Les parlementaires ne veulent pas se laisser fustiger

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MOSCOU, 18 janvier. (Par Boris Kaïmakov, commentateur politique de RIA Novosti). La vague de manifestations qui déferlait partout en Russie depuis la fin des fêtes du Nouvel An s'est terminée par la victoire sans appel de leurs participants, à savoir les retraités. Les tentatives faites par les députés à la Douma (chambre basse du parlement) pour présenter les retraités comme des vieillards dérangés de la tête ont engendré un mécontentement civil général, surtout après qu'une jeep sans plaque minéralogique eut renversé une femme à Novossibirsk. Atteinte d'une fracture de la jambe, la victime a été hospitalisée. Les autorités locales ont enfin compris que les menaces d'engager des poursuites judiciaires contre des gens prêts à se jeter sous des voitures ne régleraient rien. Dans leur grande majorité les gouverneurs locaux ont commencé à reconsidérer la réforme baptisée "monétisation des avantages en nature", une formulation absolument incompréhensible pour les personnes âgées.

Dans la plupart des régions les gens n'ont pas touché l'argent qu'on leur avait promis et en plus ils se sont rendu compte que les sommes promises seraient très insuffisantes pour maintenir un niveau de vie déjà bas. Quinze régions de Russie ont rendu aux personnes âgées leurs avantages habituels sous diverses formes. Le gouverneur de la région de Tchéliabinsk a été encore plus loin en maintenant les avantages dans leur plénitude.

Seules les régions dites donatrices peuvent se permettre le luxe de renoncer à la monétisation des avantages. Les autres le font partiellement, restituant aux personnes âgées la gratuité dans les transports en commun. Les régions pauvres attendent ce que va dire Moscou parce qu'elles n'ont pas les moyens de décider et qu'en Russie on sait très bien rejeter la responsabilité sur le Centre. Ce n'est pas fortuitement que les partis d'opposition - Union des forces de droite, Yabloko, KPRF (communiste) - ont emmené leurs partisans sous la bannière anti-Poutine.

Ici surgit la grande question russe que l'écrivain Alexandre Herzen avait posée voici deux siècles: "A qui la faute?" Pour la conscience collective, c'est incontestablement le président. Dans la situation présente, la cote de popularité très élevée de Vladimir Poutine nuit justement à son image politique. Tous les espoirs de vie meilleure sont fondés sur Vladimir Poutine et le président ne manque jamais une occasion pour montrer sa préoccupation face au bas niveau des revenus de ses compatriotes. Au milieu de l'année dernière il avait admis publiquement que c'est la misère de la population qui le fait le plus souffrir. Ces propos avaient retenti comme une déclaration programmatique et été perçus par la population comme une prise de position principielle du chef de l'Etat. Les retraités avaient aussi vécu la transition à la "monétisation" dans la sérénité parce quinze jours avant le Nouvel An le président avait reçu le ministre Zourabov et celui-ci avait assuré au chef de l'Etat, devant les caméras de la télévision, que la condition des retraités ne se dégraderait pas.

Penser que le ministre aurait cherché à induire en erreur le président d'une manière aussi primitive serait naïf. La réforme des pensions, ce n'est pas seulement une décision bureaucratique prise au niveau du ministre, c'est aussi la mise en oeuvre de très importantes priorités économiques, ayant incontestablement l'assentiment du chef de l'Etat. Une phrase de l'ancien président Boris Eltsine est restée dans l'histoire de la Russie contemporaine: "Le responsable de tout, c'est Tchoubaïs". A l'époque il s'agissait des arriérés de salaires et de pensions. Il ne faut pas attendre de Vladimir Poutine une telle ineptie, il ne dira jamais que le responsable de tout, c'est son ministre Zourabov. Par contre, il serait parfaitement logique de lui demander pourquoi sa réforme des pensions a échoué.

Ici surgit le très sérieux problème des rapports entre le Kremlin et la Douma. Au fond, après avoir reçu le feu vert du Kremlin pour la réalisation de la réforme, ces derniers temps la Douma, pratiquement exempte d'opposition intérieure, débite des lois dans l'espoir de complaire au président. Or, celui-ci rejette des textes gris comme l'inadmissibilité de la violence à la télévision, de la consommation de bière dans la rue. En réalisant ces opérations politico-médiatiques, la Douma a finalement perdu ses points de repère et ramené la très sérieuse réforme des pensions au niveau de la loi sur la bière. Et lorsque les troubles publics ont commencé, la première réaction du président de la chambre basse, Boris Gryzlov, l'ancien ministre de l'Intérieur, a été de menacer les personnes âgées qui étaient descendues dans la rue. Son adjointe, Lioubov Sliska, s'est montrée plus intelligente. Elle a réclamé la destitution de Zourabov. Et quand il s'est avéré que la tête de Zourabov serait insuffisante pour la rue, le leader de la fraction "Rodina" ("Patrie"), Dmitri Rogozine, a demandé à grands cris la démission du gouvernement dans son ensemble alors que dans le même temps des membres de sa fraction ont pris position en faveur de Mikhaïl Fradkov.

La Douma, qui en toute logique politique devrait assumer la responsabilité essentielle des lois qu'elle édicte, n'entend pas se laisser fustiger, laissant ainsi entendre qu'elle sait à qui est la faute. Qui plus est, elle semble aussi connaître la réponse à la question "Que faire" posée par un autre écrivain russe Nikolaï Tchernychevski. On peut penser qu'effectivement elle sait ce qui convient de faire mais qu'elle attend une solution émanant du Kremlin. S'il en est bien ainsi, la Douma serait une nouvelle fois disposée à faire un croc-en-jambe à son président.

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