Mikhaïl Khodorkovski a acquis Yukos - et l'a perdu - de la même manière

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MOSCOU. (Commentatrice politique de RIA-Novosti Iana Iourova). Dimanche dernier, comme prévu, 77% des actions de Youganskneftegaz, la plus importante des filiales de production de Yukos, ont été vendus. Et, comme il fallait s'y attendre, l'interdiction provisoire avec laquelle le Tribunal américain pour les faillites avait tenté de s'opposer à cette opération, est restée sans effet. Pour cette bonne raison que la juridiction des tribunaux américains - comme celle des tribunaux angolais, paraguayens, etc. - ne s'étend pas au-delà des limites de leurs Etats. Et c'est normal.

La plus grande surprise résidait ailleurs et c'était le nom de l'acheteur, BaykalFinanceGroup. Une entreprise inconnue l'a emporté en quatre minutes, dans la prise pour cet actif pétrolier, face à un géant comme Gazpromneft. D'ailleurs, cette prise, il n'y en a pas eu. Tout de go, BaykalFinanceGroup a proposé de débourser pour ce bloc de Youganskneftegaz 260 753 447 303,18 roubles, ce qui dépassait largement la mise à prix ( 8,5 milliards de dollars). Pour toute réponse, Gazpromneft s'est éclipsé, en douceur.

Rien d'étonnant à ce que ce mystérieux BaykalFinanceGroup et ses origines aient défrayé la chronique de la presse russe depuis dimanche. Même le président par intérim du Fonds russe des Biens fédéraux et, par conséquent, organisateur de cette vente, Youri Petrov, dit ignorer tout sur la compagnie dont les intérêts sont représentés par BaykalFinanceGroup. A la question de savoir qui se tient derrière l'acheteur de Youganksneftegaz les analystes donnent des réponses différentes. Mais, pour la plupart, ses "traces" seraient en tout état de cause à rechercher à Gazprom et dans ses structures affiliées. Parmi d'autres "patrons" de BaykalFinanceGroup, on cite Surgutneftegaz, Millhouse Capital (principal actionnaire de Sibneft) et même une société chinoise.

Quant aux milieux économiques et politiques, les débats qui s'y poursuivent sur la vente de dimanche sont tout aussi vifs.Le vice-président de l'Union des industriels russes, Igor Jurgens, a qualifié ses résultats de scandale : "Parmi les hommes d'affaires de ma connaissance, personne n'a jamais entendu parler de ce BaykalFinanceGroup !" Pour sa part, Mikhaïl Odintsov, président de la commission du Conseil de la Fédération pour les monopoles naturels, dit qu' "en Occident, les transactions de ce niveau sont couvertes dans le moindre détail, alors que chez nous tout reste au niveau des suppositions. Aucun des analystes ne vous dira aujourd'hui quel en sera le dénouement".

Il va sans dire, le management de Yukos adresse des invectives à ses "offenseurs". Le Group Menatep, compagnie financière affiliée au pétrolier, projette de poursuivre l'acheteur à travers le monde entier, contestant, auprès des tribunaux occidentaux, le bilan des ventes de dimanche et en faisant appliquer des saisies-arrêts sur le pétrole exporté par Youganskneftegaz. Mais cela pourrait concerner uniquement les actifs étrangers. De l'avis de Bruce Marx, partenaire au cabinet d'avocats Marx&Sokolov, le Group Menatep ne saura prouver ses revendications devant la justice russe. En effet, toutes les lois du pays ont été respectées dans le moindre détail.

A voir de près les résultats des ventes de dimanche, on pourrait constater une certaine ressemblance avec les ventes menées massivement en 1995-1996. Cela va sans dire, le prix payé pour un bloc de Youganskneftegaz n'est pas adéquat à son coût. On le sait, Deutsche Bank a récemment évalué les actifs de l'ancienne filiale de Yukos à près de 18 milliards de dollars. Pourtant, dimanche dernier, un prix de départ deux fois moins important a été proposé. Deux sociétés seulement sont entrées en lice pour mettre la main sur ses actifs, mais la liste des prétendants comportait quatre noms : deux d'entre eux s'étaient dissipés sans laisser de traces. Situation qui ressemble à la période d'il y a près de dix ans, lorsque l'Etat, en organisant des ventes pareilles, cédait des actifs non au plus offrant, mais à celui qu'il fallait. C'est ce qui s'est produit il y a quelques années, quand le pétrolier Slavneft est allé au propriétaire aujourd'hui mondialement connu du club de football Chelsea, à l'époque, un simple homme d'affaires Roman Abramovitch. A noter que des Chinois proposaient le double de ce qu'il avait alors payé.

Mais, en l'occurrence, le sort a joué un mauvais tour au propriétaire de Yukos, Mikhaïl Khodorkovski. Car lui avait obtenu Yukos à vil prix, mettant d'ailleurs à profit des ressources publiques et les règles de ces ventes. Et à peu près dans un contexte semblable. L'ex-ministre russe de l'Economie, Evgueni Yassine, se souvient qu'à l'époque, la victoire est revenue à une compagnie inconnue, Lagouna, "instituée à trois jours des ventes et enregistrée à Taldom, près de Moscou".

Qui plus est, la persévérance avec laquelle le management de Yukos recherchera la justice auprès des tribunaux étrangers pourrait déboucher sur le résultat opposé à l'attendu. La pointilleuse justice occidentale sera ainsi amenée à condamner les opérations de Lagouna également !

Une question se pose : ce dépeçage scandaleux de Yukos, ne nuira-t-il à la Russie ? Pour beaucoup, il s'agit de tuer une poule aux oeufs d'or. De l'avis de Vassili Solodkov, directeur de l'institut des banques au Haut collège d'économie, ce marché tellement opaque pourrait porter un préjudice à l'image du pays et, résultat, se répercuter sur ses attraits d'investissement.

Mais, sûrement, le pays n'essuiera aucune perte économique. Juste le contraire. Car, pour l'Etat, peu importe celui qui dirigera la branche où les derniers investissements publics avaient été faits à la fin des années 1980. Les besoins d'investissements de Youganskneftegaz sont énormes. Toutes les infrastructures de la compagnie, dont les oléoducs et les raffineries, sont dans un état de délabrement avancé depuis longtemps. Et, durant toutes ses années, aucun effort n'a été accompli dans la prospection de nouveaux gisements. La Russie vit grâce aux ressources héritées de l'URSS qui s'épuiseront bientôt. Et alors ? Les anciens propriétaires n'avaient pas investi dans le développement de la branche. Nous en voyons maintenant le résultat.

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