Welt am Sontag: "Nous avons des thèmes plus importants à traiter"

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La Russie se prépare à commémorer le 60-e anniversaire de la Victoire dans la Seconde Guerre mondiale. Ce thème est évoqué par beaucoup aujourd'hui. Seulement si en Russie la presse rappelle l'exploit du soldat russe, les médias allemands débordent de souvenirs d'un autre genre. Ainsi le Welt am Sontag a publié un article de Ralf Georg Reuth titré "Que les femmes soient vos proies". Il a pour motif l'arrivée en Prusse orientale d'un rapace qui massacre les enfants, viole les femmes et détruit tout sur son passage.

Dire que tout cela est entièrement faux serait mentir. Mais il s'agit là d'une vérité qui est pire que le mensonge. La réconciliation des Russes et des Allemands a été obtenue au prix d'efforts inouïs, du dépassement et de la compréhension du passé. Aussi aujourd'hui ne saurait-on évoquer la tragédie de la population civile de l'Allemagne sans s'interroger sur les causes de ce frénétique sentiment de vengeance, parfois insensé et impitoyable. Qui sème le vent récolte la tempête.

Il nous semblait qu'aujourd'hui, quand les Russes et les Allemands peuvent se regarder droit dans les yeux, un dialogue pouvait s'engager sur ce thème sensible pour les uns et les autres. C'est cette motivation qui nous habitait lorsque nous avons adressé à la rédaction du Welt am Sontag la lettre que nous publions ci-dessous. La réponse est saisissante: "Nous avons des thèmes plus importants à traiter". Ce n'est pas là notre avis, c'est pourquoi nous publions cette lettre. Parce que pour pouvoir envisager l'avenir il faut non pas nous accuser l'un l'autre mais converser.

* * *

Monsieur le rédacteur en chef,

L'article Nehmt die Frauen als Beute (Que les femmes soient vos proies) de von Ralf Georg Reuth publié dans le Welt am Sontag le 24 février dernier a été l'argument décisif qui m'a incité à souscrire à l'essai de l'écrivain russe Anatoli Korolev "Les torpillages de Marinesco: la main de Dieu ou celle du Diable?" A mon avis, pour la première fois un écrivain russe s'interroge sur l'attitude à adopter vis-à-vis du commandant du sous-marin russe S-13, Alexandre Marinesco, qui avait envoyé par le fond le paquebot Wilhelm Gustloff avec 6.600 passagers. Le titre même atteste que la pensée éthico-religieuse russe cherche une réponse à la question de savoir pourquoi les populations civiles de la Russie et de l'Allemagne ont enduré des sacrifices terribles pendant cette guerre monstrueuse.

Le point de vue officiel avait été celui-ci: le 30 janvier 1945, Alexandre Marinesco a torpillé un transport bien gardé qui a coulé avec 70 équipages de sous-marins allemands. Il n'était pas indiqué que la plupart des passagers du navire étaient des civils, des réfugiés.

Anatoli Korolev écrit: "La guerre c'est la guerre; ce n'est pas nous qui avons agressé l'Allemagne et pour la Russie la guerre était sacrée et auréolée de l'esprit de justice. Ce n'est pas sans raison que la veille de la bataille sur le saillant de Koursk l'icône de la vierge Marie était apparue (ou avait semblé apparaître?) aux troupes russes. Seulement si les Russes disent que la main de Marinesko avait été guidée par Dieu et que la mort de milliers d'Allemands était un juste châtiment, les Allemands leur répliquent: non, si la population d'une ville entière a été engloutie dans des eaux glaciales, c'est forcément avec l'aide de la main du Diable. D'ailleurs, le chiffre "13" n'est-il pas diabolique?

Pendant les journées de deuil les centaines d'orphelins et de veuves avaient assurément prié pour que les Russes soient châtiés tout comme des millions de Russes durant la guerre impitoyable en avaient appelé à Dieu pour que les Allemands soient punis.

D'une manière figurée, pour l'auteur du Welt am Sontag Satan était personnalisé par Staline et Ehrenbourg qui avaient inculqué aux Russes la haine des Allemands, tout comme Hitler avait inculqué aux Allemands la haine des Russes. C'est juste, mais uniquement dans la mesure où le diable est personnifié et distinct. Dans la réalité tout est bien plus compliqué. Le soldat russe qui était entré en Prusse Orientale débordait de haine pour l'ennemi. Somme toute, Staline, Ehrenbourg, le communisme et le nazisme n'ont rien à voir ici. Et comme toujours dans l'histoire, la deuxième victime de cette débauche de haine de l'ennemi, c'est la femme. La deuxième, parce que la première c'est le soldat.

Cependant les Walkiries de la haine ne pouvaient pas longuement posséder l'âme du soldat russe. Les yeux de celui-ci s'étaient très rapidement dessilés. Dès 1945 à Königsberg des dizaines d'officiers russes avaient pratiquement contracté des mariages civils avec des Allemandes et leurs enfants. Et en 1948, quand ces femmes et ces enfants avaient été séparés de force de leurs maris et expulsés de ce qui s'appelle aujourd'hui la région de Kaliningrad, beaucoup de ces officiers russes s'étaient donné la mort en signe d'amour. Cela aussi doit être su.

Respectueusement,

Boris Kaïmakov, chef adjoint de section, RIA Novosti.

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