Maskhadov est mort. À quoi peut-on s'attendre maintenant?

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MOSCOU, 10 mars - par Boris Kaïmakov, commentateur de RIA Novosti.

Quand, en 1993, Alexandre Korjakov annonçait à Boris Eltsine la défaite du parlement rebelle, il a posé sur sa table le combiné du téléphone avec, à l'autre bout du fil, le détestable président du parlement, le Tchétchène Rouslan Khasboulatov. Comme en témoignera plus tard le garde du corps, le président russe pris de fureur a lancé le combiné contre le mur.

Quand le directeur du FSB, Nikolaï Patrouchev lisait son rapport sur l'élimination du leader séparatiste Aslan Maskhadov, le président en exercice, Vladimir Poutine, est resté de marbre. Sa voix a toutefois vibré lorsqu'il a ordonné de décorer tous les participants à l'opération.

Eltsine détestait Khasboulatov. Il le détestait comme un adversaire politique qui, en plus, l'a publiquement offensé. Devant des millions de téléspectateurs, Rouslan Khasboulatov a accusé le président d'alcoolisme.

Maskhadov est pour Poutine un adversaire beaucoup plus sérieux que l'ancien professeur Khasboulatov l'était pour Eltsine. Maskhadov incarnait la menace à l'unité de la Russie qui déstabilisait l'ordre établi. Maskhadov était obsédé par l'idée de l'indépendance de l'Itchkérie (nom que les séparatistes ont donné à la Tchétchénie), indépendance à laquelle les séparatistes ne pouvaient accéder qu'en éliminant Poutine physiquement ou en provoquant le démembrement de la Russie.

En 1994, j'ai interviewé Maskhadov dans son bureau à Grozny. Je voyais devant moi un ancien colonel de l'armée soviétique, désormais chef d'état-major de l'Itchkérie de Djokhar Doudaïev. Cette interview ne m'a laissé aucun doute quant à l'incapacité de ce Tchétchène qui a fait une carrière militaire vertigineuse dans l'armée soviétique de penser politiquement. Ce n'était rien d'autre qu'un chef d'état-major borné raisonnant à court terme. À la question de savoir s'il imaginait combien de victimes une guerre de grande envergure pouvait coûter au peuple tchétchène, Maskhadov a répondu sans hésiter: "Un esclave qui ne cherche pas à s'affranchir de l'esclavage mérite un double esclavage". Plus tard, j'ai appris que cette phrase appartenait à Djokhar Doudaïev et qu'elle servait de réponse universelle à des questions pareilles.

Inutile de discuter pour savoir si Maskhadov est lié ou non aux raids terroristes qui ont ravagé la Russie. Même si l'on admettait que les témoignages de terroristes prisonniers dénonçant le rôle de Maskhadov soient fabriqués de toutes pièces, tout porte à croire que des preuves beaucoup plus sérieuses seront découvertes à l'avenir attestant son implication active dans les terribles attentats. Et il ne peut pas en être autrement, car la volonté tchétchène d'accéder à l'indépendance a engendré le sacrifice, et le sacrifice finit toujours par engendrer des terroristes. Le terrorisme dégénère en banditisme. Quelque rigoureuses que soient les accusations à l'encontre de Vladimir Poutine auquel on reproche l'intolérance des séparatistes tchétchènes, une chose est cependant sûre. Aucun État du monde ne peut justifier le terrorisme. Telle est la tragédie de Maskhadov, telle est la tragédie de la Russie. Alors que la pensée humaniste occidentale, en accusant Poutine de violence, ne cherche absolument pas à rapprocher les deux camps. En sympathisant avec les séparatistes, l'Occident diabolise Poutine, le fait passer pour un despote cruel et ferme le cercle de la haine réciproque.

Maskhadov est mort. Il a péri d'une mort bizarre. On ne sait toujours pas s'il a été effectivement tué par ses gardes du corps qui auraient remis son cadavre aux forces spéciales russes qui avaient encerclé le bunker. C'est ainsi que le rebelle paysan Pougatchev fut dénoncé par ses proches qui voulaient mériter la grâce de l'impératrice Catherine II. Ou bien, a-t-il préféré boire le calice jusqu'à la lie et mourir entre les mains de l'ennemi?

Pendant huit longues années, les services secrets russes ont traqué Maskhadov, mais sans succès. Et soudain, ce butin facile... Ce n'est pas tant la mort du leader séparatiste qui intéresse, mais la facilité avec laquelle le FSB a dépisté son abri souterrain. Visiblement, les services secrets ont pu mettre la main sur des hommes proches de Maskhadov qui l'auraient dénoncé.

L'élimination de Maskhadov signifie-t-elle pour le Kremlin le règlement du dossier tchétchène? On voudrait espérer que la perte d'un leader de cette ampleur engendrera une crise dans les milieux séparatistes, comme c'est toujours le cas. Les terroristes pourraient à peine se rallier autour du deuxième leader, Chamil Bassaïev, qui a revendiqué la tragédie de Beslan. Bassaïev est bon pour une lutte à mort, mais il n'est propre à rien dans la bataille pour la vie. Ce que prouve bien l'élimination de Maskhadov dont les gardes du corps ont préféré la vie.

En mourant, Maskhadov a été pratiquement seul. Il se cachait même dans un village de ses ennemis portant le nom russe de Tolstoï-Iourt. Tout portait à croire qu'il ne pouvait pas s'y trouver, car les ennemis ne l'auraient pas laissé passer sans le remarquer. Mais si ses ennemis l'ont laissé passer, ce sont ses amis qui l'ont dénoncé. Des amis qui sont d'ailleurs très peu nombreux. Une raison pour laquelle c'est moins la liquidation de Maskhadov qui importe que les signes évidents de fatigue et d'épuisement du mouvement séparatiste en Tchétchénie.

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