Les libéraux et les communistes russes se réunissent

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MOSCOU (par Youri Filippov, commentateur politique de RIA-Novosti). L'union de la droite et de la gauche russes, c'est-à-dire des communistes (partisans de l'Etat) et des libéraux (partisans du marché) qui étaient des adversaires farouches dans les années 90, leurs tentatives pour se réunir sur la base de leur opposition aux réformes du président Vlaidimir Poutine visant à renforcer la verticale du pouvoir en Russie: qu'est-ce que cela signifierait?

Des tentatives pour créer des oppositions de type "droite-gauche" ont déjà eu lieu dans certains pays européens à l'après-guerre. Ces oppositions ont été qualifiées de "monstrueuses" et leur existence fut très brève. Mais les opposants russes qui souhaitent sincèrement une longue coexistence ont l'intention de démentir cette règle. Leur première action commune contre les réformes de Vladimir Poutine a eu lieu cet automne dans 16 villes russes, y compris Moscou et Saint-Pétersbourg. De nouvelles actions, encore plus massives, sont prévues.

On estime ordinairement que les partis politiques rivalisent âprement entre eux dans la lutte pour le pouvoir, c'est pourquoi le rival principal d'un parti est un autre parti-concurrent, surtout s'il se positionne à l'opposé sur l'échiquier politique. Cependant actuellement, en Russie, le principal concurrent des partis politiques d'opposition n'est nullement un parti au pouvoir. Le concurrent principal et l'adversaire de ces partis est l'Etat, ce qui est un trait spécifique.

Cent ans d'histoire politique de la Russie permettent de parler d'une règle: lorsque l'Etat est faible et ne sait comment réagir aux nouveaux défis, il est contraint de libéraliser la vie politique. Des dizaines de partis et de courants politiques peuvent apparaître alors dans le pays. Ensuite, après une série de crises, l'Etat se renforce. Il acquiert un nouveau style politique et de nouvelles méthodes d'administration, ce qui refroidit les passions politiques. Le pluralisme politique diminueavec esprit de suite dans la vie de la Russie, le nombre de partis se réduit.

Le cycle politique russe contemporain a commencé en 1905, lorsque la révolution bourgeoise a mis la monarchie dans le cadre constitutionnel et a accordé des libertés politiques à la population sans droits et a conduit à l'élection du premier parlement national en Russie: la Douma. Les partis politiques ont participé à la lutte pour les mandats de députés: les démocrates constitutionnels, les octobristes, les Cent-Noirs, les socialistes-révolutionnaires de droite et de gauche, les sociaux-démocrates représentés par les mencheviks de Plekhanov, ensuite par les bolcheviks de Lénine, ainsi que d'autres partis et groupes politiques qui ont laissé une trace moins importante dans l'histoire.

Peu après la Révolution d'Octobre 1917, seul le parti communiste - le parti des bolcheviks de Lénine - exerçait une influence réelle en Russie. Au début, lorsque les bolcheviks cherchaient leur voie dans l'histoire, la démocratie existait à l'intérieur du parti, à côté de la majorité centriste on trouvait l'opposition de "droite" et de "gauche". Mais, au milieu des années 30, l'une et l'autre ont disparu. Les centristes de Staline l'ont emporté, mais cela a mis fin à la vie politique en Russie. En Occident, on s'étonne souvent que le parti communiste de Staline n'ait pas convoqué de congrès pendant 13 ans, de 1939 à 1952, alors qu'il était, semblait-il, en plein essor. Cependant, il n'y a rien d'étonnant: les bureaucrates se sont emparés du pouvoir, ils n'avaient plus besoin de parti "vainqueur". Les possibilités politiques du parti communiste ont été réanimées et mises en oeuvre par le nouveau leader soviétique Nikita Khrouchtchev dans la deuxième moitié des années 50. Il comprenait que l'Etat de Staline s'était épuisé et était devenu un obstacle au développement du pays. Ne pouvant pas s'appuyer sur l'appareil d'Etat conservateur, Nikita Khrouchtchev a commencé à mettre en oeuvre ses réformes à l'aide du parti. Convoquant un congrès du parti, il a dénoncé les répressions staliniennes et le culte de la personnalité de Staline, en présentant un rapport confidentiel qui a été publié ensuite par toute la presse mondiale. Il faut dire que Nikita Khrouchtchev ne pouvait pas avoir d'autre tribune, sauf celle du parti, pour inviter à la démocratisation et au renouveau.

Après lui, le parti communiste a déployé largement son activité. Il a renforcé considérablement son influence, mais, en même temps, il constituait un tout avec l'appareil d'Etat. Lorsque, en 1985, Mikhail Gorbatchev est arrivé au pouvoir et a annoncé ses réformes, il était déjà impossible de distinguer le parti sclérosé de l'Etat. Cela signifiait que le cycle politique russe des nouveaux partis et des passions politiques devait entrer dans une phase nouvelle.

C'est ce qui a eu lieu. A la fin des années 80 et au début des années 90, plusieurs centaines de partis, de mouvements et d'autres organisations politiques sont apparus en Russie. En décembre 1993, quarante partis et associations ont participé aux élections législatives (à la Douma). L'Etat russe était très faible, au bord de la désintégration, il avançait à tâtons, ce qui explique qu'il ne pouvait pas se passer de la libéralisation politique. A présent, cette période de tâtonnements a pris fin. La stratégie de développement de la société et de l'Etat qui ressort de plusieurs années de polémique acerbe et franche entre les partis, est connue pour de nombreuses années à venir. La société russe qui a pris conscience de ses objectifs - avant tout, la sécurité, l'élévation du niveau de vie et le prestige international - a besoin objectivement de la cohésion à laquelle aspire le centriste Vladimir Poutine en mettant en oeuvre ses réformes de la verticale de pouvoir. C'est pourquoi le tableau multicolore des partis d'ores et déjà pâlit, rappelons que quatre fractions seulement siègent à la Douma et toutes traduisent les opinions des partisans de l'Etat. De nouvelles tendances politiques ne viendront pas encore longtemps réjouir le coeur des Russes.

Obéissant aux lois du cycle politique, l'activité politique de l'opposition baisse en Russie. Jusqu'où ira ce processus? L'opposition "droite-gauche" qui a subi l'épreuve de force cet automne craint avant tout d'aller, de même que dans les années 30 du siècle dernier, jusqu'à son aboutissement logique: c'est-à-dire à la disparition totale de la droite et de la gauche de la scène politique russe.

Mais l'existence de certains facteurs empêchera probablement cette tournure des événements, notamment l'aspiration de l'Etat, de plus en plus conscient de sa dépendance à l'égard des fluctuations du cycle politique, à se développer sans crises. Autrement dit, l'Etat, force politique principale en Russie, souhaite conserver la diversité de l'échiquier politique, pour ne pas subir, à l'avenir, une libéralisation sans bornes liée en Russie à de graves bouleversements sociaux et à la désintégration du pays.

Quoi qu'il en soit, l'histoire doit nous donner des leçons.

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