Pour éviter un nouvel Holocauste

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MOSCOU, 25

janvier - par Marianna Belenkaïa, commentatrice politique RIA Novosti.

Le 27 janvier, la Pologne organise des solennités à l'occasion du 60e anniversaire de la libération par l'Armée rouge du camp de la mort d'Auschwitz-Birkenau. Une cérémonie de deuil est prévue sur le territoire de ce camp que les Polonais nomment Oswiecim. Lors d'une conférence solennelle qui se déroulera au théâtre de Cracovie les présidents polonais, russe et israélien - Aleksander Kwasniewski, Vladimir Poutine et Moshe Katsav - prononceront un discours. Un office des morts sera célébrée dans une synagogue, une église orthodoxe et une autre catholique.

"Cela est notre mémoire sacrée, notre douleur commune. Et notre mission à tous est de ne plus jamais permettre un nouvel holocauste", a indiqué le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, pour commenter la participation de la délégation russe aux solennités en Pologne.

D'après des études récentes, près d'un million et demi de personnes sont passées par Auschwitz, dont environ 1,3 million de Juifs, 150 000 Polonais, 15 000 prisonniers de guerre soviétiques, 5 000 civils soviétiques principalement en provenance de Biélorussie, 23 000 Tziganes et 20 000 personnes de différentes nationalités d'Europe qui ont rejoint la résistance antinazie. Près de 1,3 million d'entre elles ont trouvé la mort à Auschwitz, dont 1,1 million de Juifs.

"Si nous oublions ces événements, nous ne pouvons être certains que la tragédie d'Auschwitz ne se répétera plus", a déclaré le grand rabbin de Russie, Berl Lazar, lors d'une conférence de presse qu'il a donnée au siège de RIA Novosti. Selon lui, "Auschwitz ne commence pas par les chambres à gaz, il commence par l'indifférence humaine lorsque nous restons impassibles en voyant les uns maltraiter les autres".

Aujourd'hui, ces leçons de l'histoire sont on ne peut plus actuelles. Alors que restent en vie des prisonniers d'Auschwitz et leurs libérateurs, des skinheads agissent en toute liberté dans les rues de villes européennes, et des groupes d'adolescents dessinent sur les murs des croix gammées. Dans une interview accordée à RIA Novosti, la présidente de la fondation Holocauste, Alla Gerber, a regretté que les gens n'aient pas tiré les leçons de ce qui s'était passé à Auschwitz et dans les autres camps de concentration. Comme ses collègues russes militants des droits de l'homme et les leaders de la communauté juive, elle espère que les solennités d'Auschwitz rappelleront au monde entier toute l'importance des événements qui datent de 60 ans, que des conclusions seront enfin tirées, que les intervenants aux cérémonies de deuil en Pologne évoqueront l'inadmissibilité de la xénophobie, de l'exacerbation des haines raciales et religieuses. Il est particulièrement important que les chefs d'État posent la question des mesures à adopter dans leurs pays en vue d'éviter, par des efforts conjoints, un nouvel Auschwitz.

Là, il ne s'agit pas du seul problème de la xénophobie et du racisme. Ainsi, le rabbin Berl Lazar compare les nazis avec les terroristes d'aujourd'hui. À l'heure actuelle, la menace du terrorisme est aussi globale que celle du nazisme l'a été au XXe siècle. Mais souvenons-nous que les grandes puissances de l'époque n'ont pas fait attention à ce qui se passait dans l'Allemagne des années 1930 pour une multitude de raisons politiques.

Dans cette optique, l'important est de savoir ce qu'a fait tel ou tel pays pour endiguer la menace nazie et supprimer les camps de concentration. Depuis un demi-siècle, les débats se multiplient sur la question de savoir pourquoi la Grande-Bretagne et les États-Unis n'ont pas bombardé les voies d'accès à Auschwitz et ses chambres à gaz. Les détails de ce qui se passait dans ce camp de concentration étaient connus à Washington, à Londres et à Moscou depuis début 1944. Les premières propositions de bombardement sur Auschwitz ont été avancées au moment où l'on planifiait un débarquement des troupes alliées sur le littoral atlantique pour libérer la France et frapper l'Allemagne à l'Ouest. Mais la libération d'Auschwitz ou, du moins, le bombardement des voies d'accès au camp n'ont été prévus ni par les Britanniques ni par les Américains.

Aujourd'hui, on donne des explications variées du comportement des Alliés. Certains historiens évoquent le risque de tuer les prisonniers en plus des nazis, d'autres parlent des priorités militaires et politiques. Mais il reste un fait: le camp de la mort a continué de fonctionner jusqu'au 27 janvier 1945 faisant tous les jours des centaines de morts.

"La libération des prisonniers d'Auschwitz n'a pas non plus été envisagée à Moscou, du moins cet objectif n'a pas été évoqué pendant la planification de l'opération Vistule-Oder au Grand Quartier général, raconte Ilia Altman, historien et coprésident de la fondation Holocauste. Toutefois, lorsque le chef du 1er Front ukrainien, le maréchal Ivan Konev, a reçu le 21 janvier les premières informations selon lesquelles il existait un camp bizarre et il était encore possible d'aider des prisonniers, il a modifié la direction des opérations en transférant la 3e armée de chars du général Rybalko, soit un millier de chars, vers Auschwitz. Ce qui a sauvé la vie de plusieurs milliers de personnes".

Plus de 300 soldats et officiers soviétiques ont péri dans la bataille d'Auschwitz. Les prisonniers d'Auschwitz et les communautés juives du monde entier seront à jamais reconnaissants à l'Armée rouge pour son exploit.

Lors des solennités en Pologne, le rabbin Berl Lazar et le président israélien Moshe Katsav doivent remettre à Vladimir Poutine une Médaille du Salut. "Cela est notre reconnaissance au peuple soviétique, à ceux qui ont sauvé les prisonniers d'Auschwitz et ont apporté la principale contribution à la lutte contre le nazisme", a dit Berl Lazar.

Pour sa part, Ilia Altman a espéré que le jour de la mémoire des libérateurs d'Auschwitz et de ses prisonniers serait inscrit à la liste des dates commémoratives du calendrier russe. Depuis dix ans, soutenue par le gouvernement de la ville de Moscou, l'ambassade d'Israël, la Fédération des communautés juives de Russie et le Centre Solomon Mikhoels, la fondation Holocauste organise à Moscou des soirées consacrées à la libération d'Auschwitz. Cependant, ce jour n'est aucunement marqué au niveau national. "Il se peut que, dès cette année, la situation change et que nous ayons enfin un jour de mémoire en l'honneur des soldats libérateurs et des victimes de l'Holocauste, a relevé l'historien. Dans tous les cas, on voit bien que l'attitude des gens à l'égard de l'Holocauste change, car nombreux sont ceux qui sont conscients de la menace de l'oubli".

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