Les islamistes se prononcent pour des réformes

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MOSCOU, 29 mars (Vladimir Akhmedov, maître de recherche à l'Institut d'Etudes orientales de l'Académie des Sciences de Russie - RIA-Novosti).

Aujourd'hui, la Russie considère le règlement au Proche-Orient et le développement du Moyen-Orient comme des tâches prioritaires de la politique internationale. De leur côté, les Etats-Unis mettent l'accent principal sur la démocratisation du Proche-Orient. L'interdépendance de ces processus est évidente, mais une question se pose: peut-on envisager le bon déroulement de ces processus sans tenir compte du mouvement islamique qui ne cesse de gagner en puissance dans le monde?

Dans le contexte de la confrontation arabo-israélienne continue, le développement accéléré et imposé de l'extérieur des démocraties arabes serait contre-productif. Dans le même temps, d'authentiques démocraties arabes préféreraient un règlement négocié, pacifique du conflit arabo-israélien, et mèneraient une lutte beaucoup plus énergique contre l'extrémisme et le terrorisme.

Les élections en Palestine, la modification de la législation électorale en Egypte et les premières municipales de toute l'histoire de l'Arabie Saoudite montrent que, les leaders arabes se rendent massivement compte de la nécessité objective de mener des réformes politiques et économiques, ne fût-ce que pour se maintenir au pouvoir dans leurs propres pays.

De par sa psychologie même, la société arabe n'est pas encore prête pour des changements globaux. Le processus de mondialisation en cours, ainsi que la modernisation et les réformes qui y sont liées, phénomènes dont le vecteur est toujours défini par l'Occident, sont très souvent interprétés par l'opinion arabe comme une tentative des puissances occidentales, et avant tout des Etats-Unis, de redécouper la carte politique du Proche-Orient pour y affirmer leur domination. Cette interprétation de la réalité est confortée par l'actuelle politique de Washington dans cette partie du monde. Tout cela fait planer des doutes sur la sincérité des états d'esprit démocratiques des leaders arabes. Cela met dans une situation embarrassante les authentiques partisans laïques des réformes libérales dans la région, tant face aux élites conservatrices au pouvoir qu'envers les mouvements réformateurs islamiques qui ne cessent de gagner en puissance.

Depuis ces derniers temps, les représentants de ce qu'on appelle l'"islam politique" revendiquent avec plus d'insistance la légalisation et l'élargissement de leur participation à la vie politique des pays arabes. Les leaders des mouvements islamistes se sont rendu compte de l'envergure et de la profondeur des transformations imminentes avant nombre de dirigeants arabes. Et ce n'est sans doute pas par hasard que ce sont justement les "Frères-musulmans" qui organisent en Egypte des meetings en faveur des réformes politiques dans ce pays. Le mouvement HAMAS s'implique, lui aussi, de plus en plus énergiquement dans la vie politique dans les territoires palestiniens.

En effet, l'échec des projets de création d'un califat islamique, l'étroitesse de la base idéologique de l'extrémisme et l'absence de programme politico-social universel ont incité les représentants de l'islam politique à s'adapter rapidement aux nouvelles réalités régionales. Ainsi, toute une série d'idéologues du mouvement islamiste modéré (le Cheikh égyptien Youssef Qardawi; le leader du parti An-Nahda tunisien, Rached Ghannouchi) essaient d'adapter l'islam à la démocratie, de "démocratiser l'islam". Ils se prononcent pour le refus de la violence en tant que moyen de lutte politique. Ils dénoncent le terrorisme, appellent à la création d'un "Etat islamique démocratique", appuient le principe des élections parlementaires libres, révisent l'idée de la nature divine du pouvoir et du rôle de la femme dans la société. Et il n'est même pas rare qu'ils interviennent en défenseurs énergiques des droits de l'homme.

Pourtant, le mouvement réformateur au sein de l'islam et sesmots d'ordre ne manquent pas de susciter de graves craintes aux différents pôles de la société arabe. Nombreux sont les dirigeants arabes qui appréhendent, à juste titre d'ailleurs, que des élections libres et démocratiques ne favorisent l'arrivée au pouvoir des islamistes. Ils craignent aussi une éventuelle alliance, même provisoire, entre les islamistes modérés et les forces libérales de gauche. Pour leur part, les forces démocratiques laïques se montrent très prudentes face aux réformateurs islamiques, tout en les considérant comme des concurrents dans la lutte démocratique pour le pouvoir.

Toutefois, le danger d'une participation légale des représentants du mouvement islamique à la vie politique des pays arabes n'est pas aussi grand qu'on le croît. L'expérience de la Turquie et du Koweït prouve que la participation des mouvements islamiques au fonctionnement des institutions démocratiques, ainsi que la lutte pour l'électorat mènent inévitablement à l'affaiblissement du radicalisme et de l'extrémisme. Et, par contre, l'absence de transformations véritablement démocratiques dans différentes sphères de la vie des Etats du Proche-Orient ne fait que maintenir le "potentiel des conflits" dans la région, tout en générant sur sa base tout un "paquet" de nouveaux problèmes.

De surcroît, une bonne partie de la population dans les pays arabes, des jeunes avant tout, partage, dans une mesure ou une autre, les vues des réformateurs islamiques radicaux et est même prête à les suivre. Or, c'est justement aux jeunes Arabes qui sont incontestablement les plus ouverts à tout ce qui est nouveau, que s'adressent principalement les réformes démocratiques et tous les programmes de modernisation. Ignorer les sentiments et les espérances de cette partie de la société arabe, la laisser en dehors du progrès pourrait signifier l'échec inévitable des authentiques transformations démocratiques.

Le problème essentiel en matière de promotion des réformes, problème que les paysarabes eux-mêmes et leurs sponsors internationaux devront essayer de résoudre, consiste à établir à quel point il est possible de concilier, sur une base patriotique nationale, le projet laïque des réformes avec des éléments du système occidental de valeurs, ainsi que le modernisme musulman avec les idées et les représentations islamiques traditionnelles.

Dans le contexte de la mondialisation en cours, l'aide au développement, notamment des pays de l'Orient Arabe, est un instrument très important dans la politique des Etats qui ambitionnent des positions de leaders à l'échelle mondiale. De ce point de vue et compte tenu des réalités régionales évoquées, le développement et le renforcement des liens de la Russie avec des organisations interarabes, tant laïques (Ligue arabe) que religieuses (Organisation de la Conférence islamique), sont extrêmement importants. La normalisation et l'élargissement d'une telle coopération ne manqueraient pas de rehausser le prestige international de Moscou, tout en lui permettant de défendre plus efficacement les intérêts nationaux de la Russie et de renforcer ses positions au sein du G8. Ce qui revêt une actualité particulière à la lumière de la future présidence tournante de la Russie au G8.

L'avis de l'auteur ne correspond pas obligatoirement avec celui de la rédaction.

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