La présidentielle en Ukraine : des enseignements pour la Russie

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MOSCOU, 3 février (par Boris Chmelev, directeur du Centre d'études politiques-RIA Novosti).

A la polémique exaltée durant la campagne présidentielle en Ukraine a succédé la froideur de l'analyse. L'élection, estime-t-on à Kiev et à Moscou, c'est une page tournée. La Russie comme l'Ukraine s'apprêtent à surmonter les difficultés anciennes et à affronter les problèmes futurs.

Pour la Russie, il faut que l'Ukraine soit prospère et stable, comme veut la voir Viktor Iouchtchenko. Cela répond à ses intérêts. Le nouveau président devra prendre en considération les intérêts des Russes en Ukraine (qui se sont affirmés au cours de la campagne électorale en tant que force politique consolidée), faute de quoi il ne pourra pas préserver l'unité du pays. Cela aussi répond aux intérêts de la Russie. Iouchtchenko mettra en œuvre une politique d'intégration au sein de l'Union européenne et d'adaptation du système économique national aux normes européennes, ce qui convient également parfaitement à Moscou. La Russie s'oriente elle-même vers l'intégration dans l'Union européenne, cherchant à réaliser de concert avec Bruxelles la conception des "quatre espaces".

La nouvelle direction ukrainienne ne tournera pas le dos aux processus d'intégration initiés par la Russie dans l'espace post-soviétique et ne cherchera même pas à les bloquer, si elle juge avantageux d'y participer. C'est-à-dire que les nécessités économiques finiront par l'emporter, d'autant que l'adhésion à l'Union européenne est reportée, tout permet de le supposer, à un avenir très éloigné. Et il est nécessaire de vivre et de développer l'économie hic et nunc, un enjeu extrêmement difficile sans les marchés russes, sans les livraisons russes, sans coopérer avec les entreprises russes. D'autre part, la politique proclamée par Iouchtchenko pour orienter l'Ukraine vers l'adhésion à l'OTAN est inacceptable pour la Russie, surtout du fait qu'une participation à part entière de la Russie elle-même à cette alliance est rejetée par l'Occident. Or l'Ukraine ne pourra pas être admise à l'OTAN avant cinq ou sept ans, à en croire les déclarations faites dans les capitales ouest-européennes, et nul ne sait ce que l'Alliance atlantique deviendra d'ici là. Autant dire que la Russie n'a rien perdu de concret dans les élections présidentielles ukrainiennes.

L'Union européenne et l'OTAN ne sont pas prêtes à accueillir l'Ukraine. Quelle est alors l'intention véritable de l'Occident ? Veux-il mettre en place, avec l'aide du nouveau président ukrainien, une politique carrément opposée à celle de la Russie dans l'espace post-soviétique ? C'est dans la réponse positive à cette question que réside la raison de la participation active de l'Occident aux élections ukrainiennes aux côtés de Iouchtchenko.

La consolidation du pouvoir qui s'est esquissée depuis ces dernières années en Russie et les efforts visiblement beaucoup plus énergiques qu'elle déploie sur la scène politique internationale pour défendre ses propres intérêts nationaux effraient et irritent l'Occident. La crise évidente apparue dans les relations entre la Russie et l'Occident n'a pas été provoquée par le désir de Moscou de bâtir la coopération sur la base des intérêts communs, tandis que Washington et Bruxelles veulent la fonder sur les valeurs communes. Le fait est que la Russie, qui est un Etat autosuffisant et le pilier de la civilisation chrétienne orthodoxe (selon Huntington), s'efforce de devenir un centre d'influence indépendant, un des pôles des relations internationales. L'Occident, quant à lui, s'emploie à éviter cette éventualité et à faire disparaître ce concurrent géopolitique de l'échiquier mondial. Ce que les hommes politiques ont en tête, les journalistes et les analystes occidentaux l'ont sur le bout de la langue, c'est-à-dire de la plume. Au cours de la campagne électorale ukrainienne l'Occident a mis le marché entre les mains de la Russie : ou bien elle accepte les règles du jeu ou bien elle sera marginalisée et écrasée. Tout tourne en rond dans l'histoire. De même, dans les relations entre la Russie et l'Occident tout revient à son point de départ pour reprendre le même circuit. Les problèmes séculaires de leurs relations réapparaissent dans de nouvelles conditions historiques, mais le rapport des forces est déjà différent et n'est pas, visiblement, à l'avantage de Moscou.

Que doit faire la Russie dans ce contexte ? La réponse est évidente. La Russie doit devenir puissante. Elle ne cesse de perdre au jeu de la géopolitique parce qu'elle n'est pas compétitive du point de vue politique, économique et idéologique et, de ce fait, elle n'est pas attrayante. Elle n'a rien à proposer au monde qui l'entoure. Les souvenirs nostalgiques des années de cohabitation dans l'Union Soviétique à jamais disparue ne sont pas ce qu'il faut pour rassembler autour d'elle les nouveaux Etats indépendants. Il est impossible d'y parvenir également sur la base de la lutte commune contre le terrorisme international. Pour ce faire, il est nécessaire de proposer un nouveau Projet d'envergure historique répondant à la fois aux intérêts de la Russie, à ceux des nouveaux Etats indépendants et à l'Idée universaliste occidentale. Mais un tel projet n'existe pas, et nul ne sait s'il pourra jamais voir le jour. Moscou a besoin d'être conséquent dans ses efforts axés sur la défense des droits de l'homme dans l'espace post-soviétique. Il est nécessaire d'exclure les situations où la Russie prend la défense des droits de l'homme dans les pays baltes et ferme les yeux sur la manière dont "Turkmenbachi" (littéralement chef des Turkmènes - nom donné au président Saparmourat Niazov) traite les Russes en Turkménie.

Sur la scène politique internationale, aucune hystérie n'est admissible en raison de la crise de confiance dans les relations avec l'Occident. Il faut mener un dialogue politique permanent avec les leaders du monde occidental et avec Bruxelles, passer des accords et respecter les engagements pris, tenir compte des recommandations raisonnables des organisations européennes susceptibles de contribuer au développement de la démocratie. Nous serons obligés, que ça nous plaise ou non, de coordonner la politique russe dans l'espace post-soviétique avec l'Union européenne et les Etats-Unis, de prendre en considération leurs intérêts et d'accepter des compromis raisonnables. Il faut être prêt à ce que la confrontation des intérêts de la Russie et de l'Occident dans l'espace post-soviétique soit de plus en plus âpre.

Les événements en Ukraine sont une raison supplémentaire de faire un effort de réflexion sur ce qui se passe en Russie et sur le sort du pays et de tâcher d'améliorer la situation.

LE POINT DE VUE DE L'AUTEUR NE COÏNCIDE PAS OBLIGATOIREMENT AVEC CELUI DE LA REDACTION.

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