Moscou - Kiev: divergences de vues quant au "transit ukrainien"

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MOSCOU - par Vassili Zoubkov, commentateur économique de RIA Novosti. Les récents arrêtés du nouveau gouvernement ukrainien concernant le transit de pétrole russe ont attiré l'attention des spécialistes. Les producteurs russes ont plus d'une fois signé des contrats de livraison de pétrole en Ukraine avec des sociétés off-shore. Le contrat était résilié dès que le pétrole avait franchi la frontière et le producteur recherchait alors un acheteur à l'étranger. Parmi les sociétés russes à avoir effectué de telles transactions figure Ioukos, selon une source interne au ministère ukrainien des Combustibles et de l'énergie.

En Russie, beaucoup pensent que ces mécanismes ont perdu leur raison d'être et ont disparu depuis longtemps. A l'heure actuelle, il y a assez d'oléoducs permettant d'exporter du pétrole russe en Occident. Dmitri Dolgov, porte-parole de LUKoil interviewé par RIA Novosti au sujet de la réexportation, indique notamment que LUKoil et les autres producteurs russes disposent d'une nouvelle possibilité de transporter le pétrole via la mer Baltique grâce à la deuxième tranche du système de pipelines de la Baltique mise en exploitation au milieu de 2004. Les sociétés russes évitent en partie le transit ukrainien et le transbordement de brut dans les ports baltes, alors que le pétrole est exporté en Ukraine en stricte conformité avec les contrats. LUKoil n'a pas besoin de réexporter le pétrole. Les représentants de TNK et d'autres sociétés pétrolières russes ont fait des déclarations similaires.

Le ministère ukrainien des Combustibles confirme indirectement ces propos en qualifiant de populiste la décision sur la réexportation du pétrole. Pourquoi? Que se passe-t-il avec le "transit ukrainien"? La décision d'interdire la réexportation peut réduire le transit, de l'avis de Sergueï Grigoriev, vice-président de Transneft. Le volume de transit a déjà tendance à diminuer, les tarifs ukrainiens étant trop élevés. La situation est paradoxale: l'augmentation de la production et des volumes d'exportation de brut russe en 2004 a provoqué une diminution notable (de 2,3%) du transit par les oléoducs ukrainiens, qui constitue actuellement 32,4 millions de tonnes. Qui plus est, les raffineries ukrainiennes ont reçu moins de pétrole russe (seulement 22,4 millions de tonnes), selon le ministère ukrainien des Combustibles. Il serait déraisonnable d'expliquer ce phénomène par les intrigues des fonctionnaires du Kremlin ou par de quelconques raisons politiques. Pendant des années, la Russie s'est trouvée sous la dépendance totale des pipelines et des ports ukrainiens. Kiev n'a pas remarqué que ce "lien" s'était affaibli ces dernières années. La défense des intérêts économiques nationaux devient prioritaire pour la Russie qui renonce aux déclarations sur l'amitié et la fraternité et aux prix préférentiels dans les relations avec ses voisins. En octobre 2004, Andreï Gaïdamak, chef du département analyse des investissements de la société LUKoil, a indiqué à la revue "Expert" que la Russie finançait l'économie de ses voisins - la Biélorussie et l'Ukraine - qui achetaient du pétrole à des prix préférentiels. Il a cité en exemple le pipeline de transit "Droujba". Le pétrole transporté par cet oléoduc en Europe Centrale et de l'Est est vendu avec un escompte de 2 dollars le baril, parce que ce "tube" ne débouche pas, à l'échelle industrielle, sur la mer. En fait, Droujba est un monopsone, un marché réservé à un nombre restreint de raffineries. Et ce sont elles qui dictent les prix aux compagnies pétrolières russes.

Pour cette raison l'abandon progressif de Droujba "saturé" au profit des terminaux sur la Baltique est un objectif stratégique. Objectif qui sera bientôt atteint. La deuxième tranche du Système d'oléoducs de la Baltique (BTS) a atteint l'année dernière sa capacité prévue, soit 47,5 millions de tonnes de pétrole, ce qui a eu des répercussions sur la réduction des volumes transportés via le territoire ukrainien. L'achèvement de la troisième tranche du BTS portera les capacités du Système à 60 millions de tonnes. La décision de lancer sa construction, prise à la fin de décembre 2004 par le premier ministre Mikhaïl Fradkov, témoigne des intentions sérieuses de Moscou quant à l'avenir des exportations de pétrole.

Mais, outre ces nouvelles canalisations de transport qui sont encore à poser sur de grandes distances, la construction de nouveaux terminaux pétroliers bat son plein sur le littoral russe de la Baltique. Déjà, Lukoil a mis en service ses terminaux à Vyssotsk (première tranche : 4,7 millions de tonnes par an ; 12 millions après l'achèvement de tous les travaux). La société Transnefteprodukt réalise le projet Sever : la construction du nouvel oléoduc d'exportation Kstovo (près de Nijni-Novgorod) - Yaroslavl - Kirichi - Primorsk (mer Baltique) : le débit de sa première tranche sera de 8,4 millions de tonnes de pétrole, le débit projeté étant de 24,6 millions de tonnes par an.

Surgutneftegaz aborde, pour sa part, la construction d'un terminal pour le transvasement de 7,5 millions de tonnes de fuel dans la baie Batareïnaïa. A Oust-Louga, TNK-BP lance la construction d'un terminal de 12 millions de tonnes de brut par an. Dans l'ensemble, selon les experts, le transport de pétrole par la mer Baltique pourrait atteindre 156 millions de tonnes de pétrole en 2010 contre 77,6 millions de tonnes aujourd'hui.

On peut disserter à l'infini sur l'indépendance économique, mais les faits sont là : le "statut de transit" de l'Ukraine, qui lui permet de gagner des milliards de dollars, s'appuie justement sur ce "tube". A noter également que Kiev n'a pas d'autres sources d'hydrocarbures bon marché.

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