Le jour de la sainte Tatiana

S'abonner
MOSCOU, 24 janvier. /par Tatiana Sinitsyna, commentatrice de RIA Novosti/. Le 25 janvier la Russie célèbre par tradition le jour de la sainte Tatiana. C'est la fête de toutes celles qui portent le prénom féminin répandu de Tatiana. D'après les sociologues, jusqu'à 15% des filles nées ce jour-là sont baptisées ainsi. Fille d'un noble romain persécutée pour avoir épousé le christianisme elle fut depuis des temps immémoriaux très vénérée par le peuple. Peut-être pour ses qualités morales qui étaient tout particulièrement appréciées en Russie : Tatiana avait de la compassion pour les pauvres, soignaient les malades, aidait les orphelins à voler de leurs propres ailes, ce qui lui a valu son surnom d'Assistante.

De par la volonté de l'histoire, sainte Tatiana est devenue la patronne céleste de la science et de l'enseignement russes. Le 12 janvier (25 janvier d'après le nouveau calendrier) 1724, le jour de la sainte Tatiana, Pierre le Grand fonda l'Académie des sciences à Saint-Pétersbourg auprès de laquelle la première université russe fut créée un an après. C'est dans cet établissement que fut envoyé poursuivre ses études le futur grand savant Mikhaïl Lomonossov (1711-1765), fils de talent de pauvres pêcheurs d'Arkhangelsk, après avoir achevé ses cours à l'Académie slavo-gréco-romaine de Moscou. Plus tard, il concevait un projet d'université pour Moscou, le premier établissement d'enseignement européen strictement scientifique, sans faculté de théologie. Les gens qui le désiraient et pas seulement les étudiants étaient autorisés à venir assister aux conférences et à mener des discussions scientifiques "au nom de la vérité". C'était un projet novateur et démocratique qui a inculqué à l'Université de Moscou son sens de la liberté de pensée.

Lomonossov était conscient que, étant issu du peuple et sans relations, il ne pouvait pas réaliser son projet. La future sommité de la science demanda l'assistance du comte Chouvalov, courtisan influent, homme intelligent et mécène, qui soutint chaleureusement l'idée d'une université dans l'ancienne capitale. C'est le jour de la sainte Tatiana, le 12 (25) janvier 1755, que l'impératrice Elisabeth Petrovna signa l'oukase portant sur la création de cet établissement d'enseignement "pour faire croître toute science utile dans notre vaste empire". La monarque était indifférente à la science mais s'employait à développer l'œuvre de son père réformateur. Le comte Chouvalov présenta délibérément l'oukase à la signature le 25 janvier. Souhaitant voir le projet réalisé avec succès, il avait fixé cette affaire importante pour le jour radieux de la fête de sa mère qu'il aimait tendrement et qui s'appelait Tatiana.

Dans le bâtiment acheté sur les deniers publics en plein centre de Moscou pour y installer l'université, se trouvait une église domestique bénie en l'honneur de sainte Tatiana. Dès la première année de fonctionnement de l'établissement une tradition s'est instaurée: le 25 janvier les étudiants organisaient une fête joyeuse pour glorifier leur temple de la science et leur patronne céleste. Selon le témoignage d'un étudiant en médecine qui devait devenir célèbre en tant qu'homme de lettre, Anton Tchékov, "Ce jour-là (en 1885) on a bu tout, sauf la Moscova, et encore à cause de la glace qui la recouvrait. Les pianos crépitaient, les orchestres tonnaient sans répit le Gaudeamus. Emporté par la joie générale, un étudiant s'est baigné dans un bac où l'on gardait les sterlets... "

La fête à l'occasion de la sainte Tatiana n'a pas disparu des murs de l'Université de Moscou à l'époque soviétique pendant laquelle les vieilles traditions n'étaient généralement pas saluées. Il est vrai qu'elle était célébrée officieusement. Vers le 25 janvier s'achevaient les examens de la session d'hiver et commençaient les vacances. Or pour les étudiants c'était un "péché" que de ne pas marquer un événement aussi joyeux. La tradition s'est avérée contagieuse et attrayante pour les étudiants d'autres villes, si bien qu'aujourd'hui elle est devenue nationale.

Cette fois le jour de la sainte Tatiana est tout particulier pour l'Université de Moscou qui marque cette année son 250e anniversaire. L'usage veut que le scénario des festivités soit préparé en secret et comporte des surprises telles que, par exemple, le lancement d'un satellite scientifique à l'intention de l'Université, baptisé "Tatiana".

Le matin du 25 janvier, selon la tradition, aura lieu un service divin à l'église universitaire. Ensuite débuteront les festivités dans les deux bâtiments : ancien, à deux pas du Kremlin, et nouveau, construit au milieu du XXe siècle sur les Monts des Moineaux. On entendra un long "alliluyah" accompagnant les discours des professeurs, des étudiants et des invités qui seront relayés par un concert d'artistes amateurs au terme duquel le coup d'envoi d'un bal grandiose sera donné.

Dans l'église domestique, des couples viendront se marier et des nouveau-nés seront baptisés. C'est aussi une vieille tradition. C'est là qu'en 1895 le baptême fut administré à la fille aînée du professeur de l'Université de Moscou Ivan Tsvetaev, Marina Tsvetaeva, future grande poétesse.

Le jour de la fête, toutes les enseignantes et étudiantes qui s'appellent Tatiana reçoivent des témoignages d'attention.

Fait intéressant : avant le début du XIXe siècle Tatiana n'était pas un nom populaire en Russie. Dérivé du prénom latin Tatienne, il fut slavisé avec la racine russe "tat'" qui signifiait "voleur, bandit ". Qui souhaite donner à sa fille un nom ayant une signification douteuse, cela peut attirer le malheur. La même racine avait cependant aussi une autre interprétation : "tata" en slavon signifiait "père", autrement dit, le prénom Tatiana pouvait se lire comme "fille chérie de son père".

Et pourtant, ce prénom a longtemps été considéré comme plébéien avant que la plume géniale d'Alexandre Pouchkine ne l'ait fait sortir de la basse-cour pour le glorifier et le rendre ainsi très populaire. Le poète le trouvait très beau, tendre à l'oreille, gracieux et sensuel. Il le donna à l'héroïne de son célèbre roman en vers "Eugène Onéguine", Tatiana Larina, qu'il a chantée comme une femme idéale.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала