La critique américaine pourrait ne pas faire le poids face aux arguments russes

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MOSCOU, 16 février. (Par Vladimir Simonov, commentateur politique de RIA Novosti). Quel que soit l'ordre du jour établi pour leur rencontre du 24 février à Bratislava (Slovaquie), Vladimir Poutine et George W.Bush traiteront inévitablement du thème de la coopération économique. Parmi les nouvelles tendances retenant l'attention, il y a les jeux impressionnants auxquels les hommes d'affaires russes se livrent sur le marché américain. Les grands consortiums russes convoitent d'énormes actifs aux Etats-Unis. Severstal a fait l'acquisition de la compagnie Rouge Industries, cinquième plus gros producteur d'acier américain, tandis que Loukoil a décidé Conoco Philips à lui vendre un pool de stations service dans les Etats de New Jersey et de Pennsylvanie.

Les présidents remarqueront non sans satisfaction que le fondement économique se renforce au fil des mois, notamment grâce à l'extension du commerce bilatéral. Pour ce qui est des investissements dans l'économie des Etats-Unis, la Russie se rapproche du milliard de dollars, ce qui est déjà presque comparable aux mouvements de capitaux américains dans le sens inverse.

Le montant des échanges est passé de 7,1 milliards de dollars en 2003 à près de 14 milliards aujourd'hui. Cependant, ce doublement n'empêche bien sûr pas les hauts interlocuteurs d'admettre que leurs pays ne font que commencer à mettre en valeur les potentialités inutilisées. Effectivement, la Russie se situe encore quelque part entre la vingtième et la trentième places parmi les partenaires commerciaux de l'Amérique, devancée par des pays comme le Nigeria, le Venezuela et la Suède. De leur côté, les Etats-Unis ne sont que le 7-e partenaire commercial de la Russie.

Moscou ne saurait non plus se satisfaire de ce qui constitue l'essentiel de son commerce avec l'Amérique. Les importations sont accablées par la prédominance des marchandises à valeur ajoutée élevée. Quant aux exportations, elle sont presque exclusivement composées de matières premières et d'articles à faible taux de transformation. Les représentants de Moscou souhaiteraient que les années à venir soient utilisées pour "ennoblir" la teneur des échanges commerciaux. Les succès affichés par les Etats-Unis en qualité d'investisseur dans l'économie russe sont encore modestes. On serait en droit d'attendre mieux d'une puissance possédant un potentiel d'investissement aussi gigantesque. En 2004, l'Amérique est passée de la deuxième à la troisième place pour le montant des investissements directs. Avec 4,2 milliards de dollars, elle laisse devant elle les Pays-Bas (7,8 milliards) et Chypre (5,5 milliards). En ce qui concerne le total des investissements(y compris en portefeuille) les Etats-Unis occupent la très modeste 6-e place.

Qu'est-ce qui empêche une percée décisive dans la coopération économique des deux pays? Les vues de Moscou et de Washington sur cette question semblent diverger quelque peu.

Les gourous américains se plaignent d'une certaine absence "de milieu économique normal" en Russie, du sous-développement de la base légale et aussi à une vulnérabilité du business face aux actions arbitraires des autorités. Pour le dernier grief, ils avancent en guise d'argument "l'affaire Ioukos".

Moscou est disposé à faire son mea-culpa pour une partie de ces reproches, surtout en ce qui concerne l'imperfection des lois et de leur application, ce qu'attestent pratiquement tous les propos tenus par ses hauts représentants. Il n'empêche que dans ce sens on pourrait se montrer un peu plus patient à l'égard d'un Etat qui vient d'abandonner l'économie planifiée pour le marché. Quoi qu'il en soit, on ne saurait nier qu'avec les revenus qu'elle a, la Russie affiche des indices macroéconomiques enviables.

