Beaucoup de ceux qui avaient été impliqués dans la préparation de la rencontre à Pékin entre les dirigeants russe et chinois, Vladimir Poutine et Hu Jintao, ont été étonnés par l'ampleur des ententes intervenues à l'issue du long et difficile travail réalisé par divers ministères et départements. Vladimir Poutine a qualifié de "percée" les pourparlers du sommet de Pékin. Il n'y a rien d'exagéré ici.
A propos de ce qui vient de se passer on peut dire succinctement ce qui suit: Premièrement, on ne se souvient pas de sommets à participation russe au cours desquels les parties auraient débattu, non pas au niveau des desiderata mais concrètement, des projets d'affaires pour un montant de plusieurs dizaines de milliards de dollars.
Deuxièmement, ces sommes et ces projets ne peuvent être le fait que de gens entre lesquels aucun problème grave, politique ou autre, n'existe.
Maintenant entrons dans les détails. A Pékin, Vladimir Poutine a cité un chiffre inattendu: 20 milliards de dollars: il s'agit du montant possible des échanges commerciaux russo-chinois pour 2004. Le chiffre envisagé précédemment était de 17,6 milliards. En ce qui concerne le chiffre de 60 milliards de dollars avancé par le président et devant être atteint d'ici cinq ou six ans, avec ensuite les 100 milliards en ligne de mire, il s'agit du coût total des projets dont la liste a été publiée au terme des négociations.
Ces projets figurent dans le document intitulé Plan d'action pour 2005-2008. Il s'agit d'un document très remarquable, il évoque la coopération dans des domaines ayant une portée stratégique pour les deux pays considérés comme des leaders économiques de demain. Il y est question de la collaboration dans des domaines tels que l'espace, l'électronucléaire, l'ingénierie biologique, la chimie, l'informatique, la technologie de l'information et les nouveaux matériaux. Ce ne sont pas là les grands axes du mouvement en avant, c'est la liste de projets déjà bien avancés, ayant un nom et une adresse. Qui plus est, au cours de la préparation de la visite les partenaires chinois avaient fait part de leur intention d'investir 12 milliards de dollars dans l'économie russe dans les 5-10 ans à venir.
Que signifient-ils, ces chiffres? Rappelons qu'en janvier-août 2004 le principal partenaire commercial de la Russie était l'Allemagne avec un chiffre d'affaires de 14,7 milliards de dollars. La Chine entre donc en compétition pour occuper la première place dans les statistiques du commerce extérieur de Moscou. En janvier-août elles affichaient le chiffre de 151,8 milliards. De surcroît, les chiffres cités à Pékin sont assez imposants, même sur la toile de fond du commerce extérieur de la Chine, qui cette année devrait probablement dépasser les 1.000 milliards de dollars.
Pour ce qui est des placements de fonds en Russie (ici la Grande-Bretagne pourrait dépasser l'Allemagne), au cours du premier semestre de 2004 l'économie russe a drainé 18,98 milliards de dollars d'investissements directs, soit 49 pour cent de plus qu'au cours de la même période de l'année dernière. Il n'y a relativement pas longtemps que la Chine exporte des capitaux, mais si les plans se réalisent, la Russie ne sera pas sa dernière priorité.
En ce qui concerne la politique et, en particulier, la confiance, il faut rappeler que depuis cinquante et quelques années ils ont été nombreux sur la scène politique internationale ceux qui ont cherché à se faire affronter les deux voisins, Moscou et Pékin. Ces derniers temps ils utilisaient tout ce qu'ils pouvaient pour parvenir à leurs fins: les deux secteurs de la frontière russo-chinoise restant à délimiter, l'immigration chinoise en Russie, la rupture du "projet Youkos" concernant l'acheminement pipelinier de pétrole en Chine. Il est remarquable que tous ces sujets étaient montés en épingle par les forces libérales russes et il est possible que cela ait été une des raisons de leur débâcle subie il y a près d'un an aux élections à la Douma (chambre basse du parlement russe). La veille de sa visite, s'entretenant avec des journalistes chinois, Vladimir Poutine avait souligné qu'aucun problème politique, idéologique ou économique n'était à même d'empêcher la Russie et la Chine de développer leurs rapports dans le domaine de l'énergie. Cette déclaration politique a fortement marqué sa visite actuelle en Chine.
