Rice coopérera-t-elle avec la Russie ou la négligera-t-elle ?

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MOSCOU. /Par Angela Charlton, spécialement pour RIA Novosti/. Pour les Russes, la nomination de Condoleezza Rice au poste de secrétaire d'Etat est un événement de loin plus important que l'investiture de George W.Bush. Il est étonnant que tant de Russes voient cette nouvelle avec optimisme, car rien n'y incite.

L'avenir des relations américano-russes dépend beaucoup de Rice. Elle est spécialiste des problèmes de la Russie, elle parle russe, elle est la principale conseillère de Bush pour les questions de politique extérieure. Mais Rice est plutôt kremlinologue que russophile. Sa politique à l'égard de la Russie incarnera sans doute le même réalisme impitoyable des approches générales caractéristiques de la politique des Etats-Unis et le durcissement des positions de Bush et de Vladimir Poutine apparu après leur réélection.

En 2000, la Russie et les Etats-Unis étaient entrés dans une époque nouvelle, inconnue et captivante : chacun des deux pays avait élu un président nettement différent de son prédécesseur. La Russie ne s'était pas encore débarrassée des conséquences d'une crise économique ; l'Amérique avançait toutes voiles dehors vers la récession. Bush et Poutine étaient des novices sur l'arène internationale. Le manque d'assurance que chacun éprouvait au début de son premier mandat les a aidés à établir des contacts personnels au cours de leur première rencontre en 2001, puis un partenariat stratégique, après les événements du 11 septembre de la même année.

Aujourd'hui, ce sentiment d'incertitude a disparu, et avec lui l'ambiance de coopération amicale. Le sommet Bush-Poutine qui se tiendra en février en Slovaquie rappellera très peu leurs entretiens pleins de cordialité qu'ils ont eus en Slovénie en 2001.

Bush a survécu aux actes terroristes, a déclenché deux guerres en dépit de la réprobation de la plupart des pays du monde et bénéficie d'un soutien stable dans son pays. Poutine est le leader incontestable d'un des principaux pays producteurs de pétrole et son gouvernement rembourse les dettes extérieures par anticipation alors que les autorités américaines font des emprunts nouveaux en augmentant le déficit budgétaire. Les deux leaders sont plus que jamais sûrs de leur prédestination et sont moins que jamais enclins à se soumettre à la pression extérieure. Malgré leurs relations amicales, les deux présidents - et leurs pays - ont, tout porte à le croire, de moins en moins besoin l'un de l'autre.

Il en ressort que pour Rice et son homologue russe Serguéi Lavrov il ne reste pas beaucoup d'espace pour nouer une coopération d'envergure, pas même pour des initiatives importantes. On a l'impression que cela arrange bien les deux diplomates. Rice ne cache pas sa rogne contre les restrictions électorales décrétées récemment par Poutine, mais cela n'obligera pas ce dernier à revenir sur sa décision. Les instincts hérités de la guerre froide et les déceptions éprouvées par les Russes après sa disparition ainsi que les critiques occidentales sur la politique poutinienne ne font que renforcer la confiance des Russes dans leur leader. Toute concession qui serait accordée sur des questions préoccupant l'Occident, que ce soit les élections, Ioukos ou la Tchétchénie, ne ferait que mettre en colère de nombreux électeurs russes. Beaucoup de Russes rejettent par erreur sur les économistes occidentaux la responsabilité de la douloureuse réforme des avantages sociaux qui a provoqué au cours de ce mois des actions de protestation à travers tout le pays.

La réforme a causé préjudice à la popularité de Poutine et il ne l'oubliera pas lorsqu'il réfléchira à l'héritage qu'il laissera en quittant son poste en 2008. Le premier mandat présidentiel de Poutine se caractérisait, de l'avis de ses compatriotes, par des concessions sérieuses faites à l'Occident, telles que, et surtout, l'acceptation de l'élargissement de l'OTAN et de l'Union européenne et le retrait des Etats-Unis du Traité ABM. Au cours de son deuxième mandat, Poutine, préoccupé par son propre avenir politique peut être incité à des actions à caractère nationaliste pour maintenir la réputation internationale de la Russie et sa position sans compromis en ce qui concerne l'Iran, l'Irak, la Corée du Nord et l'Afghanistan.

Il est possible que Rice lui rende la monnaie de sa pièce, en tentant d'évincer petit à petit la Russie du processus de négociations internationales pour l'isoler au lieu de l'inciter à des réformes. Grâce à sa spécialisation scientifique sur la Russie et en tant que proche de Bush, Rice n'aura pas besoin de beaucoup de médiateurs, ni d'une préparation minutieuse pour les négociations avec Moscou. De nombreux observateurs russes espèrent que cela permettra de parvenir plus facilement et plus rapidement à des ententes et que le nombre des "altercations" démocratiques bruyantes diminuera.

Cependant, au cours des débats sur sa candidature, Rice a montré que malgré sa biographie scientifique liée à la Russie, elle n'était pas encline à fermer les yeux sur les éléments négatifs de la politique de ce pays. Sa critique dirigée contre la Russie et les orientations de son développement politique était en partie à "usage interne", destinée à calmer les détracteurs de Poutine, irrités par le silence de Bush au sujet de la Tchétchénie et d'autres actions controversées de la Russie. Mais cela peut être aussi le signe qu'elle a l'intention de négliger la Russie, en ne coopérant avec elle que sur certaines questions, telles que la non-prolifération des armes nucléaires, où l'enjeu est la sécurité des Etats-Unis.

Malgré son intérêt pour la Russie, Rice aimerait mieux se concentrer sur l'Ukraine, la Géorgie et d'autres pays avoisinants. Il est douteux que le soutien des mouvements démocratiques dans les pays voisins puisse exercer une action particulière sur la politique de Poutine, mais cette politique sera un reflet de l'évolution du dialogue russo-américain : au lieu d'un échange de vues, passionné et parfois fructueux, les deux pays se montrent maintenant prudents, circonspects et soucieux de garder leur distance.

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