Qui répondra des conséquences des futures élections en Irak?

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MOSCOU. (Commentatrice de RIA-Novosti, Marianna Belenkaïa). L'un des mots d'ordre du Forum économique mondial qui se déroule actuellement à Davos est: "Assumons la responsabilité des élections difficiles". Ce sujet est, effectivement, d'actualité qu'il s'agisse de l'année passée avec les élections en Afghanistan, en Palestine et en Ukraine, ou de l'année en cours à la lumière des futures élections en Irak, prévues pour le 30 janvier prochain. Ce qui se passe dans ce pays ne peut être qualifié autrement que comme un manque absolu de responsabilité manifesté par la communauté internationale pour les élections qui approchent.

Il n'est pas question ici de la conformité des élections à des normes internationales ni de la possibilité de les qualifier par la suite d'honnêtes et démocratiques. En réalité les élections qui ont eu lieu l'année dernière dans différents pays ont bien montré qu'il n'y a tout simplement pas de normes uniques, mais que chaque Etat a sa propre appréciation du degré de démocratie. La seule chose qui compte vraiment est de savoir si les puissances mondiales sont d'accord entre elles sur ce point. Ainsi, à la différence des présidentielles en Ukraine, les élections en Afghanistan et en Palestine se sont déroulées dans le contexte d'un consensus pratiquement total de la communauté internationale. Mais tout comme les élections ukrainiennes, celles d'Irak engendrent d'ores et déjà une multitude de discussions et de débats. Or, contrairement à l'Ukraine, en Irak, il y va de la vie ou de la mort des gens.

On a bien l'impression que, fatiguée par d'interminables discussions sur les conditions de ces futures élections en Irak, la majorité de la communauté internationale a finalement décidé de donner carte blanche aux Etats-Unis et de voir l'évolution ultérieure des événements en Irak. Autrement dit, la prise de position de la plupart des pays se résume à peu près à ceci: vous voulez organiser des élections dans un contexte d'absence de sécurité et de concorde à l'intérieur de la société irakienne, faites-le, et nous verrons ce qui en résultera. A signaler qu'une situation similaire s'était créée au moment même du déclenchement de la guerre en Irak à cette différence près qu'à l'époque, les Etats intervenant contre le scénario militaire avaient eu la possibilité juridique d'exprimer leur protestation. A présent, même cela est impossible. La tenue des élections le 30 janvier prochain est approuvée par une résolution appropriée du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies.

Qui plus est, la communauté internationale est manifestement persuadée que les élections sont indispensables en Irak. Nul doute que, sans ce processus électoral, des organes légitimes du pouvoir ne peuvent voir le jour. "Nous estimons qu'en principe, les élections sont parfaitement indispensables pour pouvoir entamer le rétablissement effectif de la souveraineté du peuple irakien sur son propre pays", a indiqué le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Sergueï Lavrov.

Mais il faut savoir dans quelles conditions ces élections se dérouleront, si le nouveau pouvoir est à même d'assumer toute la responsabilité pour tout ce qui se passe dans le pays, si ce pouvoir est reconnu par la plupart des Irakiens. Comme l'a fait remarquer le chef de la diplomatie russe, quel que soit le résultat des élections, c'est le peuple irakien lui-même qui doit décider de leur légitimité et non pas des observateurs ou des groupes étrangers. Néanmoins, Sergueï Lavrov ne précise pas l'avis de quels Irakiens justement sera déterminant, celui des vainqueurs ou des vaincus.

L'éventuel indice de la réussite de ces futures élections est sans doute le pourcentage de ceux qui vont se rendre aux urnes le jour du scrutin. Une faible participation rendrait automatiquement illégitime le nouveau pouvoir. Les grands leaders sunnites déclarent d'ores et déjà ne pas reconnaître les résultats des futures élections. Rappelons à cette occasion que l'ancien leader de l'opposition ukrainienne et actuel Président de l'Ukraine, Viktor Youchtchenko, n'avait pas voulu, lui non plus, reconnaître les résultats des élections en cas d'échec. Toutefois, l'Irak n'est pas l'Ukraine, et il n'y aura pas de manifestations pacifiques au centre de Bagdad. Non. L'opposition irakienne poursuivra sa résistance.

Dans ces conditions, il serait très difficile de parler de la recherche d'un consensus national. Mais c'est justement cela, ajouté à la sécurité et à la stabilité, qui constitue l'objectif essentiel des Irakiens qui ne tiennent pas du tout à une procédure formelle du scrutin. "Un échec des élections peut avoir des conséquences plus que déplorables", a averti Sergueï Lavrov, en intervenant à la Conférence internationale sur l'Irak, réunie en novembre dernier à Charm el-Cheikh.

Et ce n'est certes pas par hasard que la Russie et plusieurs autres Etats européens ont proposé de convoquer une conférence pan-irakienne avant même les élections. Les principales forces politiques de l'Irak auraient pu s'entendre sur les contours essentiels du futur Etat irakien, contours qui arrangent sunnites, chiites et Kurdes, ainsi que les autres groupes ethniques et religieux de la société irakienne. Quant aux élections, elles mettent automatiquement certains de ces groupes dans une position désavantageuse. D'où des appels à boycotter les élections, ainsi que le refus d'en reconnaître d'avance les résultats.

Il est évident que l'on peut et on doit même convoquer une conférence pan-irakienne avec la participation de l'opposition après les élections. Mais il est tout aussi évident qu'elle sera plus difficile à organiser et à tenir que cela n'aurait été avant le 30 janvier. C'est que l'expérience internationale prouve que les problèmes remis à plus tard ne se résorbent pas d'eux-mêmes, mais ne font que s'aggraver. La seule possibilité de prévenir l'évolution négative des événements consiste à laisser entendre à l'opposition irakienne (il ne s'agit pas là des terroristes) que ses intérêts seront protégés par la communauté internationale. Pour le moment, il ne reste qu'à attendre les résultats des élections. Cela étant, il faut rendre hommage aux Irakiens. Tous ceux qui travaillent dans les bureaux de vote, tous ceux qui se rendront aux urnes le jour du scrutin en dépit des menaces des terroristes feront preuve de courage civique. Ils le font pour rétablir l'indépendance de l'Irak, pour garantir la sécurité dans le pays. Ils ne seront pas fautifs si les élections ne font qu'aggraver la situation. Mais il n'y aura personne pour en assumer la responsabilité.

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