Des monuments aux enchères

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MOSCOU (par Anatoli Korolev, commentateur politique de RIA-Novosti).

Une question a été examinée au cours d'une réunion spéciale du gouvernement russe: que faire des monuments historiques et culturels? Faut-il que tous les frais d'entetien soient assumés par le budget de l'Etat, ou bien annoncer la privatisation d'une partie d'entre eux et les vendre à des particuliers?

Cette manière de poser la question tire un trait sur toute une époque.

Comme on le sait, après la révolution, l'expropriation des palais avait un caractère idéologique ostensible. Par exemple, le Palais d'Hiver impérial de Saint-Pétersbourg a abrité un musée de peinture et de sculpture, le Kremlin de Moscou est devenu le lieu de travail du gouvernement du pays, les luxueux hôtels "Métropole" et "National" ont servi de foyer communautaire aux fonctionnaires du parti. Bref, de par le pays des milliers de palais, d'hôtels particuliers et de domaines appartenant à des nobles ont été placés sous le contrôle de l'Etat et se sont transformés en maisons d'habitation, maisons de cure, bibliothèques, magasins, même en centres de détention.

Le statut de "monuments historiques et culturels" a été attribué à tous ces biens prestigieux. Le budget a alloué des sommes importantes à l'entretien des monuments.

Après la désintégration de l'URSS, le Soviet suprême de la Fédération de Russie a confirmé cet état de choses en adoptant le 25 décembre 1990 un arrêté proclamant tous les monuments d'importance fédérale patrimoine national ne pouvant être privatisé.

Cependant, ces 14 dernières années, tout le système de protection des monuments s'est pratiquement effondré.

Personne ne connaît aujourd'hui le nombre exact d'ouvrages figurant sur le registre de l'Etat. Les experts citent le chiffre approximatif d'environ 180 000 ouvrages protégés et 100 000 ouvrages non recensés. Il y en a environ 4000 à Moscou et environ 7 000 à Saint-Pétersbourg.

Le ministre de la Culture et de l'Information de la Fédération de Russie Alexandre Sokolov cite 90 000 monuments culturels, dont seulement 13 000 sont en relativement bon état.

Cette approximation dissimule le tableau désastreux de ruine, de chaos et de désuétude.

Lorsque le président a pris la décision de créer une nouvelle résidence gouvernementale à Strelnia, au bord de la Baltique, dans l'ancien Palais de Constantin situé dans les environs de Saint-Pétersbourg, il s'est avéré que ce palais du grand prince était en si piteux état qu'il a fallu en fait le reconstruire. Quelque 6 000 ouvriers y ont travaillé quotidiennement en trois équipes. Un an plus tard, l'ensemble souillé avait été restauré et était devenu plus luxueux que jamais. Vladimir Poutine a mené à bien le dessein de l'empereur Pierre: un canal d'une longueur de 8 km a été creusé du chenal de Pierre vers le grand palais, le parc paysager a été rétabli, 16 ponts, dont trois mobiles, ont été reconstruits, de grands étangs ont été remplis d'eau et de poissons, des lacs avec des truites et autres détails précieux ont été rétablis. Des millions de dollars ont été dépensés pour cela. Bien entendu, le petit musée et la bibliothèque auxquels appartenait cet immense palais n'en avaient pas les moyens.

Strelnia a eu de la chance, ce qui n'est pas le cas d'autres ouvrages.

La réunion du gouvernement a connu un prélude.

La gouverneure de Saint-Pétersbourg Valentina Matvienko a été la première à se prononcer contre cette situation déplorable. Si des mesures radicales ne sont pas prises, a-t-elle déclaré, la plupart des chefs-d'oeuvre architecturaux de la ville, les palais de Pavlovsk, d'Oranienbaum et de Tsarskoié selo tomberont en ruines.

Il est nécessaire de prendre d'urgence une décision sur la privatisation décente de certains monuments historiques et culturels et sur le passage simultané d'autres monuments au régime de location aux conditions du marché: autrement, la catastrophe sera inévitable, a déclaré la gouverneure en avril dernier sur un ton d'ultimatum.

Le moment de l'ultimatum a été très bien choisi: les résultats de l'inspection des monuments d'architecture de Moscou et de Saint-Pétersbourg venaient d'être soumis au président et au gouvernement.

Les auditeurs de la Cour des Comptes de la Fédération de Russie ont mis en évidence de nombreux problèmes.

Par exemple, en 1999, le ministère du Patrimoine de la Russie a mis à la disposition de l'Académie des Beaux-Arts le domaine du comte Razoumovski, numéro un sur la liste des monuments d'importance fédérale (pour 261 roubles, soit 10 euros, le mètre carré!).

Cependant si ce "don" n'avait pas été fait, le domaine serait resté sans aucun propriétaire capable de l'entretenir.

Citons un autre exemple.

Ces dernières années, Moscou a dépensé 4,5 milliards de roubles (plus de 150 millions de dollars) pour la restauration d'une centaine d'ouvrages. Une somme astronomique! Mais, en même temps, d'après les données du Musée d'architecture, 60 monuments historiques et culturels qui constituent le patrimoine national ont été détruits. D'après les données du ministère de la Culture, au moins 200 bâtiments historiques ont été détruits dans la capitale. (Le dernier acte barbare: le jardin qui entourait un palais de Pierre dans la capitale a été rasé, un restaurant souterrain est en voie de construction sur son emplacement). Pourtant, la loi n'interdit pas de tirer des bénéfices de la location de palais et d'hôtels particuliers qui sont la propriété de l'Etat ou municipale. Les prix de la location sont considérables.

Rien que dans la capitale, la location rapporte plus de 15 milliards de roubles par an.

Les opposants affirment que les bâtiments ont été démolis, car ils étaient si vétustes qu'il était impossible de les restaurer.

La location, est-ce une issue? Il suffit de regarder le domaine du prince Dourassov restauré à Moscou. Le palais est impeccable, mais le parc a été estropié par toutes sortes de locataires. A deux pas du palais, on voit un hideux hangar en fer-blanc qui abrite, depuis cinquante ans, un autodrome pour enfants. A côté, il y a un manège tout aussi inepte de chevaux de bois. Quant au parc anglais, il n'en reste que des lambeaux.

Si c'est un espace restauré, que dire du reste?

En fin de compte, l'ultimatum de Valentina Matvienko et les résultats de l'inspection effectuée par la Cour des Comptes ont été soutenus par le gouvernement de Moscou, l'Agence fédérale pour la culture et la cinématographie, ainsi que par l'Agence de gestion et d'utilisation des monuments historiques et culturels, chaque établissement ayant ses propres considérations et espoirs.

Hélas, la montagne a accouché d'une souris. La réunion du gouvernement n'a pas débouché sur une décision définitive, la question relative au début de la privatisation a été reportée sine die. Le ministère de la Culture a été chargé de procéder à l'inventaire minutieux du patrimoine.

Néanmoins, le pouvoir a capitulé en admettant le fait évident depuis longtemps que l'Etat n'est pas en mesure d'entretenir l'immense héritage architectural de la Russie sur son budget. Le problème de la vente de palais, d'hôtels particuliers, de domaines et de parcs à des particuliers sera réglé tôt ou tard.

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