Un Allemand Héros de la Russie

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MOSCOU, 15 mars. (Par Tatiana Sinitsyna, commentatrice de RIA Novosti). Le 19 juin 1996, le président russe, Boris Eltsine, avait signé le décret N°948, à la teneur inédite. Le document en question stipulait: "Pour courage et héroïsme manifestés pendant la Grande Guerre patriotique, décerner le titre de Héros de la Fédération de Russie au sergent GANOUS, Feodossi Grigorievitch (à titre posthume)". La Russie de la fin du XX-e siècle s'était souvenue de l'exploit accompli par un combattant soviétique, tué voici plus d'un demi-siècle devant Stalingrad, et l'avait honoré de la plus haute distinction du nouvel Etat.

"C'était le triomphe de la justice, j'étais heureux comme après avoir pris une position pendant la guerre", a raconté le colonel Piotr Dounaïev, historien militaire. Les erreurs, l'injustice, la manipulation des destins sont aussi une douleur procurée par la guerre. Ce sont là ses dessous peu attrayants que l'on ne révèle pas au grand jour de gaîté de coeur". En compulsant des archives Piotr Dounaïev était tombé inopinément sur un Décret portant attribution du titre de Héros de l'Union soviétique à l'équipage d'un char KV. Cependant, pourquoi seulement quatre noms sur le document? Militaire de métier, l'historien savait que les chars de ce type étaient desservis par un équipage de cinq hommes. Il a consacré dix années de sa vie à la recherche du "cinquième" membre de l'équipage et à la réparation de l'affront fait à l'honneur de ce combattant. L'"oublié" était Feodossi Ganous, un Allemand ethnique. Piotr Dounaïev avait aussitôt compris: il n'avait pas été décoré parce que d'origine allemande. D'une manière générale, ces Allemands ethniques vivant en URSS n'avaient pas été mobilisés. On ne leur faisait pas confiance. Dans le Décret de Staline (N°35105) en date du 8 septembre 1941 il était dit: "Retirer des unités, des académies, des écoles militaires et des établissements de l'Armée Rouge, tant au front qu'à l'arrière, les soldats et les officiers allemands ethniques et les envoyer dans les districts intérieurs, dans les unités du génie". Cependant, lorsque la guerre était arrivée jusqu'à la Volga, la situation était telle que l'application du décret stalinien était devenue toute relative. Sinon comment expliquer que l'Allemand Feodossi Ganous se trouvait dans une unité combattante du Front (Groupe d'armées) de Stalingrad?

... Von Paulus ne possédait plus qu'un seul aérodrome: Pitomnik. Les tankistes avaient reçu l'ordre de s'emparer de la hauteur Bezymiannaïa et de l'exploitation agricole Novaïa Nadejda, situées aux approches de l'aérodrome. Le char KV était commandé par le lieutenant Alexeï Naoumov, 19 ans. Les autres membres de l'équipage étaient l'adjudant-chef Pavel Smirnov (mécanicien-conducteur), le sergent Piotr Noritsyne (chef de pièce), le sergent Nikolaï Vialykh (radio) et le sergent Feodissi Ganous (chargeur). Le char lourd KV progressait en avant-garde, il avait déjà détruit cinq blindés ennemis, 24 véhicules transportant des fantassins ainsi que de nombreux canons et mitrailleuses, ce qui avait été déterminant dans la prise du point d'appui Novaïa Nadejda. Tous ces détails figurent dans le dossier de proposition de récompense. Cependant, le char d'Alexeï Naoumov bien que sérieusement endommagé poursuivait le combat. Lorsque l'équipage eut épuisé ses munitions, les hitlériens l'intimèrent de se rendre, mais en réponse ils entendirent dans un parfait allemand: "Russen ergeben sich nicht!" ("Les Russes ne se rendent pas!"). Le blindé avait alors été aspergé d'essence et incendié.

Un monument au glorieux équipage se dresse aujourd'hui à cet endroit. Un cinquième nom y a été gravé. Celui de Feodissi Ganous.

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