A la place du "projet Youkos" empoisonnant l'atmosphère des relations bilatérales, la Russie et la Chine envisagent maintenant de conclure un accord intergouvernemental sur les principes essentiels de la coopération dans les industries pétrolière et gazière; d'augmenter les livraisons ferroviaires de pétrole russe à la Chine (pas moins de 10 millions de tonnes d'ici à 2005); d'entreprendre la planification de nouveaux projets pétrogaziers, dont la construction d'un pipeline partant de Russie vers la Chine ainsi que de projets concernant l'exploitation conjointe de gisements pétrogaziers situés sur les territoires des deux pays; de préparer un accord sur le gisement de gaz de Kovykta (Sibérie orientale); de prévoir une participation russe dans la construction de centrales électriques, dont nucléaires et nucléaires flottantes. Et par la même occasion d'achever les négociations bipartites sur l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce.
Même la frontière russo-chinoise, la plus longue au monde puisque s'étirant sur 4.300 kilomètres, a entièrement été délimitée. L'Accord complémentaire sur la frontière russo-chinoise dans sa partie orientale, la dernière, a été signé à Pékin. En ce qui concerne la question frontalière, les deux pays ont pris une décision qui a fait sensation sur la scène internationale. Leur idée d'utiliser conjointement des territoires litigieux pourrait être reprise dans le règlement du problème qui existe entre la Russie et le Japon (les quatre îles méridionales du chapelet des Kouriles). Elle illustre aussi les propos réitérés de Moscou aux négociations avec Tokyo, selon lesquels dans un esprit de bon voisinage les questions de ce genre se règlent aisément.
Pour ce qui est de l'immigration chinoise et de l'idée d'une "expansion démographique de la Chine en Extrême-Orient russe", colportée par ce phénomène, plusieurs mois avant le sommet ce problème avait été relégué à la place qui lui convient et classé parmi ceux qui doivent être réglés avec les affaires courantes.
D'une manière générale, les problèmes n'existent plus. Seulement les parties pensent que l'extension des relations donnera le jour à de nouvelles situations compliquées que la bonne expérience engrangée aidera à régler.
Le sommet possède une particularité pas forcément compréhensible au profane: en effet, les présidents des deux grandes puissances n'y ont pas travaillé dans leur domaine habituel. C'est qu'à l'époque de Boris Eltsine et de Jiang Zemin il avait été décidé de tenir annuellement deux sommets: l'un au niveau des premiers ministres, consacré à l'économie, et l'autre au niveau présidentiel, où les pourparlers portaient sur la politique internationale et autre. Cette fois ce schéma a été brisé pour deux raisons. La première, c'est que sur le plan politique les deux gouvernements n'ont pas besoin de mener de longues négociations pour tomber d'accord. Par exemple, il n'a pas été nécessaire de débattre longuement pour se rendre à l'évidence que les terroristes et les séparatistes de Tchétchénie et du "Turkestan oriental" sont une composante du terrorisme international et qu'ils doivent être une cible de la lutte antiterroriste conjointe menée par la communauté mondiale.
La seconde raison, c'est qu'aujourd'hui pour les deux pays les questions économiques prennent le pas sur les problèmes politiques. Or, la politique extérieure de Vladimir Poutine et, semble-t-il, celle de Hu Jintao, est empreinte de pragmatisme économique. Les questions économiques relèvent désormais du domaine présidentiel.
Et de tout ce qui s'est produit au cours des quelques heures qui se sont écoulées après l'atterrissage de Vladimir Poutine à Pékin on peut tirer cette simple conclusion: grâce au sommet les positions des deux puissances dans l'économie mondiale et sur la scène internationale se sont solidement renforcées. Il en a toujours été ainsi lorsque Pékin et Moscou étaient ensemble.