Sommet de Paris: l'Europe en quête d'un contrepoids à l'Amérique

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MOSCOU, 17 mars - par Vladimir Simonov, commentateur politique de RIA Novosti.

Le "trio" européen - France, Allemagne et Russie - auquel le monde s'est déjà habitué se transforme en "quatuor". Pour le sommet du 18 mars à Paris, Jacques Chirac a invité non seulement le chancelier allemand, Gerhard Schröder, et le président russe, Vladimir Poutine, mais aussi le chef du cabinet espagnol, Jose Rodriguez Zapatero.

Ces dernières années, le "trio" se réunissait au son des canonnades en Irak, tel un groupe d'amis condamnant la guerre et préoccupé par le mépris de Washington à l'égard des normes du droit international. Dans cette optique, la participation actuelle de l'Espagne à la rencontre de Paris s'annonce tout à fait logique. L'arrivée au pouvoir d'un nouveau gouvernement social-démocrate a radicalement changé l'attitude de Madrid à l'égard de la campagne irakienne, ce qui à permis au contingent espagnol de quitter l'Irak et au premier ministre Zapatero d'être admis au sein du "trio" européen.

Certains sont enclins à taxer ce club d'antiaméricanisme. Il serait plus précis d'évoquer, à mon avis, la volonté de ses membres de rétablir l'équilibre mondial perturbé par l'usage égoïste et démesuré par Washington de sa puissance militaire. La doctrine messianique de George W. Bush inquiète la Vieille Europe qui ne demande pas mieux que de s'unir avec la Russie en quête d'un contrepoids politique susceptible de contrecarrer les ambitions globales des États-Unis.

Dans tous les cas, il est évident que ce sommet quadripartite se déroulera dans une atmosphère différente de celle des sommets précédents. Car Paris accueillera les leaders dont les critiques visant la guerre irakienne et, plus généralement, le comportement des États-Unis sur l'échiquier international ont trouvé une confirmation dans les événements des derniers mois. En dépit du "succès" largement médiatisé des élections en Irak, les États-Unis se sont embourbés dans ce pays, le retrait du contingent de 150 000 soldats américains étant renvoyé aux calendes grecques. Aucun des membres du "quatuor" - et Poutine ne fait pas exception - ne croit que Bush se décide à consacrer son deuxième mandat présidentiel à une nouvelle aventure militaire. Ses menaces proférées contre la Syrie et l'Iran sont une chose, mais la possibilité réelle d'y dépêcher des troupes en est une autre.

Ce net affaiblissement du statut d'"hyperpuissance", pour reprendre l'expression de l'ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, semble modifier aujourd'hui la nature du partenariat entre l'Europe et les États-Unis. Jadis atlantique avec un "A" majuscule et universel sans réserves, celui-ci devient sélectif quand les intérêts des parties divergent. Ainsi, en dépit des fortes objections de la part de Washington, l'Union européenne est prête à lever l'embargo sur les fournitures de matériel de guerre à la Chine introduit il y a 15 ans, après les événements de la place Tiananmen. Les États-Unis sont de même hostiles aux projets de mise en place, hors de l'OTAN, d'un système de défense européen, à la ratification par beaucoup de pays européens, la Russie comprise, du protocole de Kyoto et à la levée de bouclier que provoquent en Europe toutes les tentatives faites par Washington pour affaiblir l'autorité de la Cour pénale internationale.

Résultat, l'idée de Paris, de Berlin et de Moscou de créer un contrepoids constructif à la politique étrangère américaine, largement ambitieuse et fortement attachée à la puissance militaire, idée à laquelle souscrit désormais Madrid, commence à prendre corps.

Mais évitons de confondre contrepoids et antiaméricanisme. Comme toute démocratie fonctionne mieux en présence d'une opposition saine, les États-Unis pourraient mettre à profit les pôles de puissance "alternatifs", s'ils acquièrent des formes plus ou moins nettes, pour harmoniser leur politique étrangère.

À Paris, la rencontre de travail quadripartite offre un agenda indéfiniment large et improvisé. On sait pour l'instant que parmi les sujets éventuels du sommet figurent le rôle de l'ONU dans le monde contemporain, le règlement irakien et proche-oriental et la situation autour des programmes nucléaires iranien et nord-coréen. De son côté, Vladimir Poutine envisage d'aborder l'extension des relations entre la Russie et l'Union européenne et, après le sommet, d'avoir un entretien bilatéral avec Jacques Chirac.

