La Cour des Comptes a remis en doute les résultats des privatisations. Dans quel but?

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MOSCOU, 1er décembre . (Commentatrice politique de RIA-Novosti, Yana Yourova). Les actuelles conversations sur une éventuelle révision des résultats des privatisations en Russie peuvent bien réveiller les hommes d'affaires qui sont tombés, dirait-on, en léthargie profonde dès le mois d'octobre dernier.

La Cour des Comptes de la Fédération de Russie vient de publier une note analytique sous le titre "Analyse des processus de privatisations des biens publics en Fédération de Russie dans la période entre 1993 et 2003". Les auditeurs à la Cour des Comptes ont enquêté sur les circonstances des privatisations des entreprises russes et en sont venus à la conclusion: "Insuffisances manifestes de la base législative, sous-développement des institutions et des procédures de privatisations et absence pratique de tout contrôle extérieur ont créé des possibilités pour d'innombrables violations de la loi au cours de la mise en oeuvre des projets de privatisations concrets".

La Cour des Comptes est un organe de contrôle financier d'Etat qui effectue l'audit et le contrôle, tant du business privé que du secteur public. Elle n'obéit en fait qu'à l'Assemblée Fédérale (Parlement) de la Fédération de Russie. Ne possédant aucune fonction punitive directe et ne pouvant, par conséquent, que faire porter ses conclusions à la connaissance du Parlement, la Cour des Comptes reste toujours une structure conflictuelle et provoquant même des controverses et ce, pour des raisons, d'ailleurs, tout à fait évidentes. Or, on ne manque pas de s'en apercevoir à présent car le thème même des privatisations demeure extrêmement conflictuel pour la Russie et ce, depuis déjà ces quinze dernières années, que ce soit sur le plan économique, politique ou moral.

Lors des privatisations, lit-on dans la note analytique de la Cour des Comptes, l'Etat n'a pas été seul à perdre, car ses citoyens en ont aussi énormément souffert. A l'époque, indique le document, la législation n'avait pas garantià toutes les couches de la société en Russie les mêmes droits ni des possibilités égales pour participer aux privatisations. Ainsi, les travailleurs des entreprises avaient certains avantages pour acheter des actions de leurs entreprises à privatiser, alors que les médecins, les enseignants, les chercheurs et autres catégories de citoyens russes avaient pratiquement été écartés des processus de privatisations et privés du droit à la possession d'une partie des richesses nationales.

Qui plus est, les auditeurs à la Cour des Comptes publient même une très longue liste d'entreprises qui auraient été vendues, soient privatisées, selon eux, en violation de la législation en vigueur. Les variantes les plus différentes y sont décrites: à l'issue d'ententes criminelles de toute sorte, on avait, par exemple, fixé des prix manifestement inférieurs au coût effectif des biens à privatiser; les fonds dégagés des privatisations n'étaient jamais virés aux budgets; des ouvrages stratégiques étaient vendus aux enchères et ainsi de suite.

Or, certains épisodes, liés notamment au "dossier YOUKOS", sont connus de tous et depuis longtemps. Qui qu'il en soit, la Cour des Comptes laisse clairement entendre que ce n'est là qu'une très petite parcelle émergente, soit visible de l'iceberg. Et si l'on étudie plus attentivement le processus de privatisations, on constatera bien, affirme la Cour des Comptes, que des hommes d'affaires débrouillards avaient ainsi volé, voire dilapidé, la moitié du pays. La liste interminable des faits illégaux, découverts et signalés par la Cour des Comptes, donne l'idée de l'envergure globale des privatisations "en connivences" dans le pays. "Krasnoïarskougol" (Charbonnages de Krasnoïarsk), "Rosgosstrakh", Consortium "Kouzbassrazrezougol", Compagnie houillère "Youjny Kouzbass", Complexe forestier d'Oust-Ilimsk, "SIDANCO", TNK (Compagnie pétrolière de Tioumen), "Komi TEK", "ONACO", Compagnie pétrolière Est, "Sourgoutneftegaz", Centre d'innovations technologiques "Soyouz", Bureau d'études en constructions mécaniques "Granit", Usine d'hélicoptères M.L.Mil de Moscou, Groupe aéronautique d'Irkoutsk, "Guidromach" de Nijni-Novgorod, Usine de constructions mécaniques "Znamia" de Moscou, Armurerie de Toula, Usine de cartouches de Toula, Usine "Elektropribor" de Voronej, Compagnie aérienne "Vnukovo Airlines", Usine aéronautique de Smolensk, Usine de construction de moteurs de Rybinsk, Bureau d'études en construction de moteurs de Rybinsk, "Start" de Samara, Entreprise de construction de moteurs d'Oufa, "Ouralmachzavod", "Proletarski zavod", Groupe industriel "Znamia Oktiabria", Centre de recherche "Roumb", "Baltiiski zavod".. ... Telle est la liste de loin incomplète des points à problèmes sur la carte de la Cour des Comptes.

