Au sujet de la discussion sur le site "Johnson's Russia List"

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Comment faire pour que les médias américains acquièrent un peu plus de bon sens?

MOSCOU, 3 février - RIA Novosti. (Commentateur politique de RIA-Novosti, Piotr Romanov). Il y a longtemps que je n'ai lu avec autant d'intérêt les articles de mes collègues qui ont décidé de discuter sur le site "Johnson's Russia List" d'une question vraiment très intéressante, à savoir pourquoi les médias américains, tant libéraux que conservateurs, sont aujourd'hui à ce point antirusses. C'est Branko Milanovic qui a entamé la conversation, reprise par la suite par Ira Straus.

Leurs premières conclusions se sont avérées pour beaucoup inattendues pour le lecteur russe. Tout d'abord, à ce qu'il paraît, dans le pays le plus démocratique du monde, l'opinion des plus grands médias ne reflète aucunement celle du "demos" lui-même. Il arrive même que la haine pathologique pour la Russie ne soit nourrie que par les journalistes eux-mêmes, alors que le peuple américain regarde en toute quiétude (sinon avec une totale indifférence) tout ce qui se passe sur le sol de la Russie. C'est un détail, certes, mais un détail qui m'apporte un certain soulagement et me rend à la fois plus optimiste.

Ensuite. Comme le démontre bien cette discussion, quand le "Washington Post" ou, par exemple, le "Wall Street Journal" critiquent de façon "irrationnelle" ou tout bonnement "scandaleusement hostile" (je cite Ira Straus) la Russie, ce n'est pas du tout de la réalité russe qu'il y est question, mais des problèmes internes à l'Amérique, bien que ce soit sous-entendu. C'est en utilisant, par exemple, la langue d'Esope que les journalistes critiquent souvent la Maison-Blanche. On la soumet ainsi à une critique mordante pour ses relations avec les Russes, car il aurait sans doute été dangereux de lui reprocher autre chose.

Cela me procure un certain réconfort. Quoi qu'il en soit, force est de reconnaître qu'il serait bon que ces auteurs regardent plus attentivement ce qui se passe dans d'autres pays. En effet, ces derniers sont plutôt nombreux dans le monde, alors que la politique de la Maison-Blanche n'y est pas toujours idéale, loin de là! A mon avis, si les journalistes américains ne peuvent tout simplement pas travailler autrement, il serait sans doute plus juste que toute cette boue qu'ils déversent sur mon pays soit répartie à parts égales entre l'ensemble de la communauté internationale. Ce n'est évidemment pas la solution du problème, mais ce serait du moins plus équitable.

Et encore. Les participants à la discussion expliquent les sorties antirusses de la presse américaine comme étant des rudiments de la "guerre froide", ce qui est, d'ailleurs, difficile à contester. Néanmoins, ces mêmes participants à la discussion font remarquer qu'en venant travailler dans les médias américains, la jeune génération de journalistes ne tarde pas à prendre les habitudes des anciens "soviétologues". Aussi, cela n'en finit pas, de sorte que les idées ataviques survivent on ne peut mieux dans le nouveau milieu. Ainsi, selon les médias américains, tous les Etats du monde, sauf la Russie, ont le droit à leurs propres intérêts nationaux. Et les jeunes qui débutent dans le journalisme américain croient, tout comme les vétérans de la "guerre froide", en cette idée parfaitement absurde.

Et enfin, une quatrième conclusion s'impose: on ne pardonne pas aux Russes leur caractère rebelle, tout comme leur refus obstiné de reconnaître leur défaite complète. On ne leur pardonne pas, non plus, leur refus de se résigner. Il y a sans doute du vrai dans cette thèse. En effet, du temps de Gorbatchev et d'Eltsine, quand la Russie répondait "oui" à n'importe quelle revendication de l'Occident, la presse américaine n'était pas aussi russophobe qu'aujourd'hui. Par contre, le monde occidental sympathisait, à l'époque, avec les Russes, tout en obtenant d'eux absolument tout ce qu'il voulait. Et l'Occident éconduisait la Russie de partout où cela pouvait se faire. Finalement, c'était une époque glorieuse, l'Occident apprenait aux Russes la démocratie, alors que les Russes buvaient littéralement les paroles du Gourou.

Et voilà que maintenant la situation a vraiment changé du tout au tout. Le Kremlin a changé de maître, les Russes ne répondent plus "oui" à toute occasion, mais disent aussi "non", et ce en partant de leurs propres intérêts. Le désir d'imiter en tout l'Occident a disparu. A propos, c'était facile à prévoir. Il y a quelque 150 années, le grand démocrate russe Herzen, ostensiblement occidentaliste, avait fait remarquer qu'il n'y avait pas pour l'Occident de critique plus redoutable que le Russe complètement épris des valeurs démocratiques. Ayant assimilé l'idéal littéraire de la démocratie, ce Russe éprouve la plus profonde déception dès son premier contact avec les réalités de la vie en Occident. C'est que ce Russe s'aperçoit immédiatement de tous les côtés négatifs auxquels les Occidentaux sont d'ores et déjà habitués et qu'ils ne perçoivent même plus. Et c'est là, selon Herzen, un avantage non négligeable de la Russie. Autrement dit, le démocrate russe ne sait que trop que les institutions nationales du pouvoir ne sont propres à rien et que son gouvernement ment, alors qu'à force d'habitude, l'Occidental ne voit souvent plus les choses qui sont pourtant tout à fait évidentes. Il en a pris tout simplement l'habitude.

C'est justement ce qui se produit en quelque sorte aujourd'hui. Après s'être élancé avec enthousiasme vers l'Occident, le Russe en revient souvent déçu.

Ainsi, il n'est point question d'une résignation, loin s'en faut. Par contre, bien des Russes sont de nouveau engagés, à présent, dans la recherche d'une troisième voie qui leur permette de garder l'efficacité occidentale sans perdre pour autant leur propre âme. Et ce, d'autant plus que même aux époques les plus troubles pour la Russie, c'est sans doute l'âme qui comptait le plus pour les Russes.

Or, quelles que soient les raisons de l'attitude corporate des médias américains, elle fait du tort à tous. A la différence des Américains, par exemple, les Russes s'intéressent beaucoup plus au monde qui les entoure. Aussi sont-ils pour le moins étonnés, sinon indignés, en lisant dans leurs propres médias ou sur les sites Internet des articles tirés de la presse américaine.

Comme le fait remarquer à juste titre Ira Straus, en parlant de l'influence de la presse américaine sur les Russes: "Les médias jouent un rôle immense, en les persuadant que nous sommes ennemis. Ils (les Russes) peuvent regarder CNN, la BBC et d'autres médias occidentaux chaque jour pendant longtemps. (Je tiens à rappeler ici que la principale thèse des russophobes occidentaux concerne l'étouffement de la liberté d'expression par les actuelles autorités russes - NDLR)... Quoi qu'il en soit, les Russes comprennent, certes, beaucoup mieux le sous-entendu des médias occidentaux que ces derniers eux-mêmes. Supposant de façon erronée que ce sous-entendu représente la politique de l'Occident, les Russes tirent une conclusion tout à fait logique, selon eux: nous sommes ennemis. Si la Russie... redevient un jour notre ennemi, les médias en seront la cause essentielle".

Je suis d'accord avec cela. Dans le contexte de la démocratie, la liberté de la parole n'est pas du tout une "vache sacrée". Et les médias peuvent être aussi néfastes qu'utiles.

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