Abordons maintenant "l'affaire Ioukos", si douloureusement perçue par l'Occident. Au grand étonnement de beaucoup, elle n'a pas empêché de prestigieuses agences internationales de notation de relever le rating d'investissement de la Russie. On a l'impression que "l'affaire Ioukos" est utilisée par les néo-conservateurs américains non pas pour défendre le business privé russe, mais pour compliquer la vie de l'administration Bush, la contraindre à durcir sa politique axée sur la Russie et, finalement, quereller si possible les deux pays en présentant la Russie comme l'image de l'ennemi.

Probablement pour répondre à cela, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a déclaré récemment devant le Conseil de coopération d'affaires russo-américain qu'il espérait que la Russie et les Etats-Unis avaient appris à distinguer l'essentiel du secondaire.

Du point de vue de la Russie, l'essentiel dans le domaine économique se réduit aux perspectives d'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ayant obtenu en 2004 le soutien de l'Union européenne et de la Chine, Moscou s'emploie actuellement à parvenir à une telle entente avec les Etats-Unis. Certains progrès ont été enregistrés, par exemple les parties se sont mises d'accord sur les conditions du commerce des matériels aéronautiques civils. Cependant, des pierres d'achoppement persistent. Ce sont la libéralisation du marché russe des services, surtout des banques et des assurances, l'aide publique à l'agriculture, la protection de la propriété intellectuelle.

Si l'on réduit les désaccords à une seule et même formule, on obtient quelque chose d'assez simple. La Russie veut tout simplement devenir membre de l'OMC aux conditions standard ordinaires. Malheureusement, les doyens de l'organisation, dont les Etats-Unis, ne sont pas de cet avis. On en veut pour preuve les nombreuses tentatives faites pour conférer à la Russie le rôle de partenaire secondaire.

Prenons maintenant la sempiternelle histoire de l'amendement Jackson-Vanik, dont la mission initiale avait été de favoriser le départ des Juifs d'Union soviétique. Aujourd'hui l'URSS a disparu, le problème de l'immigration juive n'existe plus depuis longtemps. Cependant la Russie est toujours soumise aux effets de cet amendement archaïque. Certes, on rassure Moscou en disant que l'amendement n'a pas d'incidence sur les relations commerciales de la Russie et des Etats-Unis. C'est vrai. Mais il reste pour le Kremlin une source sérieuse d'irritation du moment que son existence n'atteste probablement pas que l'administration des Etats-Unis est disposée à utilisée son capital politique pour neutraliser les sentiments russophobes au Congrès et, en dernière analyse, pour développer la coopération économique avec la Russie.

Or, ces sources d'irritation sont nombreuses. C'est incroyable mais pourtant vrai: il est toujours prohibé aux sociétés américaines de vendre des super-ordinateurs à la Russie. Cet interdit remonte au fameux COCOM, un comité spécial réglementant les exportations de technologies "sensibles" vers l'URSS et les pays du Bloc de Varsovie. On repose la question: où est l'URSS, où est le Bloc de Varsovie? Ils ont disparu mais pas l'interdit qui continue d'être appliqué. A propos, il est possible que les Etats-Unis soient davantage intéressés au partenariat avec la Russie que cette dernière. Le mot-clé ici est: énergie. Encore en 2002 les présidents Vladimir Poutine et George W.Bush avaient consacré le développement des liens russo-américains dans le secteur énergétique, en ayant en vue les formidables ressources de la Sibérie orientale et de l'Extrême-Orient russe. Moscou n'est pas opposé à ce que les quantités de pétrole et de gaz russes livrées sur le marché américain passent de 2 pour cent actuellement à 10 pour cent. Une liste de projets futurs a déjà été établie. Ils concernent notamment la construction du pipeline Sibérie occidentale-mer de Barents, des livraisons directes de pétrole et de gaz liquéfié de Sakhaline vers les Etats-Unis, la mise en valeur conjointe éventuelle, en 2005-2006, de l'un des plus grands gisements pétrogaziers au monde, celui de Kovyktine, la recherche de nouvelles sources d'énergie, surtout à partie de l'hydrogène.

A la différence de la situation qu'elle occupe en Europe, la Russie n'a jamais été considérée comme un important fournisseur direct de produits énergétiques des Etats-Unis. Vladimir Poutine et George W.Bush pourraient très bien modifier la donne.

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