Qui plus est, l'ombre du premier ministre italien accompagnera certainement le débat sur l'Irak. En annonçant hier son intention d'entamer en septembre le retrait de 3 000 soldats italiens du territoire irakien, Silvio Berlusconi a réitéré l'idée qui vient à l'esprit d'un nombre de plus en plus élevé de membres de la coalition américano-britannique: sur l'échiquier national, le fardeau de leur loyauté envers la campagne américaine en Irak devient on ne peut plus lourd. L'Espagne, les Pays-Bas, la Pologne, l'Ukraine et plusieurs autres pays ont déjà renoncé à le porter, soit en amorçant le retrait de leurs contingents, soit en déclarant leurs intentions de retrait.

Cette décision de Berlusconi, prise en prévision des législatives de 2006, porte un coup dur aux efforts déployés par l'administration Bush en vue d'internationaliser la responsabilité pour le bilan de la campagne irakienne. Elle démontre une fois de plus la montée des tendances à l'indépendance, voire à l'opposition face à Washington.

Mais les États-Unis savent bien d'où vient le vent. Tout porte à croire que les participants au sommet quadripartite de Paris aborderont avec satisfaction un événement marquant des derniers jours: l'Amérique a opéré un virage à 180° dans le dossier du programme nucléaire iranien. Pendant de longs mois, Moscou, Paris et Berlin ont insisté sur le règlement purement diplomatique du problème, alors que les États-Unis continuaient de menacer Téhéran d'appliquer à son égard le scénario irakien. Toutefois, après la récente tournée européenne de George Bush, Washington annonçait un changement de position. Avec une générosité inouïe, il proposait à l'Iran des avantages économiques en échange de l'abandon du programme de développement de l'arme nucléaire. Parmi ces avantages, il y a un vrai cadeau: Washington n'aurait rien contre l'adhésion de l'Iran à l'OMC, alors qu'il y a mis son veto pendant une décennie entière.

La secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice, a précisé que Washington "veut soutenir les Européens, et non pas récompenser les Iraniens". En vérité, la position commune des Européens, la Russie comprise, a forcé Washington à remplacer le bâton par la carotte dans ses relations avec l'Iran. Espérons que c'est un bon signe. L'équipe diplomatique de Bush avec Condoleezza Rice à sa tête commence peu à peu à se rendre compte qu'elle ferait mieux d'agir, dans les situations critiques, à l'unisson avec la Grande Europe. Les règles du jeu sont dictées par un monde véritablement nouveau, apparu après la guerre américaine ratée en Irak.

Le président Vladimir Poutine se rend à Paris pour aborder également l'état des relations entre la Russie et l'Union européenne. En somme, ces relations s'annoncent on ne peut plus prometteuses. Les parties se déclarent disposées à développer les fameux quatre "espaces communs" (économie, sécurité intérieure et extérieure, recherche et culture). Mais les événements en Géorgie, en Ukraine et en Moldavie ont révélé autre chose: dans l'espace post-soviétique, les fonctionnaires européens tendent à appuyer les forces politiques qui se distancent de la Russie. Ainsi, Bruxelles pose à Tbilissi, Kiev et Chisinau un faux dilemme: être soit avec l'Occident (UE et OTAN), soit avec la Russie.

Visiblement, cette approche ne convient pas à Vladimir Poutine, comme elle déplaît à la France, à l'Allemagne et aux autres pays de la Vieille Europe, dégoûtés par les tendances russophobes qu'ont apportées dans l'Union européenne élargie les novices comme la Pologne ou les pays baltes. Le sommet de Paris montrera donc si la Vieille Europe est capable d'assumer le rôle d'extincteur de ces attaques improductives antirusses.

En cette année du 60e anniversaire de la Victoire des troupes alliées sur le nazisme, les tentatives de fonctionnaires bruxellois et de novices radicaux de l'UE visant à provoquer de nouveaux clivages sur le continent européen semblent archaïques, voire sacrilèges.

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