Publié par la Cour des Comptes de la Fédération de Russie, cet ouvrage a fait frémir les milieux d'affaires dans le pays. "Il n'y a pas de fumée sans feu", dit-on en Russie. Et du moment qu'un organe d'Etat fait une déclaration formelle sur les faits de violation de la loi, des mesures appropriées ne tarderaient certes pas à être adoptées. Et ce, d'autant plus que, dans ce document même, ses auteurs se réfèrent au Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine. Intervenant au V-ème Congrès de l'Organisation des institutions supérieures de contrôle des finances publiques d'Europe (EUROSAI), le chef de l'Etat russe a tenu à souligner tout particulièrement: "L'une de nos priorités consiste notamment à développer un système efficace de contrôle financier d'Etat. Ledit système a pour tâche majeure d'élever l'efficacité du pouvoir, y compris par l'information objective de la société sur la qualité du travail des institutions publiques".

On dirait que la Cour des Comptes a compris la tâche et l'a même accomplie. Et après?

Va-t-on chercher les coupables? On aurait pu sans doute qualifier de fortuits deux ou trois cas pareils. Quoi qu'il en soit, on est certes en présence de tout un système. Ainsi, se référant à des normes généralement admises du droit international, la Cour des Comptes de la Fédération de Russie en vient à la conclusion: "Toute la responsabilité pour les conséquences négatives des privatisations incombe aux autorités publiques".

Néanmoins, rien n'est dit dans le document de la peine à infliger à ce "pouvoir public". Tout porte à croire que là, les auditeurs eux-mêmes ont eu peur de leur propre courage et décidé de proposer au pays une sorte de compromis qui est, en outre, des plus avantageux sur le plan financier. Ce compromis se résume à peu près comme suit: "En répondrait celui qui a de l'argent". Autrement dit, la Cour des Comptes de la Fédération de Russie propose de "garantir à titre judiciaire la réparation des droits violés du propriétaire légitime qu'est l'Etat".

S'agit-il donc d'une éventuelle révision des résultats des privatisations, soit d'un nouveau partage de la propriété en Russie? Il est peut probable que cela soit possible aujourd'hui. Dans la situation présente où la Russie se prépare à adhérer à l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) et est en train d'entamer même, en commun avec l'Union européenne (UE), l'édification d'un espace économique commun, elle n'a certes pas du tout besoin de scandales aussi grandioses.

Il existe toutefois une version qui tient beaucoup d'une sorte d'humour noir "à la russe". Selon cette version, la publication de ladite note analytique n'aurait qu'un seul objectif bien précis - remuer les milieux d'affaires russes. Ce n'est certes pas l'effet du hasard que la parution de ce document a coïncidé avec l'actuelle discussion dans le pays sur les causes du ralentissement de la croissance économique en octobre dernier. Bien des analystes estiment que tout le problème réside dans la baisse des activités économiques dans le pays. C'est que les hommes d'affaires russes broient manifestement du noir, en contemplant l'histoire de YOUKOS.

Et voilà que maintenant ils n'auraient plus le temps ni même possibilité pour broyer leur cafard. Dès qu'ils se trouveront sur les listes "noires", dressées par la Cour des Comptes, ils ne tarderont certes pas à devenir beaucoup plus dynamiques. Et qui alors se déciderait à nationaliser une entreprise qui ne ménage pas ses efforts pour doubler le produit intérieur brut (PIB) et verse énergiquement ses impôts au Trésor public?!

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