Hitler, Lénine et Hirohito dans les films d'Alexandre Soukourov

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Par Olga Sobolevskaïa, commentatrice RIA Novosti

Figure de proue du cinéma intellectuel russe classée par l'Académie européenne du cinéma parmi les 100 meilleurs réalisateurs du monde, Alexandre Sokourov est sur le point d'achever le troisième épisode de son étude de la psychologie du pouvoir, "Le Soleil", sur la vie de l'empereur japonais Hirohito, présentement en montage. "Cet empereur a eu assez de courage pour abandonner le passé et bâtir un avenir digne de son pays": telle est l'idée que le réalisateur a mise à la base du film.

Sa tétralogie sur les hommes qui ont écrit l'histoire du XXe siècle, il l'a ouverte en 1999 par "Moloch", un film sur la vie privée d'Adolf Hitler, suivi en 2000 par "Le Taureau" sur les derniers jours de la vie de Vladimir Lénine. Sokourov s'intéresse aux drames personnels des chefs. Il désacralise le pouvoir. "Le pouvoir est en rapport avec la haine, la méfiance et la colère, avec la volonté d'anéantir ses semblables. Je voudrais comprendre ce qui se déforme en l'homme au moment où il accède au pouvoir", explique le maître.

À son avis, le pouvoir absolu a gelé l'âme de Hitler et l'a privée de la possibilité de renaître. Quant à Lénine, déjà malade incurable, il a réalisé toute l'horreur de l'impasse dans lequel il avait conduit le pays, "mais c'était trop tard", estime Alexandre Sokourov. L'empereur Hirohito qui a gouverné le Japon pendant plus de 60 ans a su surmonter l'orgueil inhérent à sa puissance. "C'est le seul des personnages historiques de son temps qui, tout en étant l'un des leaders de l'axe Allemagne - Italie - Japon, a survécu à la Seconde Guerre mondiale et n'a pas comparu devant la justice mais a continué à gouverner son pays en qualité d'empereur. Qui plus est, le Japon a aussi devancé ses vainqueurs dans son évolution objective", résume le cinéaste.

Pour beaucoup de Japonais, l'empereur demeure à ce jour un personnage sacré. Le réalisateur russe le montre comme une personne qui aurait volontiers abandonné le pouvoir pour s'adonner à la recherche: il s'intéressait à la botanique et à l'ichtyologie, publiait des ouvrages scientifiques et a même fait plusieurs découvertes. "C'est quelqu'un qui était doté d'une intuition profonde, d'une dignité exclusive et d'un courage inégalé. Il était prêt à accepter la mort comme vengeance des vainqueurs", fait remarquer l'auteur du film. Quand en 1945 les Américains sont entrés sur le territoire japonais - les événements relatés dans "Le Soleil" -, l'armée japonaise qui comptait plusieurs millions de personnes était prête à se battre jusqu'au bout. Et c'est la prise de position de Hirohito qui a déterminé la fin de la guerre. "Il décrète de ne pas opposer de résistance car la vie d'un Japonais vaut plus que tout, et il a sauvé son peuple de l'extermination", souligne le cinéaste.

Son intérêt pour l'histoire est professionnel. Historien de formation, Sokourov a fait ses études à l'université de Gorki (auj. Nijni Novgorod) en travaillant parallèlement à la télévision locale.

À la fin des années 1970, Alexandre Sokourov a tourné son premier film "La Voix solitaire de l'homme" qui a reçu la bénédiction du maître Andreï Tarkovski. Son deuxième film, "Une triste indifférence" (1983) d'après la pièce de Bernard Shaw "La Maison des cœurs brisés" sur les incompréhensions qui existent entre les hommes, les critiques l'ont qualifié de mûr. C'est là que s'affirme le style de Sokourov - l'intellectualité, l'intérêt pour l'inconscient et le cinéma pictural: il passait des heures entières à mettre en scène chaque séquence de son film.

Depuis le milieu des années 1990, le réalisateur est considéré comme maître du cinéma intellectuel. Il a obtenu tous les prix possibles et imaginables: du Prix vaticanais du Troisième millénaire au Prix d'État russe. D'année en année, Sokourov représente la Russie au festival de Cannes. En 2003, son "Père et fils" a décroché à Cannes le Prix de la Fédération internationale de la presse cinématographique (Fipresci). Ce film sur l'étroite union de deux âmes est précédé de "Mère et fils" (1997), titulaire de plusieurs prix européens, où une mère s'éteint doucement dans les bras de son fils affectueux.

Sokourov se tourne vers l'histoire dans "L'Arche russe" (2002), un véritable cadeau pour le tricentenaire de Saint-Pétersbourg. "Une virtuosité sans précédent", "une force extraordinaire de la magie cinématographique", écrivaient "Time" et "Washington Post" en août 2003 après la projection du film aux États-Unis. La recette se résumait en ceci: les trois siècles ressuscités de l'histoire russe, le témoin est l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, presque 900 acteurs, des centaines de perruques et de costumes, 90 minutes tournées en un seul plan-séquence sans couper la caméra. Au cœur du sujet: les mémoires du Français Astolphe de Custine sur son voyage en Russie. On pourrait déchiffrer le titre du film ainsi: à la façon de l'arche biblique, la Russie flotte sur les vagues du temps et, en dépit de toutes les secousses historiques, conserve ses richesses culturelles fabuleuses.

Alexandre Sokourov a également tourné des films sur des génies russes du XXe siècle comme Fedor Chaliapine, Anton Tchekhov, Alexandre Soljenitsyne, Dmitri Chostakovitch et Andreï Tarkovski, ainsi que sur des soldats inconnus qui ont fait leur service à la frontière. Après le film sur l'empereur Hirohito, le réalisateur se propose de poursuivre ses recherches historiques: il compte tourner "un film résumant toute l'expérience historique liée aux dictateurs du XXe siècle".

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