Même dans les cauchemars les plus terrifiants Guenrikh Koptiev ne pensait pas que chose pareille puisse exister.
J'ai vu 2.000 détenus agitant faiblement des drapeaux rouges en signe d'allégresse. "Ils pleuraient, ils riaient, ils s'exprimaient dans différentes langues, remerciaient", se souvient Guenrikh Koptiev, 78 ans, l'un des très peu nombreux combattants encore en vie de la 322-e division soviétique ayant libéré Auschwitz.
"Les détenus du camp d'Auschwitz ressemblaient peu à des êtres humains, dit-il. Leur peau était si fine que les veines transparaissaient. Ils avaient les yeux exorbités tant la peau qui les entourait était desséchée. Quand les détenus tendaient les bras, on pouvait voir les os, les articulations et les tendons".
Guenrikh Koptiev se souvient d'avoir trouvé parmi les détenus quelques russophones et de leur avoir dit qu'ils étaient libres et que l'aide allait arriver incessamment. Progressivement, au fur et à mesure qu'il avançait à l'intérieur du camp, ses yeux découvraient l'ampleur de l'horreur du camp de concentration où 1,1 million de Juifs avaient été exterminés. Il voyait d'innombrables amoncellements de cadavres disposés sur des tas de bois que les gardiens n'avaient pas eu le temps d'allumer avant de fuir. Guenrikh Koptiev avait pénétré dans deux dépôts bourrés jusqu'au plafond l'un de prothèses et l'autre de lunettes.
Avançant toujours plus loin, le soldat était tombé sur des locaux que tout d'abord il avait pris pour des douches. Les murs étaient revêtus de carreaux de faïence. Par la suite, pendant le procès de Nuremberg, il avait compris qu'il s'agissait de chambres à gaz.
Ensuite il était arrivé au crématoire auquel aboutissaient des chemins de fer. Il y avait là des wagons remplis de cadavres. "Ils étaient encore tièdes", dit Guenrikh Koptiev.
"Après avoir vu tout cela je me suis demandé comment on pouvait appeler ces gens capables d'inventer une telle usine de mort", se souvient l'ancien soldat.
Au cours des 60 dernières années Guenrikh Koptiev a rarement évoqué publiquement cet épisode de sa vie. En 1946 il est rentré à Moscou et pendant quatre ans il a travaillé dans un théâtre de l'armée. Il a appris le métier de mécanicien de voiture, a épousé une jeune fille prénommée Vera, ensuite il a été instituteur.
Aujourd'hui Guenrikh Koptiev est retraité, il a trois arrière-petits-enfants et aussi une nouvelle raison de rappeler au monde les horreurs dont il a été le témoin. Cette raison, c'est le néonazisme. En Russie on recense actuellement quelque 50.000 skinheads. Guenrikh Koptiev est convaincu que le néonazisme doit être détruit.
Cette semaine l'ancien soldat vivant à Balachikha, une ville des environs de Moscou, et cinq autres anciens combattants russes se souviendront une nouvelle fois de la libération du camp d'Auschwitz au cours des cérémonies consacrées au 60-e anniversaire de cet événement.
Guenrikh Koptiev est heureux d'avoir contribué à la défaite du fascisme, mais dans le plus profond de son âme il souhaite que le restant de sa vie il n'ait plus à se souvenir qu'en janvier 1945 il a été l'un des premiers à pénétrer dans le camp de la mort d'Auschwitz. Des souvenirs comme ceux-là, ils sont indésirables, dit l'ancien soldat.