Les élections en Ukraine et en Biélorussie préfigurent les difficultés auxquelles se heurtera Poutine en 2008.

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PARIS. (par Angela Charlton, en exclusivité pour RIA Novosti). Le coup d'envoi de la campagne électorale vient d'être donné chez les voisins occidentaux de la Russie, et le Kremlin suit avec attention le déroulement des événements. Mais cette fois, il se pourrait bien que la Russie ait quelque chose à apprendre de l'Ukraine et de la Biélorussie. En Ukraine, les candidats à la présidence font l'objet de mesures d'intimidation ou sont passés à tabac, certaines rumeurs parlent de l'introduction prochaine de l'état d'exception, ce qui pourrait permettre à Léonide Koutchma de se maintenir au pouvoir après les élections du 31 octobre. Quant à Alexandre Loukachenko, il n'a pas besoin de recourir à des mesures aussi draconiennes pour conserver son trône: il ne fait aucun doute que, lors du référendum de dimanche prochain, les Biélorusses le plébisciteront et l'autoriseront à solliciter un troisième mandat.

La Russie de Vladimir Poutine se trouve prise entre la démocratie entachée de sang de l'Ukraine et l'autoritarisme prévisible biélorusse. Mais quand en 2008 le second et dernier mandat présidentiel de Poutine arrivera à expiration, la question se posera pour lui de savoir comment il devra s'en aller, si tant est qu'il ait envie de partir. Ses voisins slaves proposent deux réponses à cette question, et il serait bon qu'il n'opte pour aucune d'elles.

A la différence de la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie ont déjà montré à la face du monde que la transmission du pouvoir par la voie démocratique était impossible dans l'un et l'autre pays. Cependant, à la grande déception des démocrates occidentaux, ni Koutchma, ni Loukachenko ne souhaitent abandonner le pouvoir en utilisant les mêmes moyens qui leur ont permis de l'acquérir dix années auparavant - c'est-à-dire par le biais d'élections libres et honnêtes.

Loukachenko assure avec bonheur sa propre hégémonie dans le pays. Devenu président de la Biélorussie à coup de slogans politiques et porté par la vague de nostalgie de l'époque soviétique, il a perçu son élection comme un mandat l'autorisant à "inverser le sens des aiguilles". En 1996, il a remporté sans grande difficulté le référendum sur les amendements à la constitution qui lui permettaient de prolonger le délai de son mandat, puis il a dissous le parlement pour le remplacer par une assemblée composée de ses partisans.

La campagne de soutien à l'actuel référendum a été tout aussi marquée par la fraude qu'en 1996. Mais point n'était besoin de se donner tant de mal. Car la plupart des compatriotes du président biélorusse adorent leur "petit père des peuples", et ce en dépit du fait qu'il écrase impitoyablement toute velléité d'hétérodoxie, mais peut-être n'ont-ils, pour cette raison justement, pas d'autre choix. Aujourd'hui, Loukachenko vient juste de fêter ses cinquante ans, il est jeune et il peut repousser pour de nombreuses années encore la question du choix de son successeur.

Le véritable "roman d'amour" que vit Koutchma avec le pouvoir n'est pas aussi fougueux ni parsemé de roses. Dans les années de son premier mandat, l'opposition énergique au parlement et le chaos qui régnait dans l'économie ne lui ont pas donné le loisir de souffler ni d'en "faire trop". Mais en fin de compte, son proche entourage et ses amis oligarques ont réussi à se faire une place au soleil et à renforcer leurs positions, si bien que maintenant ils n'ont peur que d'une chose: être obligés de faire leurs adieux au pouvoir.

Koutchma a proposé et obtenu que la constitution soit amendée de telle sorte qu'il puisse postuler à un troisième mandat tout en se préoccupant de se trouver un digne successeur. Mais entre temps, alors que le premier ministre Viktor Yanoukovitch était pressenti comme héritier du trône de Koutchma, son adversaire, Viktor Youchtchenko - lui aussi ex-premier ministre - est parvenu à obtenir un soutien non négligeable au sein de la population. Il semble qu'on ait raté le coche et que Koutchma ne puisse plus entrer dans la course avec élégance. La campagne électorale ne saurait être qualifiée d'honnête, mais à deux semaines du scrutin, l'issue demeure un énorme point d'interrogation.

Mais revenons à Poutine. Apparemment il hésite encore. Tout en prenant ses distances vis-à-vis du "paria" international qu'est Loukachenko, il cherche en même temps à renforcer son propre pouvoir. Poutine soutient ouvertement le protégé de Koutchma, mais il déclare qu'il n'a pas l'intention de modifier la constitution russe.

Les Russes affichent un certain scepticisme à l'égard de la démocratie et de l'aptitude à garantir la sécurité du pays dans le contexte de la démocratie: en témoignent les trois principaux scénarios de développement des événements en 2008. Selon tous ces scénarios, Poutine et son entourage ont beaucoup trop investi dans le système politique en cours de création pour le remettre au vainqueur d'une campagne électorale honnête. Selon une des variantes, Poutine, continuant d'être populaire, soutient "son" candidat, en mettant à sa disposition toutes les "ressources administratives" existantes et la logistique propagandiste des grandes chaînes de télévision. Après quoi, Poutine abdique, mais son "cercle de fidèles" continue d'avoir la haute main sur tout. Cependant, ce cas de figure comporte le risque de voir le successeur se retourner tôt ou tard contre son bienfaiteur. Poutine lui même a accédé au pouvoir en tant que favori de Boris Eltsine, pour ensuite écarter son ancien chef et expulser l'entourage de Eltsine du Kremlin.

Un scénario plus réaliste envisage un changement de constitution: Poutine est admis à présenter pour la troisième fois sa candidature aux présidentielles, ou bien est autorisé à proroger son mandat actuel, ou encore on abolit complètement les limites temporelles du mandat présidentiel.

Le scénario le plus intéressant est le suivant: Poutine limite les pouvoirs du président à des fonctions de représentation et est candidat au poste de premier ministre. Une telle démarche paraîtrait démocratique et progressiste. Mais elle impliquerait une révision de la politique poutinienne de renforcement du pouvoir présidentiel. En outre, il faudrait modifier la constitution, ce dont Poutine lui-même ne veut pas. Sans compter que la Cour constitutionnelle s'est déjà dans le passé opposée au Kremlin.

Des théories de ce genre étaient échafaudées en Russie à la fin de 1999, à la veille du départ de Eltsine de son poste de président. Néanmoins, Poutine jouit d'une santé robuste et reste populaire, si bien que son avenir semble bien mieux assuré. Ses partisans disposent de la majorité aux deux chambres du parlement, ce qui garantit son accord même en cas de changements radicaux dans la législation, et il est peu probable que les chefs des régions, dont le mandat dépend désormais du président, s'opposeront à ce dernier.

Cependant, la réalisation de l'un ou l'autre de ces scénarios suscitera l'irritation de l'Occident, c'est le moins qu'on puisse dire. Les leaders occidentaux se sont trop appliqués à désoviétiser la Russie pour assister sans rien dire à une transmission du pouvoir dans le pays par des méthodes non démocratiques. Par ailleurs, pour influer sur la situation, il faudrait recourir à des sanctions internationales sévères. Poutine fait ce qui selon lui - et non pas selon l'opinion du reste du monde - est bon pour la Russie. Si bien qu'il ne faudra pas s'étonner si Vladimir Poutine reste au pouvoir encore un bon moment.

(NB. Les jugements exprimés par l'auteur de cet article peuvent diverger de l'avis de RIA Novosti).

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