A défaut de souliers russes on porte des chaussures chinoises

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MOSCOU (Par Iana Yourova, commentatrice politique de RIA Novosti). D'après les données du Service fédéral des Statistiques, l'année dernière, la production de l'industrie légère s'est réduite en Russie de 7,5 % par rapport à 2003. La production de tissus a baissé de 2,7 %, celle de jersey, de 9,4 %, celle de bonneterie, de 13,6 %. La production d'articles en youfte (cuir russe) s'est réduite de 4,9 %, celle de chaussures de 4 %. Tout cela a eu lieu dans le contexte général de l'essor économique qui accroît le pouvoir d'achat de la population.

Comprenant que la situation désastreuse de l'industrie légère s'aggravera après l'adhésion de la Russie à l'OMC et à la suite de la libéralisation du marché, le gouvernement russe a décidé de sauver cette branche de l'extinction. Il est vrai, il ne sait pas encore comment s'y prendre.

La crise de l'industrie légère russe ne date pas d'hier. Les problèmes se sont accumulés graduellement. Mais, il y a un an, le gouvernement a fait abstraction des intrigues autour des secteurs "stratégiques" des matières premières et s'est rendu compte que les vêtements et les chaussures de fabrication russe disparaîtront bientôt dans le pays.

Dans son récent rapport "Bilan du développement socio-économique de la Fédération de Russie en 2003", le ministère du Développement économique a mis les points sur les "i". Il s'avère que ce secteur n'a pas réalisé de bénéfices durant ces trois dernières années, que les impôts perçus dans cette branche ne constituent que 1,3 % des versements de l'ensemble des secteurs, que l'usure des équipements et des fonds fixes est de 57 % et que plus de la moitié des entreprises ne sont pas rentables. La part des investissements effectués dans le capital fixe usé de l'industrie légère a représenté 0,2 %, alors qu'elle constituait 25,5 % dans l'industrie des combustibles, 11,6 % dans l'extraction du pétrole, 4,9 % dans l'industrie du gaz, 3,1 % dans la métallurgie, 3,0 % dans les constructions mécaniques, 1,7 % dans l'industrie mécanique du bois, 2,2 % dans l'industrie chimique et 2,7 % dans l'industrie alimentaire.

On estime que l'importation illégale est le problème principal de l'industrie légère. C'est notamment l'avis de l'équipe de représentants des ministères et départements intéressés chargés par le gouvernement de sauver le secteur. Cette équipe propose d'emprunter la voie suivante pour que ce secteur cesse de figurer parmi les outsiders: défendre le marché intérieur "pour créer des conditions de concurrence égales" avec les produits importés, mettre fin aux fournitures clandestines et à la fabrication illégale en Russie.

Après l'apparition de ce rapport, les autorités russes ont commencé à œuvrer énergiquement en vue d'atteindre l'objectif fixé. Le ministère russe de l'Industrie et de l'Energie a proposé de ramener à zéro les droits d'importation des équipements pour les entreprises de l'industrie textile et légère, dont la fabrication n'existe pas en Russie. A ce jour, cette décision a déjà été prise pour 15 dénominations. Les services douaniers ont reçu l'ordre de durcir le contrôle de l'importation d'articles en provenance des pays d'Asie. Bien plus, la valeur maximale des objets personnels apportés par les personnes physiques sans payer de taxe douanière et d'impôts s'est réduite en passant de 2 500 dollars à 550 dollars. Cela veut dire que non seulement les grandes valises des "tchelnokis" (commerçants qui font la "navette" entre l'étranger, où ils s'approvisionnent, et la Russie, où ils écoulent leur marchandise), mais aussi les bagages de cabine seront minutieusement fouillés à la frontière. Mais des désaccords apparaissent. Ainsi, pour défendre les producteurs russes, le ministère de l'Industrie et de l'Energie de Russie s'est prononcé contre la proposition des importateurs de réduire les taxes d'importation sur les chaussures qui coûtent moins de 35 euros. En même temps, il propose de réduire la taxe jusqu'à 5 % pour l'importationen Russie de chaussures chères "non produites dans le pays", dont le prix dépasse 35 euros.

Qui se disputent? Il s'avère que, dans la période de stagnation de l'industrie légère russe, les compagnies spécialisées dans l'importation ont formé un lobby puissant. La résistance la plus acharnée aux mesures protectionnistes est opposée dans le secteur des chaussures, car ce marché est occupé aujourd'hui, pour l'essentiel, par les fournisseurs de produits étrangers, avant tout chinois.

D'après les données du Service fédéral des douanes de la Fédération de Russie, dans le premier semestre de 2004, l'importation de chaussures en provenance de Chine a constitué 42,9 %, alors que celle de chaussures italiennes, qui occupent la deuxième place, n'a constitué que 8,8 %. Etant donné les particularités du système d'imposition et en raison de la main-d'œuvre bon marché en Chine, le prix de revient des produits chinois est de 10 fois plus bas qu'en Russie. C'est pourquoi les producteurs russes ne peuvent pas soutenir leur concurrence.

Le secteur russe des chaussures compte aujourd'hui 220 petites et moyennes entreprises dans 57 régions du pays. La capacité de production des entreprises russes - c'est-à-dire leur potentiel, et non pas la production réelle - est de 160 millions de paires. Cependant, la consommation de chaussures dans le pays constitue 220 millions de paires par an. D'après les dernières données (pour 2003), les entreprises russes n'ont fabriqué que 60 millions de paires de chaussures, l'importation recensée était de 54,4 millions de paires, donc, les autres 105,6 millions de paires ont été importées d'après des schémas de contournement du fisc et des procédures douanières, ou bien elles ont été fabriquées clandestinement.

Stanislav Naoumov, assistant du ministre russe de l'Industrie et de l'Energie, estime que ce volume de la contrefaçon est la raison pour laquelle le marché russe des chaussures a perdu son attrait pour les investisseurs. D'après les pronostics des experts, si cette situation perdure, dans cinq ans environ 95 % des chaussures seront de fabrication chinoise. Selon les représentants de ce secteur, la Chine vient en tête non seulement pour l'importation officielle de chaussures: jusqu'à 80 % des chaussures chinoises parviennent en Russie selon des schémas illégaux. Qui plus est, ce ne sont pas les meilleurs produits, mais des chaussures de mauvaise qualité ou démodées, ou bien ce sont des imitations de célèbres marques européennes.

Pour y parer, certains fabricants russes de chaussures proposent de profiter de l'expérience espagnole et d'introduire des quotas d'importation de chaussures en provenance de Chine. De l'avis d'Alexandra Androunakievitch, représentante des l'Union des tanneurs et des cordonniers de Russie, "les fabriques russes peuvent fabriquer des chaussures bon marché, c'est pourquoi les fournitures massives de chaussures à un prix déclaré réduit exercent une grande concurrence sur un segment dans lequel se spécialisent nos producteurs".

Mais l'Union nationale de la chaussure de Russie qui regroupe les compagnies qui vendent les chaussures a engagé le débat. Ses partisans insistent, au contraire, sur la réduction des taxes d'importation, en estimant que ce sont les taxes élevées qui provoquent les importations illégales, comme si la réduction des taxes pouvait régler le problème.

Certes, les vendeurs ont intérêt à continuer de retirer de gros profits de la vente des chaussures chinoises bon marché. Mais il est évident que, pour l'industrie russe des chaussures, réduire les taxes signifie signer son propre arrêt de mort. En effet, la concurrence entre les producteurs russes et les producteurs chinois concerne les prix, alors que la qualité des chaussures russes est meilleure que celle des contrefaçons chinoises.

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