Le Kremlin hostile à tout changement de Constitution

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MOSCOU, 17 mars (par Youri Filippov, commentateur politique de RIA-Novosti). Lors de sa récente rencontre avec des journalistes étrangers, Igor Chouvalov, assistant du Président de la Fédération de Russie, a catégoriquement démenti la possibilité même de transformer la Russie en république parlementaire. "La Constitution ne changera pas, et la Russie restera une république présidentielle. Le Premier ministre ne recevra aucunes compétences supplémentaires, et nous ne passerons jamais à la forme parlementaire d'administration du pays", a notamment déclaré Igor Chouvalov. Selon ce dernier, l'idée même d'une république parlementaire en Russie ne peut être réalisée "sous aucunes conditions ni circonstances", toute discussion à ce sujet relève de la spéculation pure et simple.

Les paroles d'Igor Chouvalov ne se prêtent à aucune double interprétation: Le Kremlin ne proposera pas d'amendements constitutionnels portant sur une nouvelle répartition des pouvoirs au niveau fédéral et n'appuiera pas non plus de tels amendements s'ils sont avancés par quelqu'un d'autre. Cela signifie notamment que dans le contexte de l'actuel rapport des voix au Parlement, de tels amendements ne seraient jamais votés.

Or, tout au long de ces dernières années, le Président Vladimir Poutine a plus d'une fois réaffirmé publiquement son hostilité à l'idée même d'une république parlementaire et d'amendements appropriés à la Constitution. "Il est dangereux pour la Russie d'avoir une autre variante d'organisation du pouvoir d'Etat que celle de la république présidentielle", a-t-il dit lors d'une conférence de presse au Kremlin, le 20 juin 2003, devant plus de 700 journalistes russes et étrangers. Vladimir Poutine en a aussi parlé en d'autres circonstances, y compris au cours des solennités à l'occasion de l'adoption de la Constitution de la Russie et dans ses multiples interviews accordées aux correspondants étrangers. Tout porte à croire cependant qu'il est des questions auxquelles les hommes politiques dans les différents pays se voient bien obligés de répondre en permanence. Est-ce que le danger d'une revanche nazie est vraiment important en Allemagne? N'est-il pas temps d'abolir la monarchie en Grande-Bretagne? La tension interraciale et interethnique ne remet-elle pas en cause l'existence même des Etats-Unis? Malgré l'évidence apparente des réponses négatives à toutes ces questions, ces dernières ont toujours leur vie indépendante et se posent périodiquement.

Et cela n'est sans doute pas un hasard.

La question sur les perspectives d'une république parlementaire en Russie est sans doute liée au problème de la continuité et de la stabilité du pouvoir politique dans le pays. C'est que la rotation des personnalités au sommet du pouvoir politique en Russie a trop souvent débouché sur des changements aussi radicaux qu'imprévisibles. L'Etat et sa politique ont été effectivement réorganisés de façon radicale par Mikhaïl Gorbatchev, Boris Eltsine et même, en partie, par Vladimir Poutine au cours de leurs présidences. D'où la question tout à fait pertinente: Ne serait-il pas plus simple de modifier d'avance les lois pour ne pas se retrouver subitement confronté à un changement par trop brutal de la politique?

Ceux qui posent cette question attendent sans doute de Vladimir Poutine la manœuvre suivante: après avoir fait adopter des amendements constitutionnels appropriés, rendre tout simplement nominal le poste de Président, tout en investissant des pouvoirs essentiels le Premier ministre, dont la candidature doit être entérinée par le Parlement. Ceci fait, Vladimir Poutine dont le mandat présidentiel expire au printemps 2008 pourrait devenir Premier ministre et poursuivre sa politique à ce nouveau poste.

Néanmoins, l'erreur réside dans le fait que la stabilité du système politique que Vladimir Poutine a mis en place depuis ces quelque cinq dernières années de présidence (et qu'il va sans doute renforcer toujours plus à l'avenir) dépend moins de la personnalité du Président que du présidentialisme même. Pour Vladimir Poutine, changer de priorités et déplacer l'accent de l'institution présidentielle sur la personnalité signifierait compromettre ses réussites essentielles dans l'édification de l'Etat, succès obtenus depuis toutes ces dernières années.

"La Fédération de Russie est un pays multinational et multiconfessionnel très complexe", n'a cessé de répéter Vladimir Poutine tout au long de son premier mandat présidentiel. C'est justement ce fait fondamental qui engendre, pour Vladimir Poutine, la nécessité absolue d'un pouvoir présidentiel fort en Russie, qui est seul capable de garantir l'unité de l'Etat. Un tel pouvoir doit être légitimé par le peuple et s'élever au-dessus du gouvernement, du Parlement et de l'échelon régional d'administration qui, en vertu de la spécificité de la Russie, ne peuvent par eux-mêmes constituer des facteurs clés de l'unité du pays.

C'est justement un tel système de pouvoir présidentiel que Vladimir Poutine a construit et continue d'édifier. Ses éléments logiques, dont l'apparition a été précipitée par l'aggravation de la menace terroriste, sont la nouvelle procédure de nomination des chefs des régions (avec le renforcement des compétences du Centre fédéral) et le passage au système proportionnel lors des législatives, système qui a pour vocation de renforcer les partis politiques ayant une audience nationale.

Dans ce système de pouvoir, le Président joue incontestablement un rôle clé. C'est que sans lui ce système n'a tout simplement pas de sens. On ne comprend pas comment on pourrait édifier énergiquement ce système (qui est d'ailleurs encore en chantier), tout en pensant à le démanteler et à le remplacer par un autre?

Concernant la continuité politique qui porte sur les personnalités, Vladimir Poutine jouit d'une prérogative essentielle qui n'est consacré ni dans les lois ni dans la Constitution de la Fédération de Russie. Il a le droit, bien qu'informel, de proposer et d'appuyer aux futures élections la candidature de la personne qu'il aura pressentie pour lui succéder. Vladimir Poutine a déjà déclaré son intention d'exercer ce droit informel. Somme toute, dans le cadre de tout ce qu'il a fait jusqu'ici, ce serait logique.

De toute évidence, Igor Chouvalov a été très étonné d'entendre un journaliste étranger poser cette fois encore une question sur la république parlementaire en Russie et sur d'éventuels amendements à la Constitution. Combien de fois peut-on poser la même question? Rien à faire. Le métier même d'homme politique consiste pour beaucoup à réaffirmer la même chose à maintes reprises.

Pour ce qui est de l'avenir politique de Vladimir Poutine, il répondra sans doute lui-même à cette question et ce, sans recourir à l'aide d'interprètes de tout genre. Une seule chose est claire: cette réponse de Vladimir Poutine sera logique et réfléchie.

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