun peut prétendre à la sainteté et uvrer en ce sens. Pour cela, il n'est pas obligatoire de se cloîtrer dans un monastère, de mortifier son corps et de manger des sauterelles sèches. Bien au contraire. Il est bien plus facile de se retirer du monde des tentations en s'isolant dans une cellule de moine que de vivre dans le monde en conservant l'honnêteté et la foi. Efforcez-vous d'être des saints dans la vie, en restant chefs de famille, hommes d'affaires, juristes, a proposé Josemaria Escriva. Cette doctrine, bien qu'élaborée par un catholique, est très opportune à l'époque contemporaine en Russie et dans de nombreux autres pays où règnent la corruption et d'autres vices.
Après avoir été proscrit durant la majeure partie de sa vie, Josemaria Escriva, fondateur de l'Opus Dei, enfant terrible du Vatican, est rapidement devenu, grâce à Jean-Paul II, un saint officiellement reconnu par l'Eglise. Le pape a vu dans ses idées un nouvel étendard de l'évangélisation du monde contemporain.
Bien entendu, le pape comprenait parfaitement que pour l'homme d'affaires ou le juriste, le chemin menant à la sainteté est difficile et long, mais qu'il est important de donner un coup de pouce. Du vivant de Karol Wojtyla, le nombre de cardinaux, d'évêques et de simples prêtres faisant partie de l'Opus Dei a considérablement augmenté. Ainsi, dès 1991, à l'occasion de la fête de la Trinité, le pape a élevé à la dignité de prêtre 61 serviteurs du culte, dont 20 membres de son diocèse préféré. Il n'est pas exclu qu'au présent conclave qui élira un nouveau pontife, l'Opus Dei insiste pour qu'un des siens accède à la papauté. Et ses chances sont réelles.
Quel rapport existe-t-il entre tout cela et la Russie? Les idées ont maintes fois prouvé qu'elles sont matérielles et ne connaissent pas les frontières. L'Opus Dei a été conçu, dès le début, comme un "diocèse sans frontières". D'ailleurs, on ne sait pas qui a formé le plus d'athées en Russie: le communisme ou le voltairianisme? Le fait est que ces conceptions sont parvenues en Russie de l'étranger.
Faut-il craindre les idées de l'Opus Dei? Je ne le crois pas.
Il n'est pas obligatoire de devenir catholique dans un pays qui est, pour l'essentiel, orthodoxe, tout comme il n'est pas obligatoire au XXIe siècle de se cloîtrer dans un monastère pour fuir les tentations de la vie terrestre. Par contre, personne n'empêche les hommes d'affaires et les juristes, ainsi que les nouveaux riches russes, d'être honnêtes ou d'essayer de l'être.
C'est pourquoi, il est bien dommage que Karol Wojtyla soit mort, car cette noble cause triompherait, peut-être!